Paul Sébastien
Le changement climatique est au cœur de l’actualité. Devant cette urgence, de nouvelles solutions pour un monde en neutralité carbone sont réclamées.
La crise climatique s’invite aussi dans le secteur du négoce des matières premières.
Des entreprises investissent sur ces sujets, et s’engagent dans la réduction de l’empreinte environnementale du groupe, comme par exemple Gunvor.
Nous avons rencontré Paul Sébastien, qui a fondé avec Christophe Riedi « Climate Neutral Commodity », afin qu’il nous présente cette initiative.
La Suisse, plaque tournante dans le négoce
La Suisse est une des places les plus importantes du négoce des matières premières.
C’est depuis le territoire helvétique que se négocient la majorité des transactions physiques :
- 40% pétrole et gaz,
- 50% matières premières agricoles,
- 60% métaux.
Ces matières premières négociées ne touchent que rarement le sol suisse.
Une question se pose : Quel rôle peut jouer le secteur des matières premières dans le changement climatique ?
Le rôle majeur des entreprises dans le changement climatique
Pour Paul Sébastien, les producteurs ou négociants ont chacun un rôle à jouer, tout d’abord en tant qu’entreprises, en mesurant et en réduisant leurs propres émissions carbone, mais aussi dans la promotion de marché de matières de matières premières décarbonées.
L’empreinte carbone doit être considérée comme un élément constitutif d’une matière première. Là où les acheteurs sont de plus en plus nombreux à demander des matières premières à faible empreinte carbone, les acteurs du négoce ont un rôle à jouer, et un intérêt à répondre via des offres correspondantes, voire des matières premières neutres en carbone. Le sujet de la transparence et donc de la crédibilité d’annonce de neutralité carbone est centrale.
Il ajoute que les banques ont un rôle déterminant à jouer. Les acteurs financiers sont de plus en plus nombreux à mettre en place des conditions de financement privilégiées pour des transactions neutres en carbone.
Investissement et promotion des matières premières à bas carbone
Il faut aussi mettre en lumière les entreprises qui investissent dans des projets de réduction et de compensations des émissions associées à leurs activités, et celles qui investissent dans les nouvelles énergies essentielles à la décarbonation de nos économies (comme l’hydrogène vert, le biogaz). C’est un changement de paradigme offrant aussi de nombreuses opportunités.
De son côté, le Conseil fédéral doit promouvoir le marché des matières premières à bas carbone, et créer un écosystème, ce qui implique de communiquer.
Il faut supporter la mise en place du marché carbone neutre et accompagner l’émergence de ces marchés.
Présentation de « Climate Neutral Commodity »
Paul Sébastien constate que l'industrie des matières premières est confrontée à la pression des nouvelles réglementations environnementales et à la demande des contreparties (acheteurs, banques, etc.) pour qu'elle réduisent l’empreinte carbone des matières premières.
En conséquence, les acteurs du secteur doivent s’engager à atteindre des objectifs de neutralité carbone et à mettre en place des chaînes d'approvisionnement décarbonées.
Dans le même temps, les banques de financement tentent également de répondre à la demande du public, des actionnaires et des clients, qui souhaitent faire de la durabilité une priorité dans leurs décisions de financement et d'investissement.
C'est dans ce contexte que l'initiative "Climate Neutral Commodity" (CNC), basée à Genève, a été lancée il y a un an, par Paul Sébastien, Christophe Riedi et Geir Robinson avec le soutien de Commodity Trading Advisory.
L'objectif de « Climate Neutral Commodity » est d’apporter transparence, standardisation, et vérification dans les annonces de neutralité carbone dans l’industrie ainsi que d'accompagner les sociétés dans la mise en place de transactions neutres en carbone.
Un protocole de certification transparent
L'initiative a défini un protocole de certification transparent expliquant comment calculer, reporter et compenser l’empreinte carbone d’une transaction, et exige une vérification par une tierce partie, société de vérification et certification indépendante.
« Climate Neutral Commodity » accompagne aussi les acteurs de l’industrie, en les conseillant sur la mise en place d’outil de calcul de l’empreinte carbone, dans l’accès au marché carbone.
Il poursuit en détaillant les actions à entreprendre pour une société.
Elle doit tout d'abord avoir une feuille de route. La société doit être engagée dans un plan à long terme de réduction des émissions. Les émissions résiduelles, quant à elles, peuvent être compensées par des crédits carbones.
CNC est accompagnée par un advisory board, soit un conseil consultatif, rassemblant des professionnels et des dirigeants de l’industrie, du secteur financier, de la finance durable, mais aussi de la transition environnementale, ainsi que des sociétés d’audit, de certification et d’inspection.
Les consultations avec les ONG ont pris fin, il y a quelques mois.
L'objectif est une fois de plus d'apporter de la transparence et de garantir que le label "Climate Neutral Commodity" repose sur les meilleures normes et un processus de délivrance vérifié.
Les émissions de gaz à effet de serre
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont à l’origine du changement climatique et de ses impacts sur la planète.
Pour lutter contre le changement climatique à l’échelle de l’entreprise, le point de départ impératif est de mesurer ses émissions de gaz à effet de serre.
Le Protocole sur les Gaz à Effet de Serre - Protocole GES - ou GHG Protocol est un protocole international proposant un cadre pour mesurer et gérer les émissions de gaz à effet de serre provenant des activités des secteurs privé et public.
Il est né à la fin des années 1990. À cette époque, le World Resources Institute et le World Business Council for Sustainable Development reconnaissent la nécessité d'une norme internationale pour la comptabilisation et la déclaration des GES par les entreprises.
Comment les émissions sont-elles catégorisées ?
Afin de faciliter le calcul des émissions de gaz à effet de serre issues de l’activité d’une entreprise, une catégorisation en trois scopes existe.
Paul Sébastien énumère ces 3 scopes :
Le scope 1 : Ce sont les émissions directes associées à l’activité de la société.
Le scope 2 : Ce sont les émissions associées à l’énergie utilisée.
Le scope 3 regroupe quant à lui toutes les émissions indirectes de gaz à effet de serre qui ne sont pas liées directement à l’activité de la société, mais à sa sphère d’influence. Par exemple, pour un industriel consommateur de matières premières, le scope 3 inclut les émissions associées au cycle de vie des matières premières utilisées, de leur extraction, leur transformation et leur transport jusqu’à ladite société.
Concernant le secteur des matières premières
La mesure de l'empreinte carbone d’une matière première est complexe.
Il faut définir le périmètre à mesurer (de l'extraction à la livraison ou à la consommation finale), prendre en compte les principaux gaz à effet de serre et calculer l’empreinte carbone équivalente avec des données mesurées sur sites, ou avec des facteurs d’émissions reconnus et spécifiques à chaque processus industriel.
Les principaux acteurs de l'industrie du négoce ne disposent que de certaines données relatives à leur activité dans la chaîne de valeur. Le calcul de l'empreinte de l'ensemble d'une chaîne de valeur est un processus délicat. Il en va de même pour le processus complexe de compensation de l'empreinte carbone dans un marché avec diverses normes de réduction volontaire des émissions.
Les enjeux sont importants en termes d'efficacité et d'impact réel, mais surtout en termes de crédibilité et de réputation, pour savoir comment l’entreprise a calculé l’empreinte carbone et les standards utilisés.
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