Qu’est-ce qui caractérise la réussite du changement ? Quel sont les regards et les attentes portés vers le management ? Qu’est-ce qui motive profondément l’employé à fournir son dur labeur afin de parvenir à des buts qu’il n’a pas choisis ? Vous pensez que c’est son contrat ? Non, c’est un fil… non, du ciment.
Deux concepts, la justice et l’exemplarité travaillent en cœur pour soutenir « l’effort de guerre », car c’est à ce régime que sont mis les employés. Heures supplémentaires, pertes des repères fonctionnels, stratégiques et hiérarchiques, le changement est synonyme de chaos pour la majorité de l’organigramme.
Le management doit posséder une stratégie claire, non seulement pour éviter de faire fuir les « talents », mais aussi pour impulser la croyance en le changement et abattre les résistances.
Nous avons abordé la question de la justice dans un premier volet. Dans ce second volet, regardons de plus près les effets de l’exemplarité.
Définition de l'exemplarité
La définition simple de l’exemplarité est le caractère de ce qui est exemplaire… Certes ! Être exemplaire, c’est quoi ?
Selon la définition philosophique fournie par le CNRTL : Une cause exemplaire est un « Modèle dont se sert une cause efficiente douée d'intelligence, lorsqu'elle exerce son influence en vue de produire un effet déterminé », la cause efficiente pourrait être les motivations générales du management à changer. ».
Il est important de noter que l’exemplarité ne prend pas en compte les valeurs morales (bien ou mal) et doit être évaluée par ses acteurs selon le contexte dans laquelle elle se situe.
Dans le contexte du changement organisationnel, l’article de Tessa Melkonian (2004), relève deux types d’exemplarité, à savoir :
- L’exemplarité organisationnelle : la cohérence entre les décisions de promotion et de sanctions émises par le management en vue et lors du changement de structure de l’organisation.
- Exemplarité managériale : la cohérence entre le discours et le comportement du management en vue et lors du changement de structure de l’organisation.
Il est important de faire la différence entre l’exemplarité et le rôle-modèle. En effet, le rôle-modèle est un concept d’imitation unilatérale par intérêts communs et cela peu importe le contexte : j’admire X, je vais reproduire les comportements de X et ses attitudes.
L’exemplarité est, quant à elle, un faisceau où se concentre toutes les bonnes pratiques et idées qui correspondent à nos valeurs et nos points communs et qui nous paraissent surtout justes. C’est dans un contexte précis et ce faisceau balaie l’individu autant que la foule.
L’apprentissage vicariant de A. Bandura ou la « théorie de l’apprentissage sociale » est un concept important en psychologie, mis parfois en avant dans le cadre de l’exemplarité. Il s’agit (d’) « un courant du comportementalisme qui s'intéresse à la construction de la personnalité, envisagée comme un ensemble d'habitudes apprises en réponse aux stimuli de l'environnement. Le processus d'apprentissage obéit au principe du conditionnement instrumental et s'effectue par imitation lors de l'exposition au modèle. Il est de plus particulièrement influencé par le jeu des récompenses et punitions qui émanent du milieu social ». (Briefer, 2009).
Pour résumer, nous avons la capacité d’imiter des comportements si nous percevons un intérêt positif à l’exercer ; l’inverse est également applicable, c’est-à-dire ne pas imiter un comportement s’il est préjudiciable.
Cela n’est pas applicable en ce qui concerne le changement d’organisation pour la simple et bonne raison que nous n’imitons un comportement que si nous connaissons les règles du jeu pour gagner. Or, lors de ce processus, les règles sont opaques et le modèle que nous voudrions suivre ne joue pas dans la « même cour ».
Par contre, cela est possible quand les règles sont stables et le système de récompenses/punitions bien établi.
Les besoins des employés
Comment un changement organisationnel doit-il se dérouler pour être optimal en terme de ressources humaines ? Lorsqu’un changement organisationnel est imposé, il y aura naturellement une résistance au changement.
La confusion, la méfiance et l’incertitude ont les rôles du trio infernal. Pour abattre les résistances, le management doit développer une communication limpide et des processus bien définis.
Cela requiert de la part du management d’avoir toujours à l’esprit que les employés sont les acteurs décisifs du changement. T. Melkonian (2004) met en évidence des schémas de fonctionnement appropriés à cet effet :
- La congruence du management : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
Il est nécessaire que les actes et les discours coïncident. On ne peut dire une chose et en faire une autre. Cela paraît une évidence, mais les changements décisionnels extrêmement rapides, parfois abruptes, voire contradictoires lors de restructurations créent un intervalle entre actes et paroles.
Les situations chaotiques ne sont pas rares. Les employés ont donc des difficultés à se référer aux personnes et aux attentes. Dès lors, il devient non seulement confus, mais aussi contrariant de faire concorder leurs propres objectifs professionnels avec ceux du management.
Les employés ressentent comme un temps de retard. La motivation va naturellement se déliter. Bien plus, l’absence de congruence peut créer un manque d’authenticité de l’entreprise et toucher directement le sentiment de confiance instauré entre l’entreprise et les employés.
- La transparence va de pair avec la congruence.
Dans le cadre du changement, les employés attendent au moins deux choses : 1) la transparence des informations (être avertis en temps et en heure. Ils veulent savoir où ils vont. 2) la transparence des mécanismes de rétributions. Lorsqu’on ignore comment avoir une promotion, une augmentation, des félicitations, ou si, oui ou non, nous allons perdre notre emploi, nous devenons instable.
C’est toujours une question de règles du jeu. Résultats : soit nous quittons le jeu, soit nous jouons dans une atmosphère délétère. Ipso facto, les tensions augmentent entre employés et management, ainsi qu’entre employés eux-mêmes : « Pourquoi un tel a été promu et non moi ? ». Ou « I cannot remember how many discourses on change I have heard with no retributions of the so-called necessary efforts, how do you want me to believe it without proof ? » (Trad. Je ne me rappelle plus combien de discours sur le changement j’ai entendu qui n’ont eu (à la clef) aucune rétribution des soi-disant efforts nécessaires, comment voulez-vous que j’y croie sans preuve ?) (Melkonian, 2004).
- Une définition claire des objectifs du changement, avec des exemples concrets des résultats attendus : donner des exemples concrets
- Une communication des informations fluide: celle-ci permet de diminuer les coûts induits par des informations mal comprises, des malentendus, de la résistance de la part des employés.
- Un timing défini et à disposition des employés, afin qu’ils puissent eux-mêmes identifier les actions à mettre en place (projets, résolution de problèmes). Cela renforce ainsi le sentiment d’engagement dans le processus.
- Un modèle proche d’eux. Effectivement, il est nécessaire de pouvoir de se référer à quelqu’un qui est proche de nous dans la hiérarchie.
Citons une image d’Épinal : Ce n’est pas le CEO de l’entreprise roulant en belle cylindrée et habillé en costume ayant la valeur d’un salaire moyen qui pourra inspirer l’exemplarité à ses employés (lors d’un changement majeur).
L’individu « exemplaire » doit partager la même vision du monde et de l’organisation que l’employé lambda pour le motiver. Il faut que l’employé puisse se reconnaître et sentir son appartenance. « both commited and non-commited respondents expressed a strong need of exemplarity from key individuals close to them: » (Trad. Tant les sondés engagés que les non-engagés ont exprimé un fort besoin d’exemplarité de la part d’individus clefs proches d’eux.).
En effet, ces derniers peuvent compenser par leur exemplarité celle défectueuse du haut management.
Nous rejoignons vivement la conclusion de l’article de T. Melkonian (2004) qui, après son étude, a validé que l’absence de décisions exemplaires au niveau organisationnel freine le processus de changement et que la présence de comportements exemplaires au niveau managérial le facilite.
Notons également un effet induit par l’absence d’exemplarité : déjà sceptiques, les employés peuvent développer le sentiment d’être manipulés, car ils finissent par penser que le management se permet de faire des discours incohérents, car ils se considèrent « above the law ». (Trad. Au-dessus des lois). La dernière note de cet article est la suivante : avant d’entreprendre un changement organisationnel, le management doit établir de manière stricte et claire une stratégie de communication interne qui établit comment vont être distingués les employés et surtout quels en sont les conditions.
Dans le dernier épisode, nous verrons comment la justice et l’intégrité agissent sur la motivation.
Sources :
Briefer, J.F., Intégration sociale et psychopathologie chez les usagers de drogues, Thèse de doctorat en Psychologie, Université de Lyon 2, 1999.
Guerrin, B., « Albert Bandura et son œuvre », Recherche en soins infirmiers, vol. 108, no. 1, 2012, pp. 106-116.
Melkonian, T., Change acceptance: the role of exemplarity, EM lyon Ecully, 2004.
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