Qui sommes-nous ?
Quand j’avais quatre ans, on me demandait déjà ce que je souhaitais faire plus tard dans la vie. A cette époque, j’avais reçu un pyjama tout rouge et donc je répondais fièrement « pompier », en mimant les sirènes tournantes avec mes deux index. A sept ans, à la même question, parce que je passais mon temps à lire l’Encyclopédie Universelle Larousse, je répondais : « Moi je veux être dans le dictionnaire ! ». A onze ans, après la sortie de Top Gun, et ayant grandi en caserne militaire, je répondais « pilote de chasse ». A quatorze ans, après avoir lu l’ensemble des œuvres d’Honoré de Balzac et celles d’Agatha Christie, je me voyais en « écrivain ».
Finalement, je suis restée sur le métier d’historienne, tout en cultivant avec passion tous mes autres centres d’intérêt. A la fin de mes études secondaires, mon professeur de mathématiques me proposa de suivre la direction des nombres. Cependant, je suis restée fidèle au Moyen-Âge. Durant mes études, une très bonne amie était en psychologie. Bien entendu, ses études me captivaient. Fraîchement diplômée, étant confrontée au marché du travail en Histoire, désillusionnée, je me suis reconvertie dans un de mes hobbies favoris : l’informatique. J’ai travaillé cinq ans dans ce domaine, puis j’ai encore changé pour aller dans l’administration et la formation d’adultes. Mais devinez quoi ? Durant toutes ces années en emploi, j’ai plongé tête baissée dans la psychologie pour un nouveau titre universitaire. Et cerise sur le gâteau, je suis devenue coach de vie et professeure de Yoga.
Et j’ai rencontré Emilie Wapnick…
Emilie Wapnick, une de mes semblables… Au détour d’une conférence TED, cette femme incroyable, atypique a répondu à un grand nombre de mes questions existentielles. Je me sentais très seule, mais je ne l’étais pas. Nous existions !
1. How to be everything ?
Après avoir écouté attentivement la conférence, je me suis jetée voracement sur son livre (E. Wapnik, How to be everything, ed. Harper One, New York, 2017) qui fait écho à l’ouvrage de Barbara Sher (B. Sher, Refuse to Choose!: A Revolutionary Program for Doing Everything That You Love, Rodale, New York, 2006).
Une des premières phrases de la préface d’Emilie Wapnik résonne encore : « You don’t have to choose one thing. » Donc, vous n'avez pas à choisir une seule chose !
2. Qui est Emilie Wapnik
Emilie Wapnik fait partie de ceux qui « ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier ». Elle est réalisatrice de film, juriste, violoniste, artiste, webdesigner et désormais coach et conférencière. Possédant de nombreuses cordes à son arc, elle explique très bien que c’est très difficile de répondre à la question : « Que fais-tu dans la vie ? ».
Les freins
1. Les conflits internes
Un des problèmes saillants dans la multipotentialité est qu’il est impossible d’être étiqueté. Enfants, nous attendons l’éclat de fierté dans les yeux de nos parents au sujet de nos ambitions personnelles. Et cette même approbation sociale est recherchée finalement à l’âge adulte, ce qui créée des conflits identitaires, des souffrances psychologiques, des dissonances de valeurs.
2. Les croyances sociales
Quand nous avançons que nous sommes capables d’avoir plusieurs objectifs, sillonnant plusieurs domaines et que, par ailleurs, ceux-ci sont explorés, puis maîtrisés généralement avec succès, les regards demeurent dubitatifs.
Quelle est la première chose à laquelle la majorité des gens pense : « Jack-of-all trades, master of none », proverbe anglais qui se traduit « Bon à tout, bon à rien ». Pourtant, Emilie Wapnik en appelle à la renommée de Léonard de Vinci, car il appartient, bel et bien, à la catégorie des multipotentiels. Il fut un des plus grands innovateurs universels.
Nous fonctionnons tous, à notre insu, avec des biais cognitifs. Celui qui porte le plus de préjudices aux multipotentiels est le biais de logique. Si nous travaillons deux cent heures sur un sujet, nous serons ipso facto meilleurs que celui qui ne travaille que cinquante heures. Or, comme l’explique Emilie Wapnik, c’est une comparaison erronée qui ne prend pas en compte d’autres facteurs, tels que la créativité ou la vision holistique par exemple. Elle cite le cas des musiciens. En effet, nous pouvons étudier la musique durant vingt ans et finalement être médiocres tandis qu’un musicien passionné, créatif peut en deux ans d’apprentissage, composer des œuvres magistrales. Ce n’est finalement pas une question de quantité, mais de qualité.
Les superpouvoirs
Emilie Wapnik met en évidence cinq superpouvoirs des multipotentiels.
1. L’esprit synthétique
Les multipotentiels possèdent un esprit large, une vision holistique et sont éclectiques. Ils ont la capacité de s’élever au-dessus de chacune de leurs compétences pour entrevoir toutes les intersections possibles entre elles. Ils sont des "solveurs" de problèmes et travaillent par « insight ». Ils adaptent et transfèrent les solutions d’un domaine à l’autre.
2. L’apprentissage rapide
Les multipotentiels n’ont pas peur de redevenir encore et encore débutant tant que la discipline est nouvelle.
Par ailleurs, leurs apprentissages ultérieurs et leur maîtrise les autorisent aisément à sortir de leur zone de confort, ce que ne font typiquement pas les spécialistes. Lorsque nous sommes investis, la passion devient un moteur extrêmement puissant ce qui, de ce fait, augmente considérablement notre vitesse d’absorption. Bien plus, les savoirs acquis dans un domaine peuvent être transférés.
Leur curiosité ne s’éteint pas avec le temps et Emile Wapnik dit « Utilise tes connaissances, ou perd-les ». Les recherches en neuroscience appuient cette réflexion grâce à la découverte de la plasticité cérébrale. Longtemps, la plasticité cérébrale était considérée comme un processus lié au jeune âge. A présent, nous savons que notre cerveau continue de se modifier à l’âge adulte. Tant que nous apprenons, travaillons avec notre intellect, les connexions neuronales continuent à se modifier, à créer des ramifications, nous permettant de rester toujours très actifs dans nos apprentissages (voir la conférence Tedx (2012) de Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche à l’Institut Pasteur et au CNRS).
3. Haut niveau d’adaptation
Notre adaptation facilitée nous rend très résilients devant l’instabilité du travail. Déjà il y a vingt ans, les professeurs nous annonçaient en classe : « Attendez-vous à changer de profession tous les cinq ans, mener une vie comme celle de vos parents, c’est fini ! ». Les prédictions se sont avérées correctes. La sécurité de l’emploi n’existe plus. Emilie Wapnik conclut par: « Today, adaptability is not merely an asset, it’s a necessity ! ».
4. La pensée en grand format
Ce superpouvoir rejoint celui de l’esprit synthétique. Cependant, il est plus à mettre en relation avec l’approche systémique : permettre de faire des liens entre divers domaines et en créée de nouveaux. Prenons l’exemple du célèbre Daniel Kanheman, docteur en psychologie cognitive et en économie comportementale. Il se vit décerner en 2002 le prix Nobel d’Economie pour avoir démontré comment notre cerveau fonctionnait, allant des comportements adoptés devant du simple shopping jusqu’à ceux dans la haute finance. (D. Kanheman, Système 1, Système 2: Les deux vitesses de la pensée, ed. Farrar, Straus and Giroux, New York, 2011).
5. Les relations humaines et langages
Les multipotentiels sont des connecteurs. Ainsi, comme le souligne Emilie Wapnik, en tant que grand curieux, nous pratiquons naturellement l’écoute active. Pour nous, il est facile de jouer les « entremetteurs » entre divers corps de métiers que nous connaissons, pour la simple et bonne raison que nous possédons plusieurs langages professionnels. Barbara Sher compare de cette façon les multipotentiels à des chefs d’orchestre.
Pourquoi engager des multipotentiels ?
Les multipotentiels sont des très bons leaders dans les domaines interdisciplinaires. Et l’évolution du marché du travail commence à montrer un décloisonnement de certaines activités, principalement en raison de la progression exponentielle des technologies. Des entreprises innovatrices comme Google, Facebook ciblent les personnes créatives qui pensent « out-of-the box », et les multipotentiels sont ces personnes. Cette même évolution peut être aisément mise en relation avec l’apparition soudaine de ces jeunes adultes ou ceux en reconversion qu’on nomme « Slasheurs ».
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