Pour ce premier article de notre série d'été consacrée à Genève et ses liens avec le monde de l'espionnage, retour sur le cas d'un éphémère résident genevois pas tout-à-fait comme les autres, Edward Snowden. Sans refaire toute une chronologie du personnage et de ses faits d'armes plus qu'abondamment relayés par la presse du monde entier, l'objet de cet article est plutôt de se focaliser sur une période que l'ancien agent de la NSA invoquera lui-même comme charnière dans sa prise de décision et les choix qui l'ont amené à rendre publiques des informations classées secret-défense par le gouvernement des Etats-Unis. Chronique de deux années formatrices à Genève.
Mars 2007 - février 2009. A peine quelques années avant de devenir l'un des whistleblowers les plus connus de l'histoire, un certain Edward Snowden arpente pendant des mois les paisibles rives du lac Léman. Employé par la mission des Etats-Unis à Genève en qualité de technicien informatique, son poste est avant tout une couverture cachant des activités un peu moins avouables au grand public relevant de ce que le gouvernement des Etats-Unis considère comme de sa sécurité nationale, à savoir son programme de renseignement. Une parenthèse avant la tempête pour le jeune homme, tant sa vie sera bouleversée par ses propres révélations au sujet de ses activités au sein des agences de renseignement américaines. Catapulté à la une de tous les médias du globe, il semble difficile d'imaginer quelqu'un qui n'aurait pas entendu l'évocation de son nom ou lu le moindre article à son sujet. Pourtant, le jeune Edward n'était pas réellement prédestiné à devenir l'un des traîtres ultimes pour le gouvernement de la plus grande puissance du monde.
"Ce que j'ai vu à Genève a brisé toutes mes illusions sur le fonctionnement de mon gouvernement, j'y ai pris conscience que je faisais partie de quelque chose qui faisait beaucoup plus de mal que de bien" , Edward Snowden
Force est de constater de prime abord que le personnage intrigue par son parcours. Fervent patriote, il s'engage dans l'armée américaine en 2003 avec le souhait d'intégrer une unité d'élite. Selon ses propres dires, Edward Snowden se sent "comme investi d'une obligation, en tant qu'être humain, de contribuer à la libération d'un peuple sous oppression". L'administration Bush se trouve alors en pleine guerre d'Irak. Cette aventure ne s'avérera toutefois pas concluante et celui-ci sera, selon sa propre version, écarté du terrain suite à un accident qui lui a brisé les deux jambes. Repéré pour ses qualités d'informaticien, Snowden est d'abord engagé dans la sécurité informatique par une société privée, puis directement par la CIA. L'agence l'envoie par la suite à Genève où il aurait déployé ses compétences dans la cyber-sécurité.

Que s'est-il passé pendant ces 24 mois ? Quelles ont été les activités de Snowden en tant qu'employé de la mission américaine à Genève ? Pourquoi ces années à Genève lui ont fait changer sa perception de ce qu'il considérait être de son devoir ?
Lors de son passage à Genève, Snowden dispose d'un appartement de fonctions au 16 quai du Seujet. La mission y a en effet ses habitudes, plusieurs de ses employés sont logés dans ce grand immeuble. Confortablement installé dans un quatre pièces avec vue sur le jet d'eau, Edward Snowden profite de la douceur de vivre dans la petite cité lémanique, bien à l'abri derrière un passeport diplomatique. Pour ses amis, sa famille, il vit sûrement une belle expérience professionnelle en Europe. Ces derniers sont loin d'imaginer que le jeune homme travaille sous couverture pour les services de renseignement américains. Son quotidien ? S'assurer que les grandes oreilles de la mission américaine fonctionnent correctement en transmettant tous les éléments provenant des écoutes secrètes à la CIA. Selon des informations que Snowden révèlera plus tard, Genève serait l'un des points névralgiques de ces activités et l'une des 80 villes où le gouvernement américain procède à ce genre d'écoutes. Rien de surprenant à cela, tous les pays du monde s'espionnent les uns les autres. La différence résidant ici dans la surpuissance américaine qui de facto dépasse de très loin les autres en termes de moyens, dans le renseignement comme dans le domaine militaire. A Genève, la mission des Etats-Unis dispose d'un emplacement idéal en face du Palais des Nations et tout près de la représentation russe, du CICR et de toutes les agences onusiennes. En tant qu'employé chargé de la sécurité des données et des antennes, Edward Snowden y dispose de tous les accès envisageables. La plupart de ses collègues n'ont probablement pas la moindre idée de son rôle réel.
Le banquier et la CIA
Une anecdote va néanmoins marquer l'employé, elle sera la première de la série qui le conduira à se remettre en question. Dans sa désormais célèbre interview au Guardian, il raconte par le détail comment une opération digne de la série Homeland aurait été menée par ses collègues dans l'opérationnel. Selon ses dires, l'objectif était le recrutement stratégique d'un banquier dans l'intention d'en faire un informateur fiable. Les agents auraient ainsi approché cette personne et l'auraient fait boire dans l'intention qu'il rentre chez lui en voiture. Les agents se font passer pour des officiers de police et l'arrêtent sur le chemin du retour. Craignant par dessus tout des ennuis avec son employeur, le banquier aurait accepté "l'aide" proposée par l'espion en échange de renseignements. Qui était le mystérieux banquier ? Aucune information n'a filtré à ce jour sur son identité.
Tout va par la suite s'accélérer rapidement, et les contours de ce qui semblait être une vie pleine de certitudes et de missions à accomplir vont progressivement laisser place à une grande amertume et un besoin de partager avec le monde. D'abord satisfait par son expérience et l'excitation de ses activités dans l'arc lémanique, Snowden devient de plus en plus aigri et vit un décalage permanent entre ce que lui dicte sa conscience et ses objectifs. Après avoir quitté Genève et la CIA, il part pour un nouveau poste au Japon et tout le reste fait désormais partie de l'histoire.
Avant les révélations fracassantes, avant d'être attrapé par la machine médiatique et judiciaire sans possibilité de retour, Edward Snowden a été le témoin et l'acteur de cette Genève de l'espionnage à laquelle si peu de personnes ont accès. Ainsi, le passage de l'agent Snowden a Genève est plus qu'anecdotique. Il aura marqué un tournant décisif dans sa vie. En jetant cet immense pavé dans la mare, Edward Snowden n'a pas seulement créé un débat sans fin entre confidentialité sur internet et sécurité publique. Il a contribué également à faire connaître un aspect de la ville de Genève peu connu du grand public.
Genève, ville d'espions.
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Sources :
https://www.letemps.ch/monde/2013/10/29/geneve-paradis-grandes-oreilles
http://www.20min.ch/ro/news/dossier/snowden/story/22812892
https://www.theguardian.com/world/2013/jun/09/edward-snowden-nsa-whistleblower-surveillance
http://www.rts.ch/info/regions/geneve/4973604-l-adresse-genevoise-de-la-taupe-des-renseignements-americains.html
http://www.rts.ch/info/sciences-tech/reperages-web/6130939-ce-qu-a-raconte-edward-snowden-de-sa-vie-d-espion-en-suisse.html
Crédit photo :Mike Mozart via Flickr