Dans une volonté de promouvoir les entreprises d’avenir, nous nous sommes entretenus avec Jean de Wolff, Responsable commercial chez Gold Mobile Telecommunications (Gold GMT), une entreprise active dans les téléphones pour seniors et malvoyants. Jean de Wolff nous raconte cette aventure, ainsi que les ambitions et options stratégiques pour faire décoller la jeune entreprise et garantir à celle-ci un succès durable.
La recherche du profit et de ventes mirobolantes laisse souvent de côté les personnes les plus fragiles de notre société. Non, il ne s’agit pas uniquement des pauvres ou des chômeurs. Prenons l’exemple d’un produit de masse comme les smartphones - marché juteux s’il en est ! Ils sont souvent trop compliqués pour certaines personnes comme les seniors, les illettrés ou les malvoyants. C’est ce vide que comble la société neuchâteloise Gold GMT. Avec l’augmentation constante de l’espérance de vie, ce segment de marché ne doit plus être considéré comme une niche, mais comme un marché de taille importante dont les besoins spécifiques doivent être pris en compte. En particulier en ce qui concerne une ergonomie dépouillée facilitant son utilisation, une grande autonomie de batterie, un guide vocal et la possibilité de convertir un texte en message vocal.
Ayant parfaitement analysé les besoins susmentionnés, Gold GMT propose, depuis l’automne 2011, une gamme de produits dont la grande spécificité par rapport à ses concurrents – comme Doro PhoneEasy – est le service vocal transformant un texto en message vocal. Les produits de Gold GMT sont aujourd’hui disponibles dans onze pays et peuvent être commandés en ligne.
Produits et avantages comparatifs
Comment avez-vous décidé de produire un téléphone pour seniors, illettrés et malvoyants alors que la plupart des fabricants restent focalisés sur des smartphones de plus en plus sophistiqués?
L’idée vient de l’expérience personnelle d’un des co-fondateurs de Goldinc – société qui a été reprise en 2011 par Gold GMT. Ce co-fondateur ne trouvait pas sur le marché un téléphone portable qui puisse être utilisé par son grand-père. Il s’est alors mis à définir les fonctionnalités du produit et en a initié le développement. Ensuite, Gold GMT a repris les activités de la startup Goldinc qui avait initié le développement du produit en 2008.
Quels ont été les principaux obstacles rencontrés dans la phase de développement du produit ?
Au-delà des aspects liés à la simplification de l’ergonomie, nous avons convenu rapidement que notre principal différenciateur serait le label Swiss Quality. Ce n’est pas qu’une question de prestige, mais surtout la prise en compte des caractéristiques de notre marché cible que sont les seniors. Il nous était inconcevable que nos clients doivent se transformer en « geeks » pour pouvoir utiliser nos produits. Il a donc fallu rendre nos fournisseurs attentifs à cet aspect primordial. La bataille de la qualité est permanente. Cela dit, nous nous sommes beaucoup améliorés depuis le lancement des produits.
Vous insistez beaucoup sur l’ergonomie de votre produit et sur l’autonomie de sa batterie. Pourrait-on envisager une utilisation dans le domaine paramédical, par exemple des fonctions d’appel automatique aux urgences en cas de problème de santé ?
Nous sommes ouverts à tout partenaire qui serait intéressé à développer des services autour de notre plate-forme. Même si nous envisageons de nous diversifier afin de nous assurer une plus forte position sur le marché, nous sommes encore dans une phase de consolidation de notre cœur de métier. Une diversification trop rapide ne serait pas une bonne option stratégique au stade actuel de notre développement.
On pourrait aussi imaginer votre produit comme appoint aux randonneurs qui s’aventurent en montagne et doivent parfois faire face à la décharge de leur téléphone. Ils pourraient avantageusement profiter de la longue autonomie de l’Alto, par exemple ?
Il est certain que les randonneurs peuvent déjà profiter de l’Alto comme téléphone d’appoint, même si celui-ci n’incorpore pas de service de localisation GPS. Ils pourraient toujours continuer à donner de leurs nouvelles en cas de problèmes. Cependant, l’effort nécessaire pour ouvrir un nouveau segment de marché tel que celui-là est énorme pour une jeune startup comme la nôtre. C’est la raison pour laquelle nous nous concentrons sur notre premier segment de marché, c’est-à-dire les seniors.
On voit que certains de vos concurrents essaient d’entrer sur le marché suisse. Sur quels avantages comparatifs comptez-vous pour augmenter votre part de marché ?
- Le plus dissuasif de nos avantages comparatifs est notre réseau d’associations partenaires qui nous servent de relais vers nos clients. S’il est un avantage comparatif qui ne peut être facilement anéanti, c’est bien les relations humaines.
- Notre second avantage est notre connaissance des cultures locales. Vous savez, le monde globalisé dans lequel nous vivons aujourd’hui tend à homogénéiser les goûts des consommateurs vis-à-vis de certains produits. On peut facilement définir un marché cible pour un iPhone, par exemple, en analysant les habitudes de ce segment mondialisé. Mais nos seniors avaient des habitudes et des goûts bien ancrés qui, pour le coup, étaient bien locaux. Nous possédons cette connaissance sur le marché suisse et sur chacun des marchés que nous ciblons.
- Notre troisième différenciateur est la qualité.
- Enfin, notre dernier avantage comparatif est la fonctionnalité text-to-speech (traduction d’un texte en un message vocal) que nous sommes les seuls à avoir intégré.
Stratégie de croissance
Gold GMT milite pour une ergonomie dépouillée, une gamme réduite de produits et une utilisation sans manuel – toutes choses qui rappellent Apple. Mais le succès de l’iPhone est fondé sur l’attrait des utilisateurs qui a un peu forcé les opérateurs à négocier avec Apple. Sans les subventions à l’achat offertes par l’opérateur, il est peu probable que l’iPhone rencontre un succès aussi important. Quelle est la stratégie de Gold : compter sur les utilisateurs pour attirer les opérateurs ou négocier des partenariats avec les opérateurs, voire même les professionnels de la santé ?
Il est clair que si notre téléphone était aussi cher qu’un iPhone, nous aurions privilégié la voie des partenariats avec les opérateurs mobiles. Ce n’est pas le cas. Nos avons beaucoup de partenariats mais plutôt avec les associations actives dans les questions de générations et de handicaps. C’est à travers ces associations que nous touchons nos clients. Une startup ne peut pas atteindre tous ses clients directement comme le feraient de grandes entreprises bien installées. Nous avons besoin d’un nombre de canaux suffisamment petit pour que nous puissions les gérer convenablement, mais ce nombre doit avoir un grand effet multiplicateur pour nous permettre d'atteindre le plus grand nombre de clients possible.
Gold a des revendeurs dans une douzaine de pays, en plus de la vente en ligne. Quelle est votre stratégie marketing : approfondir les partenariats sur les marchés existant ou développer de nouveaux marchés ?
Nous approfondissons le plus possible chaque pays mais restons attentifs à ce qui se passe dans les autres. Par exemple, je suis en discussion actuellement avec un pays qui a un potentiel de 80 millions de clients. Nous avons eu l’opportunité d’entrer en contact avec un revendeur dans ce pays et avons saisi cette chance.
Quelles sont les prochaines évolutions de votre produit?
Nous envisageons beaucoup de fonctionnalités comme la 3G, le speech-to-text, la localisation, les services d’alerte ainsi que des liaisons avec des centres d’appel.
Comment voyez-vous Gold GMT dans cinq ans?
Dans cinq ans, je vois une société qui aura bien consolidé son métier de base, aura conquis le marché mondial et se sera diversifiée dans les services. Je vois aussi une société dont la santé financière aura permis de faire bien des innovations, avec une propriété intellectuelle importante.
Comment une entreprise promise à une forte croissance comme la vôtre gère-t-elle son capital humain, c’est-à-dire ses collaborateurs ? Comment les recrutez-vous et comment les fidélisez-vous ?
Tous les collaborateurs actuels de l’entreprise sont motivés par le fait de participer à une aventure qui a un potentiel très important. Notre but est d’amener l’entreprise à son niveau de décollage, à l’amorce de sa phase de croissance. C’est notre principal moteur. Nous sommes tous plus intéressés par le long terme que par le court terme.
Un homme de projet qui privilégie "l'hygiène sociale"
Vous êtes un serial entrepreneur et un investisseur. D’où tenez-vous cette fièvre de l’entrepreneuriat ?
Je me définis plutôt comme un homme de projet, c'est mon principal moteur. En outre, je ne conçois pas un projet sans la participation d’autres personnes. Ce qui fait la réussite d’un projet, c’est justement la mise en commun de toutes les intelligences disponibles afin d’obtenir le meilleur résultat possible. Je suis resté longtemps dans de grosses structures où j’ai monté des projets impliquant plusieurs centaines de personnes. J’ai eu une grande responsabilité dans la réussite ou non de ces projets qui relèvent de « l’intraprenariat », c’est-à-dire de l’entreprenariat au sein d’une entreprise. Ce sont de tels projets qui m’inspirent.
En plus d’être un serial entrepreneur et un investisseur, vous êtes aussi membre de plusieurs conseils d’administration et de Direction. Comment arrivez-vous à concilier ces différentes fonctions ?
Je ne gère complètement l’agenda d’aucun des projets dans lesquels je suis impliqué. J’adore passer d’un projet à l’autre, je déteste la routine. Par contre, j’ai une gestion plutôt rigoureuse de mes priorités dans le temps : lorsque je fais quelque chose, je ne me laisse pas divertir par d’autres considérations. En outre, je n’accepte les tâches que lorsque j’ai le temps de les faire. C’est peut-être ce qui explique que j’arrive à m’impliquer dans plusieurs projets à la fois.
Beaucoup de dirigeants ont des habitudes bien ancrées comme de se lever tous les jours à 5h pour faire des exercices physiques. Qu’en est-il de votre côté ?
Les habitudes que vous avez mentionnées relèvent de l’hygiène de vie, comme on a coutume de les appeler. Cette hygiène ne me préoccupe pas. La seule habitude bien ancrée que j'applique est ce que j’appelle l’hygiène sociale. Je suis quelqu’un qui ne rate aucune occasion de faire du réseautage. Rencontrer du monde, m’imprégner de nouvelles idées ou de nouvelles manières de penser, sortir de mon cadre de pensée habituel et voir quels projets je pourrais construire avec toutes ces personnes que je rencontre. Souvent, le projet ne saute pas aux yeux mais l’étincelle jaillit parfois au bout de quelques mois ou années.
Parcours de Jean de Wolff
Economiste de formation, Jean de Wolff dispose de plus de 20 ans d'experience dans des entreprises à vocation technologique. Tour à tour créateur d’entreprises revendues avec succès (www.mnc.ch/www.valuevad.com), cadre supérieur au sein de groupes multinationaux (Kodak/Alcatel-Lucent) et enfin administrateur de sociétés. Jean de Wolff est actuellement associé et administrateur auprès de diverses entreprises : www.homedia.ch/www.idmobile.ch/www.human4success.com.)