Grâce à un savoir-faire unique, l’horlogerie Suisse est célèbre pour savoir se remettre en question et s’adapter face aux changements du marché. « Disrupter » est devenu une nécessité afin d’innover dans le milieu du luxe très concurrentiel. Quelle est alors la stratégie à adopter pour les manufactures horlogères ? Comment innover sans impacter négativement l’image de marque ?
TAG Heuer & Alec Monopoly : une collaboration inédite
L’horloger TAG Heuer s’est récemment permis un magnifique coup de poker dans l’industrie en collaborant avec un jeune artiste américain d’art de rue.
Son nom ? Alec Monopoly, en référence aux dessins de M. Monopoly, de Richie Rich ou encore de Picsou et autres personnages fictifs colorés représentés dans les rues de New York. Avec son look provocateur, une partie de son visage cachée sous un masque, ce partenariat est totalement stupéfiant, avant-gardiste et inédit dans l’horlogerie.
En effet, à tout juste 30 ans, Alec Monopoly, le graffeur provocateur de rue, joue la carte de l’excentricité dans une industrie qui a besoin d’être « dépoussiérée ».
Cette collaboration est d’autant plus intéressante qu’Alec Monopoly travaille sur la personnalisation des montres. Il peint lui-même les montres afin de les façonner et de les rendre uniques pour le client.
Le but consiste à obtenir une pièce d’un style moderne et rare qui s’inscrit dans une tendance jeune, augmentant, ainsi, la croissance du segment intitulé « personal goods ».
C’est en novembre dernier que Jean-Claude Biver, CEO de la marque TAG Heuer et président de la division montres du groupe LVMH, a fièrement présenté cette coopération lors de la dernière foire d’Art Basel à Miami.
Les deux « acolytes » se sont présentés smartphone en main en mode selfie pour relayer eux-mêmes l’événement sur les réseaux sociaux. La stratégie média est bien rodée pour attirer une clientèle jeune, dynamique et profondément ancrée dans la culture street art et artistique.
Le mélange d’art et de mécanique proposé par ce partenariat fascine puisque ces deux univers sont à la fois similaires et diamétralement différents. L’art se conjugue naturellement avec les grandes complications du côté des métiers d’art, produit rare haut de gamme, ainsi que par le travail manuel de la pièce. D’un autre côté, l’art incite à la créativité et à casser avec les codes.
https://youtu.be/WUg1BKTo6mU
La course à l’innovation
L’objectif de la marque est de « disrupter » son image, de rompre avec son image traditionnelle.
Pour le Suisse, le New Yorkais est bien plus qu’un ambassadeur pour la marque. En effet, l’artiste aura également la possibilité de mettre en avant son art et donc sa créativité et son talent.
Les magasins TAG Heuer seront à la fois une vitrine, une salle d’exposition et un lieu d’expression, ce qui est une révolution avant-gardiste dans le domaine.
Jean Claude Biver souligne que cette collaboration demande une confiance mutuelle solide et ajoute :
« Être premier, unique, différent est ma philosophie depuis 40 ans. Avec Alec comme Art Provocateur au sein de mon équipe chez TAG Heuer, je souhaite non seulement continuer à reconnecter la marque aux jeunes générations, aux millenials, mais aussi ouvrir de nouveaux territoires d’expression, dans des domaines aussi variés que les produits, le marketing et la communication, la distribution…sa créativité disruptive et son enthousiasme sont contagieux ! ».
Avec l’arrivée d’innovations telles que l’IWatch par Apple, « disrupter » est devenu un défi crucial pour se démarquer face à la concurrence asiatique notamment. Jean Claude Biver ajoute :
« L’horlogerie a besoin d’être disruptée. Il faut la secouer. Certaines marques tombent dans une certaine zone de confort et deviennent par conséquent moins créatives. Elles pensent que le succès va se répéter année après année. Et quand les temps deviennent plus durs, elles vendent moins, forcément ».
Les marques ont besoin d’évoluer dans leur identité et d’occuper de nouveaux segments. Les nouvelles générations ont besoin de s’identifier aux montres hautes gammes, ce qui permet de créer une valeur ajoutée.
L’orientation stratégique de TAG Heuer est plutôt positive puisque l’horloger affiche une croissance de 13% en 2016 dans une industrie qui recule depuis quelques années.
https://youtu.be/8eqFfMPanW4
L’art et l’horlogerie : Audemars Piguet & Art Basel
L’art et l’horlogerie ont également un même objectif : susciter une émotion.
De ce fait, de telles collaborations ne sont pas nouvelles dans le milieu. A titre d’exemple, Jaeger-le-Coultre a travaillé avec le chausseur Français Christian Louboutin en 2016.
De plus, depuis 2013, Art Basel et Audemars Piguet collaborent sur un projet afin de joindre les attentes commerciales du monde du luxe et de l’art. Tout s’est construit autour d’une expérience humaine entre les deux associés.
Des concepts et des œuvres d’art sont exposés tous les ans au Collectors Lounge d’Audemars Piguet à Hong Kong, Bâle et Miami. Celles-ci résultent de collaborations avec des artistes et designers qui créent des travaux autour de sujets, tels que la complexité, la nature et le temps qui sont des sujets facilement assimilables au monde de l’horlogerie. Tout est une question de réflexion humaine autour de ce que dégage une œuvre artistique.
Marc Spiegler, Directeur Général de Art Basel et Olivier Audemars, Vice-Président du conseil d’administration de la marque, mentionnent que : « L’essentiel de la démarche réside dans l’effet de surprise, le questionnement face à l’œuvre ».
Les associés mettent en avant quatre facteurs clés importants à prendre en considération avant de choisir le partenariat :
- Le positionnement de la marque
- Le niveau d’implication dans l’art
- Les ambitions des deux cotés
- Une enveloppe financière réaliste
Audemars Piguet souhaite mettre en avant des œuvres d’art qui peuvent provoquer une émotion tout en perpétuant la tradition.
Il s’agit de faire véhiculer un message humain par l’intermédiaire de l’œuvre. La relation humaine prédomine ici. Olivier Audemars reconnait également l’influence bénéfique qu’une telle stratégie et collaboration avec l’art peut avoir dans l’organisation interne de la société.
Il conclut en parlant de l’artiste Robin Maier : « Son œuvre nous a poussés à repenser le processus en interne de prise de décision. Son œuvre nous a ouvert la conscience sur une autre forme de management, moins directive, mais plus autonome ».
La haute horlogerie est un métier d’art. Il semble donc normal et logique de rapprocher les deux univers, même à titre commercial.
La facilité de renouvellement et de création en est donc favorisée. Il est cependant important de ne pas tomber dans l’innovation destructrice. Pour les marques horlogères, cela reste donc un défi d’innover, tout en conservant leur image traditionnelle qui fait la renommée des horlogers Suisses.
Audemars Piguet in Art Basel's Collector Lounge Miami Beach 2016 Booth designed by Sebastian Errazuriz
Sources: http://www.bilan.ch/luxe-plus-de-redaction/de-lart-de-provoquer ; Article Magazine Luxe Bilan Printemps 2017
Photos credits : Audemars - Benoit Pailley ; Tag Heuer - Dr
Très bon article précis et concis qui montre en quelques paragraphes le challenge accepté par J.C. Biever dans sa quête d'innovation et son rôle de leader dans le monde de l'horlogerie. C'est faire preuve d'une immense confiance à l'égard d'Alec Monopoly (validée sans doute par son armada de juristes) que de mettre dans les mains d'une seule personne, la destinée d'une telle marque. Rappelons-nous les propos déplacés de John Galliano en 2011; pas sûr que son employeur ait apprécié. Il lui aura même taillé un sacré costard pour l'occasion !
Très instructif
Bravo Anne-Sophie