Dans un article précédent, nous avons évoqué les différences entre le traducteur et l’interprète. L’activité du premier consiste à transposer par écrit dans une langue B un message émis dans une langue A tandis que le second transmet oralement les messages d’une langue à une autre. Pour le public, les interprètes sont ces professionnel·le·s qui murmurent à l’oreille des participant·e·s aux conférences internationales ou dont la voix recouvre celle des stars étrangères interviewées à la télévision. Or, un autre aspect de ce métier est moins connu. Il s’agit de l’interprétariat communautaire. Mouna*, qui le pratique depuis 25 ans, nous parle de son expérience.
Différents types d’interprétariat
Contrairement au traducteur, qui travaille la plupart du temps dans un seul sens, l’interprète est souvent appelé à transposer une langue dans une autre et vice versa. À la télévision ou à la radio, c’est la même personne qui parle dans l’oreillette de la personnalité interviewée et qui transmet ensuite les propos de cette dernière au journaliste et aux téléspectateurs ou auditeurs. Il en va de même pour l’interprète communautaire mais dans un tout autre contexte. Travaillant avec les dialectes du monde arabe et le français, Mouna définit son métier comme « une sorte de pont entre deux cultures et deux langues, un facilitateur de communication entre deux personnes ne pouvant parler dans la même langue ». Le travail de l’interprète communautaire travaille en situation de trialogue, autrement dit un dialogue entre trois parties (quel que soit le nombre de personnes concernées) : des migrant·e·s, divers·es professionnel·le·s (médecin, avocat·e, etc.) et l’interprète.
Les débuts : un concours de circonstances
Lors de ses études en sciences politiques, elle avait dû effectuer un travail sur la migration qui l’avait amenée à rencontrer des femmes migrantes. La majorité d’entre elles ne parlant pas le français, il lui arrivait de les aider dans leurs démarches administratives ou de les accompagner chez le médecin. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée de facto dans la position d’interprète. À présent, il existe des organismes qui dispensent des formations à ce métier. L’Office de qualification d’INTERPRET, l’association suisse pour l’interprétariat communautaire et la médiation interculturelle, délivre un certificat, qui constitue le premier niveau de formation. Il peut être complété par le Brevet fédéral de spécialiste en interprétariat communautaire et médiation interculturelle. Quoi qu’il en soit, selon Mouna, « il faut aimer le contact humain, maîtriser sa propre culture et celle du pays d’accueil » pour pratiquer ce métier. L’interprète doit aussi savoir bien gérer le stress, avoir un bon sens de l’organisation et « être capable de trouver les bons mots pour faire passer les messages des uns aux autres dans les entretiens à trois ». De même, le respect du secret de fonction et la neutralité sont des principes auxquels l’interprète devra impérativement se conformer. Il/elle devra veiller à ne pas outrepasser son rôle de facilitateur et ne sera en aucun cas responsable de la consultation ou de l’entretien.
Importance du contact humain
Ce métier présente en outre l’avantage d’être enrichissant sur le plan humain. Mouna dit en apprendre tous les jours et voyager quotidiennement « à travers les mots ». « Grâce à ce métier j’ai pu visiter presque tous les pays du monde arabe en restant à Genève ». Dans certaines situations critiques, ce rôle d’intermédiaire peut se révéler plus délicat. Par exemple, il n’est jamais facile d’annoncer un mauvais diagnostic à des parents. Cependant, dans certaines occasions l’interprète peut se révéler utile pour dissiper des malentendus, comme dans ce souvenir qui a marqué Mouna. Une mineure qui s’était retrouvée enceinte à la suite d’un viol collectif voulait garder l’enfant contre l’avis des médecins, des infirmières, des sages‑femmes et des éducateurs. Grâce à l’intervention de l’interprète chaque partie a enfin pu mieux comprendre les arguments de l’autre. Les professionnel·le·s souhaitaient insister sur le fait que la loi interdisait de pratiquer un avortement au-delà de 12 semaines, tout en s’inquiétant du sort du bébé compte tenu des circonstances de la grossesse. La jeune migrante, pour sa part, voulait leur expliquer que selon la religion musulmane, l’accouchement est la délivrance de tous les péchés et que le bébé allait lui permettre d’être purifiée de toutes les souillures. « En expliquant les points de vue des uns et des autres avec les éclairages culturels, j’ai pu faciliter la communication », nous raconte Mouna.
« Tant qu’il y aura des migrants, il y aura besoin d’interprètes communautaires »
L’interprétariat communautaire est passé du bénévolat au professionnalisme. Mouna se souvient : « Nous étions un groupe de personnes issues de plusieurs communautés, motivées pour donner un coup de main aux migrants ». Pour elle, c’est bien leur présence qui garantit la continuité du métier : « Tant qu’il y aura des migrants il y aura besoin d’interprètes communautaires ». Et même si des moyens d’interprétariat par téléphone ont été mis en place et ont forcément pris de l’importance depuis le début de la pandémie de Covid-19, pour préserver la dimension humaine les services en présentiel restent essentiels.
* Nom connu de la rédaction
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Documentaliste image : coup de projecteur sur les coulisses de la télévision
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