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Droits des Femmes : Deux rencontres, deux interviews

Écrit par Lorenzo Romano
Paru le 2 février 2023

femmes

Durant un forum aux Nations Unies de Genève sur les droits de la Femme auquel j'ai été invité, j'ai eu la chance de pouvoir m'entretenir avec deux participantes de nationalité et de culture très différentes de la nôtre et qui ont eu la gentillesse, quelques jours plus tard, de m'accorder chacune une interview personnalisée approfondissant un peu plus les faits évoqués durant leur présentation à la table ronde.

La première est sénégalaise vivant actuellement en Californie. Son témoignage parle de la première partie de son existence à Dakar, où elle décrit les relations professionnelles avec les hommes en général, ainsi qu'avec son mari en particulier.

La deuxième est afghane, ancienne diplomate auprès de l'OTAN à Kaboul. Elle a quitté le pays suite à l'avènement du nouveau pouvoir taliban en août 2021. Militante engagée, elle me relate l'histoire récente de son pays et la condition de ses compatriotes féminines en général, les changements survenus  avec ce retour en arrière de vingt années et l'appauvrissement global de la société, « celle-ci n'étant plus gouvernée par des personnes compétentes ».

 

Du Sénégal à la Californie

femmesConfortablement installés dans le salon d'un hôtel de la place, au son d'une musique diffuse et douce, Françoise* entame son histoire depuis le début, dans son pays d'origine, le Sénégal.

Elle évoque d'emblée et sans préambule les propositions harcelantes qu'exercent très tôt les hommes sur les jeunes étudiantes qui désirent obtenir une bourse d'étude, bourse obtenue non pas suite à de brillants résultats scolaires mais bien par des faveurs en échange d'un service rendu. « Les jeunes femmes » poursuit-elle, « n'ayant pas un « oncle influent » se retrouvent souvent confrontées à cette situation pour tous types de promotions, et cela à de nombreuses reprises au cours de leur existence ». Françoise ajoute que beaucoup de femmes sont précisément exclues des sphères décisionnelles par simple refus de « coopérer » avec des hommes qui se trouvent à des postes clés.

Même si nous relevons durant l'entretien que ce type de phénomène se produit également dans les pays occidentaux, Françoise précise que dans les pays développés, il existe des structures vers lesquelles les femmes victimes de harcèlement ou d'injustice peuvent se tourner et bénéficier d'une écoute et d'une protection, ce qui n'est pas le cas au Sénégal où les autres femmes ne sont souvent pas solidaires des plaignantes, pour des divers motifs, notamment liés à la tradition : habituées au silence, le fait de rompre celui-ci dérange, « fait des remous inutiles » selon elles, dans la famille et la société, au point que la situation finit par se retourner contre les victimes.

Françoise parle aussi de la relation avec son mari, décrite comme celle d'un homme avec un « objet qu'il contrôle, au même titre qu'une télévision ».

Suite à des violences conjugales, Françoise va demander le divorce. Le mari s'y opposera.

Confrontée au fil des mois et des années à une situation qui n'évolue pas en sa faveur, elle décide de partir pour la Californie « avec 50 Euros en poche, ses deux enfants en bas âge et dans un pays où elle ne connaissais personne ». Le plus important dit-elle était d'échapper à cette situation qui, elle l'avait compris, ne changerait pas.

Elle bénéficie, à son arrivée à Los Angeles, d'un permis de séjour en attendant que l'administration locale statue sur sa situation. Elle trouve un premier emploi dans une « warehouse » (entrepôt) qui consiste dans un premier temps à déplacer de la marchandise lourde, puis plus tard un deuxième travail en tant qu'assistante à une personne âgée. De fil en aiguille, sa situation s'améliore. elle obtient le divorce, puis également la garde de ses enfants. Elle créé une ONG à Los Angeles pour soutenir et aider les femmes dans des situations similaires, spécifiant que l'accès au pouvoir d'achat est un des éléments clé de l'émancipation de la femme dans son pays.

 

De l'Afghanistan à la Suède

femmesFarima*, quant à elle, est une diplomate d'origine afghane. Bien assis sur le moelleux divan d'un pâtissier genevois de renom, elle me remémore les événements qui ont ponctués l'histoire de son pays durant les quarante dernières années.

Après la guerre avec l'URSS, de 1979 à 1989 viendra l'implosion de l'Union Soviétique. Et en 1996, sept ans après le retrait des troupes russes, les talibans s'installent une première fois aux commandes de l'état afghan pour cinq ans. En 2001, c'est aux troupes de l'OTAN d'occuper le pays pour le libérer et le débarrasser de ce gouvernement qui protégeait et cachait l'ennemi public numéro un des Etats-Unis d'alors, Oussama Ben Laden. Retour donc à une vie plus « acceptable » pour la population féminine sous l'égide de l'Occident, durant vingt années exactement, où ces dernières ont pu retrouver le chemin de l'école et du travail, sortir seules et avoir des initiatives personnelles.

Farima elle-même avait commencé son affectation au ministère des affaires étrangères en 2010. Elle souhaitait faire une carrière en tant qu'ambassadrice ou devenir peut-être même ministre. Mais onze ans après des débuts prometteurs, ses rêves s'effondrent. Elle assiste, impuissante, à l'encerclement progressif et inéluctable de la capitale par les talibans suite à l'annonce du retrait imminent des troupes américaines.

On se souvient de l'effroi qui a saisi la population afghane à l'approche de ces troupes rebelles venues du nord durant l'été 2021 et du départ des « protecteurs occidentaux ». Nous avons encore en mémoire les images de la ruée vers l'aéroport de Kaboul de ces hommes et de ces femmes épouvantés à l'idée de leur sort sous le prochain gouvernement composé de moudjahidins.

C'est dans cette panique généralisée que Farima a réussi à quitter le pays. Elle fut accueillie en Suède, où elle était déjà allée auparavant pour représenter son gouvernement.

Et c'est depuis sa nouvelle patrie qu'elle débute sa vie de militante engagée, décrivant sans détour le retour en Afghanistan d'une condition féminine désastreuse, condition qu'avait déjà connu le pays, rappelons-nous, de 1996 à 2001 : « la femme afghane n'a plus le droit de fréquenter l'école, encore moins de faire des études. Confinée à demeure, elle ne peut sortir qu'accompagnée d'un homme, le visage et le corps complètement couverts la plupart du temps. Défense également de regarder et de parler à un homme en dehors de ceux de la sphère familiale. Sa seule destinée et fonction dorénavant est d'être mariée, comme première, deuxième ou troisième épouse et de procurer une bonne dizaine d'enfants à la famille » nous explique simplement Farima.

« Il est donc inutile de préciser que les autres femmes qui ont travaillé au ministère des affaires étrangères comme Farima, et qui n'ont pas quitté le pays, ont toutes été licenciées. Inutile aussi d'ajouter qu'il n'y a aucune représentante du genre féminin dans le gouvernement actuel de Kaboul » s'empresse-t-elle d'ajouter.

De plus, depuis plus d'une année que les talibans se sont installés aux commandes du pays, l'insécurité alimentaire règne. Et pour cause, parmi les « ministres », les membres du cabinet en place depuis le 15 août 2021, d'aucun n'a suivi une formation, une école qui permette d’acquérir le savoir minimal nécessaire pour diriger un pays. La seule filière scolaire pour les jeunes talibans est l'école islamique d'Islamabad au Pakistan, qui comme on peut s'en douter, n'enseigne que les préceptes du Coran, et donc pas de formation en administration et en économie. Et toute structure gouvernementale classique nécessaire à la gestion d'une nation au sens large a été foulée aux pieds dès l'arrivée au pouvoir de ces nouveaux dirigeants.

Et Farima de conclure : « Mis au ban de la société internationale, le seul revenu actuel du pays, est dû au commerce illicite de l'opium. C'est une crise humanitaire, et c'est encore plus difficile à vivre pour les femmes, étant donné leur champs d'action grandement diminué et leur participation aux décisions réduite à néant ».

Petite note positive à ce témoignage (ndlr) : un journal télévisé a annoncé que depuis peu, un début d'aide humanitaire est parvenu semble-t-il jusqu'en Afghanistan pour les plus démunis, par le moyen d’avions-cargos des Nations Unies.

 

Brève conclusion

C'était une chance unique de pouvoir bénéficier de la présence à Genève de ces deux femmes, m'ayant délivré leur expérience personnelle, séjournant pour peu de temps en Suisse, le temps d'un forum. Après cet interlude helvétique, elles sont toutes deux retournées à leur nouvelle vie, loin de leur patrie et de leurs racines, dans leur pays d'adoption.

Le destin de deux femmes courageuses qui ont choisi de vivre libres, renonçant pour Françoise au confort matériel et financier, à ses repères familiaux ainsi qu'au cercle d'amis, bref, à tous ces éléments qui structurent une existence et la consolide, pour aller au-devant d'un inconnu rude, parsemé quotidiennement de nouveaux obstacles qu'elle a dû affronter seule, avec 50 Euros pour toute réserve financière et deux enfants en bas âge.

Quant à Farima, c'est non seulement sa patrie, mais également une carrière et vingt ans d'espoir d'une relative prospérité pour son pays qu'elle a laissé derrière elle. Mais dans son cas, il n'y avait pas le dilemme du choix, vu sa situation au sein d'une administration perçue au yeux des nouveaux occupants comme une trahison. C'était une question de survie comme pour beaucoup de ses semblables. Il n'en demeure pas moins que le changement est également de taille, le dépaysement culturel complet et la réadaptation un processus qui prendra beaucoup de temps, observant de loin le naufrage progressif de ses compatriotes et de pratiquement toutes les structures nationales sous le joug autoritaire d'une dictature religieuse.

En terminant ces lignes, j'ai en tête que nombreuses sont probablement les femmes qui ont vécu des situations comparables, mais qui n'ont peut-être pas eu la chance de trouver un pays d'accueil généreux comme Françoise et Farima, leur permettant de se reconstruire progressivement, autrement, dans la dignité et au sein d'un environnement stable et plus serein.

 

Du même auteur :

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