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Ecoles fermées : le défi de nos enseignants

Écrit par Canelle Feuerstein
Paru le 16 juin 2020

Ecoles à distance

Eve Martina Carrard, enseignante à l’école primaire de Perly-Certoux depuis 21 ans, nous raconte son expérience de l’école à distance avec sa classe de 1P-2P.  

 

Pendant longtemps, le vendredi 13 mars 2020 restera dans les mémoires. En Suisse, la population a dû faire face à une situation encore jamais vécue par nos générations. En effet, en réponse à la crise sanitaire liée au COVID-19, le Conseil Fédéral et les cantons décident de fermer les écoles jusqu’à nouvel avis.

« Depuis quelques semaines, les procédures de mesures d’hygiène étaient entrées dans les mœurs, on se lavait les mains tout le temps. On parlait du virus, mais sans s’alarmer. Une semaine auparavant, je rassurais les parents en disant que la situation était sous contrôle et qu’il n’était pas question que l’école ferme ». Eve Martina Carrad, enseignante d’une classe de 1P-2P à l’école de Perly-Certoux, nous raconte comment l’enseignement à distance s’est mis en place et comment ses élèves, leurs parents et elle ont fait face à cette période exceptionnelle.

 

Mise en place de l’école à distance

Contre toute attente, à 15h30, le vendredi 13 mars, Eve reçoit l’e-mail annonçant la fermeture de l’école. Elle choisit d’en parler tout de suite à ses élèves, âgés de 4 à 6 ans. Il est donc important de leur annoncer que leur rythme de vie va être chamboulé et qu’ils ne reverront pas leur maîtresse après le week-end.

Ils ne reviendront pas à l’école la semaine suivante, ni celles d’après : certains pleurent, ils comprennent que la situation est inédite.

Ne voulant pas laisser ses élèves et leurs parents dans l’incertitude, l’enseignante créée pendant le week-end un groupe sur l’application WhatsApp. Elle pouvait ainsi donner très rapidement des informations sur la mise en place des solutions pour les semaines à venir et garder le lien.« Dès le début, cela a permis de dédramatiser et de garder un lien avec chaque famille. A ce moment-là, je ne pensais pas que cela nous permettrait de faire vivre notre classe, même virtuellement ».

 

Une semaine « chantier »

Le lundi 16 mars, commence alors la semaine « chantier ». En effet, la direction et les enseignants se réunissent pour mettre en place l’école à distance. La ligne directrice du Département de l’Instruction Publique (DIP) pour toutes les écoles genevoises est la même : « ne pas introduire de nouvelles notions à partir du 13 mars, mais consolider les acquis à distance».

Heureusement l’année scolaire compte déjà deux trimestres. Il y a donc suffisamment de matière à consolider sans prendre trop de retard, si les enfants ne devaient pas retourner à l’école avant les vacances d’été. L’impossibilité de terminer les programmes est importante, mais reste gérable pour les écoliers primaires qui ne changent pas de cycle à la rentrée prochaine.

Cela est autrement plus difficile à mettre en place dans le cas de l’entrée au Cycle d’Orientation pour les élèves de 8P. Avec le changement d’établissement, la communication entre les professeurs n’est plus à même échelle.

 

Des solutions technologiques fournies par le SEM

« On travaille tous ensemble pour mettre en place un fonctionnement. Heureusement, nous avons énormément de ressources au niveau du SEM, le Service écoles-médias à Genève, la branche du DIP qui s’occupe des technologies numériques dans l’enseignement – comme la plateforme Petit-Bazar – que les enfants utilisent régulièrement en classe». L’école à distance prend donc forme grâce aux plateformes de partage de fichiers en ligne. Le SEM propose des solutions et les enseignants mettent tous à disposition leurs ressources personnelles.

Les plus jeunes s’investissent dans la création de tutoriels sous forme de vidéos, afin d’expliquer aux autres enseignants et aux parents comment utiliser les plateformes et accéder aisément aux documents sur internet.

 

Faire vivre la classe et garder le rythme

Après cette semaine de battement, le lundi suivant, l’école à distance est opérationnelle. Eve Martina Carrard et ses collègues de l’école de Perly-Certoux sont prêts.

Ensemble, ils mettent à disposition les travaux, sous forme de dossiers regroupés par degré. Ainsi tous les élèves de l’école, par volée, ont accès, aux mêmes documents, ce qui permet d’éviter les écarts entre les classes du même âge.

Les dossiers de travaux à effectuer durant la semaine sont disponibles en ligne depuis le dimanche soir.

Après de nombreux appels téléphoniques avec les parents, il faut alors expérimenter cette école en distanciel. Les parents sont mis à contribution de manière inédite, d’où l’importance de garder un contact régulier.

Dans le cas d’Eve Martina Carrard, le groupe WhatsApp devient alors l’outil le plus important pendant cette période de semi-confinement.

 

Apporter les mêmes chances à chaque élève

La question des inégalités entre les familles d’élèves se pose rapidement. Déjà présentes et non négligeables dans le cadre traditionnel de l’enseignement primaire, elles sont alors accentuées dans le fonctionnement de l’école à distance. « Les enfants n’arrivent déjà pas avec les mêmes chances à l’école. Certaines familles sont plus stimulantes à la maison. Nous avons une mission : apporter les mêmes chances à chacun ». En effet, quelques familles de la classe de 1P-2P d’Eve Martina Carrard n’ont pas de connexion internet ou d’ordinateur à la maison.

Il y a eu des disparités entre les élèves et entre les écoles pendant les huit semaines de semi-confinement. Cependant, tous les acteurs de l’éducation ont mis en place des solutions afin d’atténuer au maximum ces inégalités. Notamment, le SEM, qui a mis à disposition les tablettes prévues pour la classe, aux familles qui en avaient besoin.

 

Une situation enrichissante, en famille

Les journées d’enseignement sont « perdues », elles ne pourront être rattrapées. Néanmoins, d’autres types d’activités éducatives ont pris place dans l’environnement familial. La situation était à la fois nouvelle, peut-être anxiogène, mais surtout enrichissante. Les enfants ont mûri.

Les élèves d’Eve Martina Carrard ont fait des activités de maths, de français, mais aussi des créations artistiques. Tous les jours les enfants devaient réaliser des défis qui impliquaient, si possible, la famille. Ils se filmaient et envoyaient leurs résultats par e-mails ou sur le groupe WhatsApp. « Les notions ont été consolidées. Je l’ai vu dès le retour en classe. Tous mes élèves ont progressé, même si certaines activités n’ont pas été faites… mais, parce qu’ils avaient, par exemple, été faire une balade en forêt avec leur famille ».

Il était nécessaire que les enfants gardent un rythme de travail. Les temps de travail et de loisirs ont été marqués, autant en semaines, que pendant les vacances de Pâques, comme en temps « normal ». Les familles ont réappris à vivre ensemble d’une nouvelle manière, ce qui a été indéniablement précieux pour les enfants et leur développement.

 

Retour à l’école

Les instructions publiques suisses ont rapidement décidé de valider l’année scolaire. « Il était difficile d’imaginer, dans le cas d’un retour à l’école avant fin juin, évaluer les élèves à tout va. Il va falloir être vigilants, car la rentrée de septembre prochain ne va pas être la même que d’habitude ». De manière générale, les enfants maîtrisent le programme, mais les enseignants devront être plus attentifs sur les petites lacunes éventuelles de chacun dès le début de l’année, surtout en cas de changement de professeur ou d’établissement.

Le retour à l’école le 11 mai, a permis à nouveau d’introduire de nouvelles notions, mais à mi-temps et en demi-groupes. Le but n’était pas non plus d’assommer les enfants pour terminer à tout prix le programme, mais de permettre aux élèves de passer au degré suivant le plus sereinement possible. Une reprise progressive a rendu possible l’évaluation du niveau de chacun. Puis, le retour à 100 % deux semaines plus tard, restaure le rythme habituel pour tous, avant les huit semaines de vacances estivales.

 

Un groupe WhatsApp comme lien, le temps du confinement

Dans le cas d’Eve Martina Carrard, le groupe WhatsApp a vraiment été le fil conducteur pour permettre à la classe de continuer d’exister et d’aborder un retour en classe paisiblement. « Je n’envisageais à aucun moment de faire classe en ligne. Ça ne fait pas sens, car ils sont petits… Le groupe permettait donc aux élèves de rester en contact entre eux, d’échanger les informations importantes avec les parents… mais aussi de les motiver, de les encourager ».

Grâce à cet espace d’échange, le retour à l’école s’est très bien déroulé pour la classe de 1P-2P, car, les élèves sont revenus d’autant plus solidarisés. Pourtant, le groupe WhatsApp s’éteindra progressivement avec les vacances scolaires : « Nous sommes revenus à des modes de fonctionnement et de communication traditionnels ».

 

Des outils numériques qui ont fait leur preuve

En revanche, il est évident que certains outils pourront peut-être perdurer dans l’enseignement « post COVID-19 », comme par exemple, l’accès possible aux plateformes du SEM pour les familles.

Ces nouveaux outils d’apprentissage passent évidemment beaucoup par les écrans: «Il ne faut pas être dans du numérique tout le temps, mais je pense qu’au niveau de la consolidation des acquis à la maison et de manière ludique, l’écran est intéressant ». Cette expérience a permis à ces outils de faire leurs preuves. C’est ce qu’il faut retenir de cette expérimentation de l’école à distance, autant au sein du corps enseignant qu’auprès des familles.

« On a tous appris, on a tous grandi face à cette situation : grâce à la solidarité, la mise à disposition de ses ressources personnelles et le temps en famille ». Eve Martina Carrard tient à garder un regard positif sur toute cette période. Cet état d’esprit est probablement à l’origine du bon déroulement de l’école à distance pour elle et ses élèves, qu’elle accueille toujours avec le même enthousiasme et dont elle parle avec grande affection.

Remerciements : Madame Eve Martina Carrard et sa classe de 1P-2P, Monsieur le Directeur Frédéric Heiz, l’école primaire de Perly-Certoux et son corps enseignant.

 

Crédits photo : Photo by Feliphe Schiarolli on Unsplash

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