Toutes les 15 secondes, un travailleur décède des suites d’un accident ou d’une maladie liée au travail. Toutes les 15 secondes, 153 travailleurs ont un accident à leur poste de travail. Plus de 160 millions de personnes souffrent de maladies professionnelles et 313 millions d'accidents non mortels sont dénombrés chaque année.
En 2014, la Suva a enregistré 179'980 accidents au travail et 2'154 cas de maladie professionnelle en Suisse, représentant une dépense de 1,16 milliard de francs en frais médicaux et thérapeutiques et cela sans compter les coûts indirects liés aux pertes de productivité, ni les souffrances pour les travailleurs et leur famille. La sécurité et la santé du travail concernent non seulement notre bien-être, mais aussi notre environnement et notre économie. Les professionnels de la sécurité du travail, médecins du travail, spécialistes de l’ergonomie et hygiénistes du travail sont autant d’acteurs qui interviennent directement dans la prévention des accidents et des maladies professionnelles.
L’objectif de cet article est d’offrir une vision générale du métier d’hygiéniste du travail ainsi que de sa place dans la société. Nous avons rencontré Vincent Perret, toxicologiste industriel et hygiéniste du travail certifié de la société Suisse d’hygiène du travail (SSHT). Passionné par sa profession, il est déjà intervenu en tant qu’expert pour une vingtaine d’émissions sur la RTS (« A Bon Entendeur ») portant entre autres sur la toxicologie, la composition de produits de consommation courante (produits pour bébés, charbons de bois, huiles essentielles). Il est également co-fondateur de ToxPro, une jeune et dynamique société d’hygiène du travail à Genève offrant un support indépendant en matière de toxicologie, d’évaluation des risques d’exposition et de qualité de l’air intérieur pour les entreprises, les collectivités et les autorités.
L’hygiène du travail
Cette discipline fait partie du vaste domaine de la santé au travail, née aux Etats-Unis dans les années trente de la nécessité grandissante de mieux caractériser et prévenir les causes des maladies professionnelles. En Suisse, elle s’est développée il y a une quarantaine d’années sous l’impulsion de médecins tels qu’Etienne Grandjean de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et Marc Lob de l’Université de Lausanne.
Tandis que la sécurité du travail se focalise sur la gestion des risques aigus (accidents, chutes, expositions, brûlures, etc.) et que le médecin du travail s’occupe de la santé des travailleurs, l’hygiène du travail, quant à elle, se définit comme une science de la prévention. Elle s’efforce donc d’éviter les risques capitaux et de garantir un environnement professionnel sain. D’après la SSHT, l’hygiène du travail est une discipline spécialisée dédiée à l’appréciation, la vérification, la détermination, l’anticipation et la communication des situations de mise en danger de la santé dans l’environnement professionnel. Son but est de protéger la santé et de veiller au bien-être des travailleurs et par là de promouvoir la sécurité de la communauté en général.
Domaines dans lesquels l’hygiéniste du travail apporte sa contribution
Tout type d’activité est potentiellement concerné dans la mesure où des risques sanitaires et des dangers peuvent être identifiés. Une vigilance particulière sera indispensable pour les travaux comprenant par exemple :
- des travaux souterrains (construction de tunnels) ;
- des travaux sous air comprimé, des travaux de révision de citernes ;
- de la fabrication de plâtre, chaux et ciment ;
- des travaux avec des déchets spéciaux ou industriels ;
- des solvants, des substances chimiques et autres substances nocives ;
- des substances allergènes ;
- des agents biologiques ;
- des substances radioactives et autres rayonnements ionisants ;
- des radiations non ionisantes ;
- des hautes ou basses températures ;
- des fortes vibrations ;
- des nuisances sonores.
La démarche de l’hygiéniste du travail
Le travail de l’hygiéniste du travail est balisé d’étapes séquentielles ayant chacune leur importance. Quand un hygiéniste du travail est appelé par un client, la première de ces étapes consiste à identifier le problème et les dangers possibles en se rendant sur place et en observant les conditions de travail, les méthodes mises en œuvre ainsi que les produits utilisés ; le tout sans classer, ni juger. Les hygiénistes vont ensuite définir une stratégie d’évaluation des risques (comprendre ici les dangers à forte probabilité de conséquences) en faisant appel à toute une série de mesures afin de déterminer lesquels sont probables et lesquels sont réels.
Pour toutes ces raisons, les hygiénistes passent beaucoup de temps sur le terrain. En effet, dès que les travailleurs commencent leur activité, que cela soit à 5h du matin ou à 22h, il leur faut être présents sans interférer. De plus, les risques à étudier ne sont pas strictement identiques d’un jour à l’autre, les conditions changent, les tâches effectuées varient, la température peut être radicalement différente. Tous ces facteurs, l’hygiéniste se doit de les considérer en établissant sa stratégie d’évaluation en tenant compte des voies d’exposition (inhalation, peau, ingestion, poussière, gaz, rayonnement, etc.). Une fois les mesures terminées, les échantillons sont envoyés au laboratoire pour analyses. C’est l’hygiéniste qui traite les données et s’assure de la conformité avec la législation. Finalement, il livre ses conclusions au client de façon claire et compréhensible et propose des solutions si nécessaire.
Compétences et qualités requises pour être hygiéniste du travail
Hors des connaissances spécifiques et des aptitudes en matière d’hygiène du travail (chimie, toxicologie, biologie, métrologie, etc.), les hygiénistes doivent avoir des connaissances générales en droit, en gestion d’entreprise, en organisation de la sécurité au travail (premier secours, lutte contre les incendies), prévention des accidents, protection de l’environnement, etc. Il est également important d’avoir des connaissances de base dans les domaines voisins tels que la médecine du travail, l’économie et la psychologie du travail qui leur permettront de communiquer en utilisant le même langage et de partager les mêmes références. Il est également essentiel d’avoir le sens de l’écoute, de l’observation et de la critique, ainsi qu’une capacité d’analyse, un esprit de décision, des aptitudes pédagogiques et une facilité de contact.
D’après Vincent Perret, une des qualités importantes chez l’hygiéniste est l’enthousiasme, car il faut toujours trouver des solutions élégantes, plus rapides et simples demandant moins de temps et de moyens. Thinking out of the box (penser différemment, sortir des sentiers battus), ne pas hésiter à demander ce qui se passe aux travailleurs, connaître le point de vue des clients, des collègues et des spécialistes sont également des qualités importantes pour les hygiénistes sans oublier de respecter le code éthique du métier.
Il est également important de participer aux formations continues et aux conférences nationales comme internationales pour suivre les progrès techniques, les nouvelles règlementations et les nouveaux modèles, afin de pouvoir s’adapter à de nouvelles situations et de nouveaux risques dont il faut comprendre le mécanisme. Ce processus de formation continue est une des obligations faite à tout hygiéniste certifié afin de garder leur titre.
Formation : comment devenir hygiéniste du travail
Actuellement, le « Diploma of Advanced Studies (DAS) Work and Health », seule formation en hygiène du travail en Suisse, est organisé par l’Université de Lausanne et l’ETH-Zurich. Cette formation en langue anglaise s’étend sur deux ans et compte environ 60 jours de présence répartis en blocs de trois à quatre jours. Pour être admissible, il est nécessaire d’être titulaire d’un diplôme technique ou en sciences délivré par une université, une école polytechnique fédérale ou une haute école spécialisée suisse avec au moins deux ans de pratique professionnelle.
La réussite à cette formation est une des conditions menant au titre d’hygiéniste certifié par la société suisse d’hygiéniste du travail (SSHT). Pour plus d’information : http://www.sgah.ch/attachments/article/6/Reglement_formation_professionelle_comp.pdf
Le métier d’hygiéniste du travail en Suisse : défis et avenir
Il y a environ 50 hygiénistes certifiés actifs en Suisse. Ils travaillent dans de grandes entreprises pharmaceutiques ou chimiques comme hygiénistes internes ou en tant qu’inspecteurs de l’autorité suisse (SUVA). Au final, seuls quelques hygiénistes indépendants proposent leurs services aux différentes industries (horlogerie, entretien, tertiaire).
D’après Vincent Perret, le défi des hygiénistes est de faire comprendre aux employés et employeurs l’importance de la santé du travail. En espérant que ces derniers fassent appel aux hygiénistes ou aux spécialistes par envie et non plus par obligation. En ce qui concerne l’avenir du métier, idéalement l’hygiène du travail pourrait s’intégrer dans la structure de l’entreprise et devenir un concept commun aux ingénieurs, aux ressources humaines, etc. En d’autres termes, tout le monde devrait posséder des connaissances en matière d’hygiène du travail. En définitive, les hygiénistes resteraient une sorte de garant, un support ou consultant dans les cas d’interprétation un peu plus complexes.
Les risques professionnels sont responsables d’environ deux millions de décès par an, (accidents de la route : 1.24 millions de décès en comparaison), et si dans les pays développés comme la Suisse, la santé et la sécurité du travail sont inscrites dans la loi, il y a encore beaucoup de progrès à faire dans les pays en développement.
Sources :
http://www.toxpro.ch/
http://www.rts.ch/info/suisse/6647528-accidents-et-maladies-professionnelles-ont-legerement-recule-en-suisse.html
http://www.ilo.org/global/topics/safety-and-health-at-work/lang--en/index.htm
http://www.orientation.ch/dyn/1109.aspx?data=formation&id=851
http://www.i-s-t.ch/formation/das-work-and-health/
Article-on-WHWB-from-BOHS-Exposure-Magazine-December-2014 (pdf)
Livre_hygien_du_travail (pdf)
Photo credit : Nathalie Ruaux via wikimedia
Si le grand défi dans la domaine de la Santé au Travail est "de faire comprendre aux employés et employeurs" son importance, est-ce que c'est à la société suisse d’hygiéniste du travail (SSHT) de mettre en place une politique formalisée ? Et doit-elle proposer des étapes concrètes ?
Bonjour Paul,
Merci pour votre question. A ma connaissance, la santé et sécurité du travail sont avant tout décrites dans la loi. Dans certaines grandes entreprises chimiques et pharmaceutiques, il y a des hygiénistes internes mais ce n’est pas le cas pour les petites entreprises ou ateliers. Les petites entreprises doivent faire appel à des spécialistes externes et souvent par obligation plus que par volonté d’amélioration.
Sincèrement, je ne sais pas si la SSHT va envisager de mettre en place une politique formalisée ou de proposer des étapes concrètes. Pourquoi ne pas commencer par encourager de plus en plus des managers ou responsables à suivre des formations complémentaires sur la santé et la sécurité au travail (si ces formations restent accessibles en termes de prix et d’aménagement du temps de présence).
Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant.
Mais quelle est la place des hygiénistes du travail issus de services de santé au travail (médecine du travail) dans tout ça?? Il me semble que vous oubliez d'en faire référence dans votre article.