En septembre 2013, la Fondation genevoise de désendettement a lancé, sur un tram genevois, une campagne d’affichage fondée sur des portraits représentant un échantillon large de la société affirmant leur volonté de sortir de l’endettement.
Un constat alarmant
Le surendettement est une bombe à retardement en Suisse. En effet, le nombre de personnes endettées a fortement augmenté en Suisse depuis dix ans. Dettes Conseils Suisse (DCS) juge même que « la tendance est dangereuse pour la société et s’inquiète que ce phénomène ne soit pas pris davantage au sérieux par les politiques ». Selon les derniers résultats de l'Office fédéral de la statistique (OFS) du 16 mai 2013, plus de 277'400 commandements de payer ont été notifiés à Genève en 2012 et 138'085 saisies ont été exécutées.
« Globalement, c’est un sujet qu’on ne veut pas voir » note un membre du comité de DCS. L’Office fédéral de la statistique récolte en ce moment les nouvelles donnés sur l’endettement, dont les résultats devraient être disponibles d’ici la fin 2014.
L’endettement est depuis quelques années une problématique endémique qui concerne toute la société. Les services sociaux à Genève, qui sont notamment en charge d’accompagner les gens endettés, n’ont pas forcément les moyens financiers d’intervenir. Sur la base de ce constat, la Fondation genevoise de désendettement (FgD) a vu le jour en septembre 2011. C’est une fondation de droit privé reconnue d’utilité publique, née d’une initiative privée, qui fonctionne de manière totalement indépendante avec son propre conseil de fondation. Cette structure est capable d’analyser les situations et d’intervenir financièrement sous la forme d’un prêt sans intérêt sous réserve de critères bien spécifiques.
Un échantillon large de la population
A l’image de ce qui se passe en Suisse, la tranche de la population concernée par les dettes est de plus en plus importante à Genève et la palette des personnes qui font appel à la Fondation est vaste, allant des jeunes adultes aux personnes du troisième âge. En réalité, les 2/3 des demandeurs ont entre 30 et 50 ans et sont bien insérés dans la vie active avec une capacité de remboursement suffisante pour assumer un prêt.
« Il est important de préciser que nous n’avons pas à l’heure actuelle de statistiques précises sur nos bénéficiaires, mais de manière globale, cela représente vraiment un échantillon assez large de la population. De par nos critères, la fondation est ouverte à toute personne majeure qui réside à Genève depuis au moins 3 ans » tient à préciser Isabelle Roig, déléguée de la Fondation.
La Fondation s’adresse aussi aux personnes sans activité, aux rentiers AVS ou AI et aux chômeurs. Pour ces derniers, il faut être attentif à leur délai cadre, mais une intervention est tout de même possible. De nombreuses familles qu’elles soient traditionnelles ou monoparentales, des couples avec enfant ou encore des célibataires font également appel au service de la Fondation genevoise de désendettement.
En terme d’évolution de la clientèle durant les 12 derniers mois, Isabelle Roig nous explique « qu’elle n’a pas vu d’évolution particulière, notamment par rapport aux types de situation traitées. Toutefois, nos demandeurs, souvent précarisés, ont connu une ou deux périodes de chômage, même s’ils retravaillent aujourd’hui. Leur parcours de vie professionnelle a été difficile, parfois même jusqu’à la rupture ou l’aide sociale. Il s’agit aussi de 'working poors' ou de familles où un seul des conjoints travaille ».
Le prêt d’honneur
Un prêt d’honneur, au sens où l’entend la FgD, est un prêt sans intérêt accordé à des personnes endettées qui vivent à Genève, répondant à certains critères, pour leur permettre de régler toutes leurs dettes et d’assainir totalement leur situation financière.
Il faut préciser « qu'une fois accordé, le prêt n’est pas versé directement sur le compte des personnes bénéficiaires, contrairement à ce pensent la plupart des gens » tient à souligner Isabelle Roig. le corollaire est donc que la fondation se charge de payer les créanciers et non les personnes elles-même. Ensuite, c’est le bénéficiaire qui rembourse avec des mensualités adaptées à son budget en principe sur une durée de 2 ans. Dans des cas particuliers et selon les situations de chacun, le remboursement du prêt peut se prolonger au-delà des 24 mois, mais cela reste exceptionnel.
Mais dans tous les cas, la durée maximale est de 36 mois. A ce sujet, Isabelle Roig nous explique « que la FgD suit les recommandations de Dettes Conseils Suisse qui préconise vraiment de ne pas dépasser 3 ans, puisqu’au-delà, l’effort commence vraiment à devenir important et le risque que la personne lâche le remboursement devient trop élevé. Et si elle s’accroche en respectant les mensualités de remboursement, elle va recréer des nouvelles dettes ».
Un plafond maximum existe-t-il au niveau de la somme prêtée ?
« Non » nous répond Isabelle Roig « le prêt est toujours proportionnel au revenu ou au budget de la personne. Le plafond se situe au niveau des montants de la mensualité, qui ne doivent pas dépasser 10% des revenus nets ». Ce pourcentage permet d’éviter que le remboursement ne devienne une charge trop importante sur le budget mensuel. La FgD a choisi ce plafond pour permettre au bénéficiaire de rester dans le domaine du « supportable », au contraire de certains organismes de crédit qui octroient des prêts trop facilement sans faire de vérification. En effet, les crédits à la consommation implique de rembourser des mensualités disproportionnées par rapport au revenu et aux autres charges. Ce système ne rend pas service au preneur de crédit et le met souvent d’emblée en situation d’échec avant la première mensualité.
Pour illustrer ce critère de « plafond », une personne ou un couple qui gagnerait CHF 4500.- net tout revenus confondus (salaire, allocations de logement ou familiales, pensions alimentaires...) devrait s’acquitter d’une mensualité de CHF 450.- au maximum, ce qui représente donc un prêt sur deux ans de CHF 10'800.-.
Un engagement sur l’honneur
Un rituel a été instauré par la Fondation : lorsque la personne signe le contrat de prêt, elle s’engage notamment sur l’honneur à ne pas contracter de nouvelles dettes en tout cas durant la durée du prêt. Isabelle Roig, déléguée, nous explique que « si le demandeur possède des cartes de crédit, dont les dettes ont été réglées avec le prêt, il lui est demandé de les détruire devant nous le jour de la signature du contrat. C’est un geste très symbolique, car la Fondation a conscience qu’il peut aller juste après recommander une nouvelle carte de crédit. Encore une fois, nous souhaitons établir un rapport de confiance avec lui et ce rituel est essentiel dans le cadre des mesures d’assainissement. Il faut percevoir cela comme un nettoyage complet et durable autant que possible ».
A l’inverse d’autres services spécialisés comme Caritas ou CSP, qui proposent une aide pour assainir le budget ou la mise en place d’un plan de désendettement fondée sur la capacité de remboursement de la personne, la mission principale de la Fondation genevoise de désendettement reste l’intervention financière avec le prêt sans intérêt. En revanche, le suivi du budget et l’accompagnement social ne sont pas systématiques, indépendamment de l’octroi d’un prêt. Toutefois, dans certains cas, si le Conseil de Fondation l’estime nécessaire, lorsque le budget est serré ou si la personne est un peu fragile, il peut être décidé d’un accompagnement social avec le prêt pour autant qu’elle ne soit pas déjà suivie par un autre service social. La Fondation ne se substitue donc jamais aux services sociaux et ne souhaite intervenir, pour le moment, que dans des cas très particuliers.
Mais la FgD n’est pas la seule à intervenir sur l’aspect financier. « En fait, pour être plus précise, il existe un fond commun entre le CSP et Caritas appelé « le fond social de désendettement ». Celui-ci s’auto-alimente, c’est-à-dire qu’il faut attendre que quelqu’un aie fini de rembourser un prêt et que le fond soit renfloué pour en octroyer un autre. Ces prêts sont sans intérêt mais accordés pour des cas très spécifiques » tient à nous préciser la déléguée.
La prévention face aux dettes
Dans notre pays, il existe un double tabou, celui de l’argent, mais aussi celui des difficultés financières. Quand une personne a des difficultés financières en Suisse, il n’est pas facile d’en parler. Isabelle Roig affirme que « souvent les gens ont honte de demander de l’aide et essaient de se débrouiller par leurs propres moyens en empruntant à des amis dans un premier temps, en jonglant avec les factures » et quand ils se décident à aller chercher de l’aide à l’extérieur parce que la situation est devenue catastrophique, il est souvent trop tard. Le niveau d’endettement est tel que la Fondation genevoise de désendettement ne peut plus intervenir.
Le message de la nouvelle campagne de communication qui a démarré au mois de septembre dernier est très clair : inciter les gens à déculpabiliser et à dédramatiser leur situation en osant demander de l’aide sans attendre d’arriver à un niveau d’endettement catastrophique voire de surendettement chronique, car dans ce cas, la Fondation peut refuser d’entrer en matière, uniquement sur la base de l’ensemble des éléments en sa possession. C’est pourquoi, le niveau d’endettement est un facteur déterminant à l’octroi d’un prêt.
Pour illustrer ses propos, Isabelle Roig prend un exemple chiffré : « Si un couple gagne CHF 8'000.- nets à eux deux, la Fondation peut potentiellement leur accorder un prêt de CHF 20'000.-, mais si le montant total de leurs dettes s’élèvent à CHF 100'000.-, la somme prêtée sera largement insuffisante ». Conséquence, la Fondation ne donnera pas suite. Toutefois, après une analyse approfondie de la situation, il est possible de solliciter des fonds auprès d’autres institutions sociales pour venir compléter le prêt. Ainsi le bénéficiaire se retrouvera avec un plan mixte de désendettement, une partie sous forme de prêt remboursable et une autre sous forme de dons pour pouvoir assainir complètement sa situation.
En cas de refus du prêt, d’autres mesures existent dont le rachat d’actes de défaut de bien. Si la personne est un bon négociateur, elle peut obtenir d’importants rabais jusqu’à 50 ou 60% en fonction de l’ancienneté ou du type de créance, et cela permet de diminuer considérablement le montant total des dettes. Ainsi, il est possible d’intervenir même si l’endettement est conséquent. Toutefois, ce système a ses limites, car même avec une intervention mixte (prêt, don et rachat), lorsque le niveau d’endettement est beaucoup trop élevé, il faut renoncer à toute mesure. Selon Isabelle Roig, « pour des personnes qui ont autant de dettes couplée souvent avec une saisie sur le salaire, on va plutôt s’orienter sur une faillite personnelle, même si c’est une mesure palliative de dernier recours ».
Toutes les personnes qui font appel à la Fondation, pour autant qu’elles remplissent globalement les critères, sont toutes reçues lors d’un entretien très complet qui dure entre une heure et une heure et demie. Il s’agit de réaliser une analyse globale de la situation. Les demandeurs peuvent bénéficier d’interlocuteurs très compétents capables d’étudier chaque cas et d’orienter en fonction des besoins dans le réseau, le cas échéant, pour obtenir d’autres types d’aide financière ou administrative. Isabelle Roig nous précise que « le formulaire de demande de prêt fait office de procuration, en le signant le demandeur nous autorise à faire toute démarche auprès des autorités compétentes (administration fiscale, office des poursuites,…) ou des créanciers pour obtenir des renseignements sur sa situation financière. Cette procuration est reconnue par ces services ». De plus, tous les aspects juridiques peuvent être traités par un avocat, professeur de droit, membre du conseil de fondation.
Une autonomie financière et sociale
La mission de la Fondation genevoise de désendettement vise à ce que les personnes retrouvent au final une autonomie financière et sociale au travers de l’assénissement financier. Ainsi toutes les actions entreprises sont en cohérence avec cet objectif de responsabilisation. Et tous les demandeurs qui ont les compétences administratives pour faire leurs démarches seuls sont invitées à le faire.
« Nous ne sommes pas là pour agir à la place des autres » insiste Isabelle Roig. S’adresser à la Fondation pour se décharger de ces démarches en prétextant un manque de temps ou beaucoup de travail n’est pas admissible. En revanche, si les demandeurs se retrouvent totalement démunies ou sans compétences administratives, la Fondation se chargera de les encadrer, même si ce type d’encadrement « à la carte » n’est pas automatique.
La nouvelle campagne de communication 2013
La première campagne de communication sur le thème « Signez avec nous la fin de votre endettement » qui s’est déroulée l’année dernière (2012), fut très sobre, intellectuelle et fondée sur de l’affichage et sur un spot de 20 minutes diffusé dans les cinémas et sur le net. Nous avons constaté, qu’en dehors d’une hausse importante des dossiers à traiter, la plupart des demandes ne répondaient pas aux critères imposés par la Fondation, tant le niveau d’endettement était élevé.
La déléguée nous explique que « les gens qui répondaient à cette campagne étaient des gens « désespérés » qui s’adressaient à nous trop tardivement ».
Pour la nouvelle campagne de communication qui a débuté en septembre 2013 pour une durée de 12 mois, le message a donc été modifié pour contourner l’obstacle de la honte face aux problèmes d’argent et pour inciter les gens à oser demander de l’aide. Il a fallu dépasser ce tabou et toucher les personnes avant qu’il ne soit trop tard. C’est pour cette raison que la nouvelle communication fonctionne sur un mécanisme plus identitaire avec des portraits de personne qui représente la population dans son ensemble (une femme senior, un homme quadragénaire, une femme trentenaire et un couple bi-ethnique). Isabelle Roig nous explique « Nous avons essayé de communiquer avec un panel qui représente Monsieur et Madame tout le monde avec un slogan très simple, très clair 'c’est décidé, je sors des dettes' pour que les personnes se disent : "tiens finalement cet homme ou cette femme ça pourrait être moi. Finalement pourquoi je n’irai pas solliciter de l’aide, même si je peux trouver des solutions par moi-même" ».
Pourquoi utiliser un tram comme support de communication en 2013 ? Sur la base du premier bilan issu de la campagne précédente, il est apparu une adéquation forte entre le moment de départ de la campagne et les demandes qui ont suivies. Il était donc essentiel d’assurer une visibilité maximale et de s’implanter sur le long terme. Ainsi le tram comme support de communication s’est imposé d’emblée, puisque « les Transports Publics Genevois sont visibles, entre ceux qui les utilisent et ceux qui les voient dans les rues, nous ciblons un très large public et le fait que ce soit sur une durée d’une année nous a semblé être le bon choix pour communiquer » nous explique Isabelle Roig.
Il est bien évident qu’après seulement trois mois, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de la campagne 2013 tant au niveau quantitatif que qualitatif. Toutefois, la Fondation a observé une hausse des demandes, qui sont actuellement en cours de traitement. Afin de permettre à la Fondation de faire une analyse statistique qualitative, la question de l’origine de la demande est abordée dans le questionnaire initial de constitution du dossier que les futurs bénéficiaires doivent remplir.
En conclusion, même en Suisse, un pays réputé économe, la problématique de l’endettement est devenu un sujet de société. De nombreuses voix, tant au niveau économique que politique, demandent un renforcement de l’éducation financière dans nos cantons. Des programmes de prévention de l’endettement sont mis en place auprès des adolescents et des jeunes adultes. « Le sujet intéresse encore trop peu les statisticiens et les politiciens en Suisse » souligne Sébastien Mercier, juriste de DCS. Mais la situation semble pourtant évoluer, puisque des procédures de consultation se déroulent actuellement au parlement à Berne, l’une visant à interdire la publicité en faveur des petits crédits (initiative parlementaire Aubert) et la seconde, sur la loi sur les poursuites, qui prévoit d’annuler les commandements de payer injustifiés (initiative parlementaire Abate).
Nous pouvons donc constater que le travail de prévention sera long et fastidieux. Des services de conseil en matière d’endettement ont depuis longtemps réalisé l’ampleur de la tâche et ont passé à l’action. A Genève, la Fondation genevoise de désendettement fournit un travail remarquable dont les effets seront sûrement mesurables dans les années à venir.
Dépliant - Fondation genevoise de désendettement
Bonjour!
Ma sœur est à ce moment dans une situation financière très difficile et m'a demandé de lui prêter 10'000 chf. Est-ce que je peux lui prêter de l'argent légalement? Comment je peux le faire en toute sécurité pour moi et ma famille? Merci d'avance.
Cordialement
Marisa
Bonjour, j'ai lu avec beaucoup d'attention l'article. Nulle part il n'est mentionné que les dettes les plus lourdes sont générées par les primes des caisses-maladies ou autres tracasseries de l'Etat. Je suis en ce moment une situation où en deux ans de chômage, une mère de famille avec deux enfants, a généré 27'000.- francs en actes de défauts de biens en primes d'assurance maladie. Qui dit mieux ? Je connais des situations catastrophique où c'est l'Etat et tous ses systèmes de soi-disant prise en charge qui finissent par noyer les gens, à les condamner à être stigmatisés, ne pouvant même plus avoir un bail à leur nom. Ce serait urgent d'intervenir, mais les politiques ne veulent pas voir la réalité en face.