Le monde académique a une structure pyramidale. Il y a plus d’étudiants que de doctorants, plus de doctorants que de jeunes chercheurs (« post-doctorant », dans le jargon académique), et plus de post-doctorants que de professeurs.
Une étude menée en Angleterre auprès de chercheurs ayant obtenu leur doctorat en 2010 montre que seuls 38.1% des participants ont obtenu un poste dans le milieu académique (parmi eux, seuls 20% ont obtenu un poste fixe). La situation est similaire en Suisse. Une grande partie des chercheurs formés dans nos universités se retrouve donc sur le marché du travail en dehors du circuit académique.
Comment considérer ces candidats au profil atypique ? Peuvent-ils représenter un atout pour une entreprise, à travers leurs compétences acquises dans la recherche universitaire ? Quelles sont ces compétences ?
Des cerveaux
Certaines compétences viennent automatiquement à l’esprit lorsque nous pensons à un chercheur. La recherche universitaire exige de la curiosité intellectuelle et une grande rigueur. Il faut un esprit analytique, capable de comprendre et de manipuler des notions abstraites, mais aussi de pouvoir les synthétiser et les expliquer.
Les chercheurs sont encouragés à développer leur esprit critique, tant vis-à-vis d’autrui que d’eux-mêmes. L’idée que la critique contribue au développement de la recherche et des connaissances est ancrée dans la culture académique.
L’écriture d’un doctorat suppose également la capacité d’argumenter – et donc de convaincre. Il ne s’agit pas seulement de faire preuve de logique, de cohérence, et de proposer des arguments valides. Il faut aussi maîtriser l’aspect communicatif et rhétorique qui éveille l’intérêt et rend un argument ou une conclusion percutants.
La tête dans les nuages
Ces différentes qualités ébauchent un profil hautement intellectuel. Bien que ceci ne soit pas en soi négatif, cela peut aisément effrayer un recruteur. L’abstraction intellectuelle est en effet fréquemment associée dans nos esprits avec l’absence de talents pratiques, sociaux, ou encore économiques.
Parmi les images d’Epinal passées à la postérité, il y a la figure du savant fou, qui a depuis longtemps perdu toute notion de la réalité. Corrompu par ses obsessions et ses élucubrations, il en vient à représenter un danger pour la société. L’image évoque aussi le Professeur Tournesol, brillant, bienveillant et inoffensif, mais incapable de gérer le moindre détail pratique, aussi enfantin soit-il. Il faut encore évoquer la figure austère de l’intellectuel arrogant dans sa tour d’ivoire, qui méprise tout ce qui n’est pas abstrait, et qui se croit supérieur au commun des mortels.
Ainsi la recherche universitaire est parfois associée à un manque de sens pratique, voire de bon sens. On imagine le chercheur comme un travailleur solitaire, enfoui dans ses livres, doué pour l’abstrait mais socialement inepte, incapable d’accomplir un « vrai » travail.
Des activités variées
Il est certes possible de retrouver des personnages correspondant à ces stéréotypes dans le monde réel – mais la grande majorité des chercheurs et des doctorants ne correspond pas du tout à cette image.
Une manière de le mettre en évidence est de se pencher sur la recherche universitaire et les différentes activités qu’elle implique.
Le nerf de la guerre: monter un projet et le financer
Avant même de pouvoir s’adonner à la recherche, un chercheur doit pouvoir trouver les fonds nécessaires à la réalisation d’une thèse ou d’un autre projet de recherche. Dans un système particulièrement compétitif, il faut être proactif. Il n’est donc pas rare de devoir monter un projet de toutes pièces afin d’obtenir des financements.
Au quotidien, les universitaires sont souvent aussi amenés à contribuer à la gestion financière et administrative de leur département, pour soulager des professeurs et secrétaires qui ont les mains bien pleines.
La thèse: savoir convaincre
Pour obtenir le titre de « docteur », il faut bien sûr rédiger une thèse, un texte souvent long et complexe qui présente le développement et les résultats d’années de recherche.
Un doctorat ne peut pas porter sur n’importe quel sujet. Il doit apporter une contribution originale et nouvelle au monde de la recherche. Rédiger une thèse, c’est donc aussi développer une approche personnelle, des idées innovantes, des solutions inédites.
La thèse est ensuite défendue devant un comité d’experts, qui soumet le candidat à un interrogatoire implacable, pointu et exigeant. Le doctorant doit donc maîtriser son sujet, mais aussi être un bon orateur et pouvoir réagir à brûle-pourpoint, improviser pour défendre ses thèses et convaincre.
La communication scientifique
Bien qu’une partie du processus de recherche soit solitaire, il comporte aussi un aspect fondamentalement collaboratif. La communication scientifique, quelle que soit sa forme, est extrêmement importante pour la diffusion des idées et des résultats, ainsi que pour vivifier la réflexion personnelle.
Les conférences universitaires sont un lieu d’échange privilégié pour présenter ses travaux, découvertes et idées, mais aussi pour réagir aux travaux de collègues et y apporter sa contribution.
Par la force des choses, les chercheurs doivent fréquemment s’occuper eux-mêmes de l’organisation, du financement et de la logistique de ces conférences.
La communication scientifique se déploie également par écrit, principalement dans les publications spécialisées. La majorité des chercheurs s’exprime couramment dans au moins une langue qui n’est pas la sienne (généralement l’anglais).
Tous les chercheurs sont également amenés à jouer – gracieusement – le rôle d’expert externe pour la révision d’articles. Il s’agit là de l’un des nombreux « services à la profession » qui s’ajoutent aux tâches officielles des chercheurs.
L'enseignement: savoir transmettre
La majorité des chercheurs participe par ailleurs à l’enseignement prodigué par la faculté. L’une des missions des universités est la formation. Le suivi des étudiants, tant au niveau pédagogique qu’administratif, représente donc une tâche conséquente pour les chercheurs, qui doivent pouvoir gérer des cours de A à Z – depuis la création du contenu jusqu’à l’évaluation et la correction des examens.
Spécialisations des chercheurs
Au-delà de ces compétences générales, chaque domaine d’étude apporte également des connaissances particulières.
Evoluer dans un domaine scientifique appliqué (de la physique à la psychologie) implique par exemple de savoir gérer des expériences (gestion du budget et des fournitures, maîtrise des instruments et machines, etc.).
Dans le cas de certaines sciences humaines (sociologie, anthropologie, etc.), il s’agit d’enquêter sur le terrain, dans des milieux parfois hostiles.
D’autres sciences humaines développent une maîtrise particulièrement fine du langage et de la communication (littérature et langues étrangères, linguistique, philosophie…).
Nous pourrions lister ainsi quantité de capacités spécifiques. Ajoutons simplement que, de nos jours, la recherche devient de plus en plus interdisciplinaire, et un universitaire doit non seulement être passionné par son propre domaine, mais aussi pouvoir travailler efficacement dans un environnement mixte.
Des compétences inattendues
Un portrait alternatif de l’intellectuel universitaire se dessine à travers ces multiples activités. En examinant le quotidien d’un chercheur, nous réalisons qu’il implique un grand nombre de compétences clefs, aisément transférables en dehors du monde académique.
La recherche universitaire nécessite de gérer des projets et d’organiser des événements, et donc d’avoir du sens pratique, de pouvoir obtenir des financements et de savoir gérer un budget.
En raison de la diversité de ses responsabilités, le chercheur doit développer un excellent sens des priorités, pour pouvoir concilier des objectifs et délais de nature très différente (le cours de demain, la conférence à organiser pour cet été, le projet de recherche étalé sur les quatre prochaines années, …).
Evoluer et réussir dans un milieu international aussi hiérarchisé que l’université, au sein d’une machine bureaucratique nécessairement lourde et complexe, suppose aussi de la diplomatie et beaucoup de finesse dans la relation à autrui.
Un chercheur accompli est habitué à travailler sous pression, polyvalent et autonome. Il maîtrise de nombreuses compétences appréciables pour un recruteur. Il serait donc dommage de ne pas faire profiter nos entreprises de ces précieuses ressources humaines.
Ressources :
A propos des compétences acquises dans la recherche universitaire
Référentiel de compétences acquises par les titulaires d’un Doctorat ès Lettres en Suisse
What to do with your PhD in Philosophy — Outside of Academia
An Incomplete List of Graduate Student Skills
Pour les chercheurs envisageant une carrière non-universitaire :
http://www.beyondacademe.com/
https://www.phds.me
https://erudera.com/study-programs/phd-degree
https://versatilephd.com/
https://fromphdtolife.com/resources/
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