Le télé-travail. Une crèche et un fitness en bas du bâtiment. La « self-évaluation ».
Le monde du travail aujourd’hui est loin de celui dans lequel évoluait nos parents. Il y a, certes, de nettes améliorations. Ces changements ne sont pas sans impact sur la productivité, la vie professionnelle ET personnelle des employés.
L’employé d’aujourd’hui, est-il plus heureux que celui d’autrefois ?
1975
Georges sort de ses études de juriste. Il trouve un poste de stagiaire dans une grande société suisse romande d’énergie. À la fin de son stage, on lui offre un poste junior.
Après trois ans au même poste, il change de département avec une petite promotion et une petite augmentation du salaire. Après cinq ans, il est promu au poste de juriste, avec encore une petite augmentation.
Georges est maintenant père de deux enfants. Il dîne avec ses collègues devant un bon steak et un verre de rouge au même bistro presque tous les jours à midi, jusqu’à ce qu’il devienne juriste senior avec des responsabilités auprès du conseil d’administration.
En costard-cravate tous les jours, Georges se rase et peigne ses cheveux fastidieusement tous les matins, même le week-end. Il prend le train à 7h04 tous les jours pour arriver à 7h32 à son bureau.
À la retraite, il a travaillé plus de 40 ans pour la même société. Arrivant à l’âge de 65 ans au « bon moment », quand les caisses sont encore pleines, Georges a une assez bonne retraite. En plus, son 3e pilier et ses investissements dans le bâtiment et des entreprises suisses fiables lui procurent assez d’argent pour enfin acheter une petite maison et vivre confortablement.
2000
Oscar, fils de Georges, sort de ses études de juriste. Il décide de prendre une année pour faire le tour du monde. Pendant ses voyages, il rencontre le CEO d’une grosse entreprise britannique qui lui parle d’un stage à Londres. Sa candidature est acceptée. Il fait une année à Londres où il rencontre sa petite amie australienne, qui réussit à le convaincre de partir en Australie.
Fan de la technologie dans toutes ses formes, il obtient un « work-study visa » et part étudier le droit sur l’internet à Melbourne. Il trouve ensuite un poste dans une start-up à Sydney où il travaille pendant trois ans.
De retour en Suisse, bilingue, Oscar a changé d’entreprise tous les trois à cinq ans, une fois utilisant ses compétences légales et une autre en capitalisant sur ses expériences en start-up. Il a même pu travailler à Berlin et à Seattle pendant un certain temps. Il travaille actuellement dans le département légal d’une multinationale américaine du web. Un mur de bon-bons dans le couloir lui permet de s’empiffrer de ses Twizzlers® préférés à n’importe quelle heure.
Quand il se casse une jambe en faisant du snow à Verbier, il gère ses téléconférences sur Skype depuis son canapé. Il répond aux demandes de Silicon Valley à trois heures du matin depuis son iPhone, mais se réveille à neuf heures pour aller au bureau. Il enfile un jean et une chemise pas trop froissée, passe la main dans ses cheveux et sur son menton pas rasé depuis cinq jours, et part avec son skateboard.
Ayant peu de confiance dans le système AVS en Suisse, Oscar compte surtout sur ses placements boursiers pour compléter sa retraite. Adepte du Bitcoin, il peut modifier son portefeuille d’investissements en quelques clics, et a confiance qu’il arrivera à acheter son appartement de rêve au Surfer’s Paradise avant ses 50 ans, quand il aimerait repartir vivre en Australie et faire du télé-travail depuis la plage.
Qui est le plus heureux ?
Il est intéressant de regarder la progression du monde de travail depuis les derniers 40 ans. D’un côté, les nouvelles modes de travail comme le télé-travail, ainsi que la mobilité géographique et même d’un secteur à un autre, permet aux employés d’atteindre un certain épanouissement dans leurs vies professionnelles qui n’existait pas auparavant.
Cela étant, autrefois Georges arrivait au bureau à 7h32 et partait vers 17h30, sauf en période chargée, avec une bonne pause déjeuner. Il ne ramenait jamais du travail à faire à la maison, car il préférait être enfermé dans son bureau pour se concentrer.
Oscar reste disponible sur son smartphone 24h sur 24. Il va au bureau plus tard, certes, mais il passe plus de temps « connecté ». Pour la concentration, Oscar est mieux devant son écran à la maison avec un bon Nespresso® en écoutant Twenty One Pilots ou Lorde sur ses écouteurs Bose® sans fil.
Maintenant, regardons le côté « stabilité » de ces deux parcours. Georges a certainement dû prendre certaines décisions professionnelles en fonction de ses choix personnelles. Peut-être qu’il aurait voulu changer d’entreprise, mais la volonté de fonder une famille et de fournir une vie de famille stable l’ont poussé à rester dans la même entreprise. Du coup, sa stabilité se reflète dans sa situation financière : il a cotisé plus de 40 ans et il a un 2e et 3e piliers comme « tout bon Suisse ».
Oscar, qui n’a pas encore d’enfants, n’a pas les mêmes impératifs. Il privilégie le voyage et la découverte, et se dit qu’il a quelques années avant de vouloir devenir père. Quant à sa retraite, il a confiance en ses investissements, et ignore complètement l’utilité d’un 3e pilier. Néanmoins, dans un monde où la bourse a subi plusieurs krachs et la valeur du Bitcoin fluctue avec le vent, une autre option plus stable ne serait peut-être pas une mauvaise idée…
Et la femme ?
On aurait pu aussi prendre l’exemple de Geneviève, sœur d’Oscar, et sa mère Madeleine, la femme de Georges. Après avoir « mis de côté » sa carrière pendant sept ans pour élever ses enfants, Madeleine a dû accepter un poste de secrétaire à 50% dans une entreprise de presse scientifique.
Pourtant, elle avait fait des études approfondies en psychologie. Mais un poste à moins de 100% dans son domaine n’existait pas à l’époque, et seulement des postes dans certains secteurs tertiaires étaient compatibles avec une vie de famille.
Aujourd’hui, sa fille Geneviève travaille comme Directrice marketing à 80% dans une grande entreprise genevoise. Il y a une crèche dans son bâtiment pour son plus petit et elle peut facilement faire du télé-travail si un de ses autres enfants est trop malade pour aller à l’école. Par contre, elle reprend son smartphone au lit avec elle pour lire ses e-mails et se préparer psychologiquement pour le lendemain, ce qui nuit parfois à la qualité de son sommeil.
Son mari Christophe, auditeur pour une entreprise de consulting, dépose les enfants à l’école le matin, et va au fitness à côté de son bureau pour faire une heure de course à pieds sur un tapis avant de commencer le travail. Son entreprise a un accord avec le fitness et offre un abonnement à prix avantageux.
Il part à l’heure pour chercher ses enfants à l’école, sans regard désapprobateur. Ceci est même conseillé par le People Officer, professionnel des ressources humaines qui accompagne les employés de cette entreprise pour optimiser leur performance et assurer qu’ils soient heureux de travailler. Le People Officer doit récolter des informations sur le progrès de chaque employé dans une « self-évaluation », exercice que Christophe trouve peu utile, car ceci ne sera pas utilisé pour augmenter son salaire ou autrement améliorer sa qualité de vie.
Changer avec les temps
Les femmes comme Madeleine n’ont pas eu un congé maternité de 16 semaines ou la flexibilité d’exercer une profession tout en trouvant sa work-life balance. Néanmoins, il y a des détracteurs qui trouvent que les pratiques d’aujourd’hui peuvent effectivement nuire à la santé (connexion permanente avec le bureau via nos smartphones et tablettes) ou sont peu efficaces (self-évaluation qui n’est utilisé que pour…s’auto-évaluer).
En plus, malgré toutes les avances dans la vie professionnelle et notamment celle de la femme, les chances que Geneviève gagne autant que son homologue masculin restent statistiquement peu probables. Des pas sont faits dans la direction de la parité dans un monde qui change lentement, mais il reste du progrès à faire.
La Suisse a tendance à changer encore plus lentement que le reste du monde. L’initiative pour un congé maternité a pris 60 ans avant d’être acceptée. Il faudrait encore du temps pour que les suisses décident si des initiatives comme celles pour un congé paternité, pour une retraite à 67 ans, ou encore pour une RBI amélioreraient (ou pas) leurs vies professionnelles, et par conséquent, personnelles.
Pour ce faire, la question reste : quelle vie professionnelle souhaitez-vous ? Aujourd’hui, la palette est large. On peut toujours trouver des secteurs qui fonctionnent de manière « traditionnelle », comme on peut trouver des entreprises progressistes. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, nous avons le choix. À chaque professionnel de décider quelle vie leur convient le mieux et d’avancer dans cette direction.
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