Un nouveau souffle pour Genève (série III)
Jacqueline Chelliah, fondatrice des Funky Brunch
Genève mai 2016
©Nicolas Righetti/ Lundi13
Après nos rencontres succinctes avec le Maire de Genève, Guillaume Barazzone, Genève Tourisme et son Directeur Marketing, Vincent Dubi, le troisième article de notre série « un nouveau souffle pour Genève » zoome sur la pétillante Jacqueline Chelliah, fondatrice de Funky Brunch, qui nous raconte son parcours, ses plus grands succès, mais aborde également ses craintes, ses doutes quant à l’entrepreneuriat et à l’avenir de sa petite entreprise, qui ne connaît « presque » pas la crise.
Jacqueline fait des « Wonder » (merveilles)
A la table du café dans lequel cette entrepreneuse dans l’âme nous a fixé rendez-vous, elle nous donne l’impression d’avoir déjà vécu dix vies. Jeune trentenaire, originaire du Nigéria mais née à Genève, elle grandit dans une famille multiculturelle qu’elle surnomme tendrement la famille « Benetton ». En 2002, son bac international en poche, Jacqueline se destinait à une potentielle carrière dans le droit pour le plus grand bonheur de ses parents. Mais cette passionnée de sports préfère intégrer l’Ecole Hôtelière de Glion qui offre un Bachelor en gestion d’évènements sportifs et se promet de travailler un jour pour les jeux olympiques.
Et ce que Jacqueline veut, Jacqueline l’obtient. Après un stage d’accréditation aux Jeux Olympiques d’Athènes et des expériences succinctes au Comité International Olympique et à la FIBA (International Basketball Federation), elle décroche surtout une mission inoubliable de cinq mois à l’UEFA pour l’Euro 2008 dans le département des cérémonies : une sorte d’aboutissement de son rêve d’adolescente.
Dès lors, la fibre entrepreneuriale se fait sentir après sa mission qu’elle considère « accomplie », en milieu sportif. Alors à peine âgée de 24 ans et en pleine aire du numérique, elle se lance et crée un agenda papier, le « Jamantha Diary ». Son mantra, une sorte de coach de vie de poche, lui ressemble comme une goutte d’eau : « je peux, je veux ». Elle trouve un graphiste, un imprimeur réputé en Suisse, mandate une agence de presse et surtout démarche les gros distributeurs suisses tels que la Fnac, Payot ou Manor. Avec une visibilité presque immédiate à la Fnac, elle se retrouve, non pas sans une certaine fierté, dans le top 10 des meilleures ventes de Noël. « Dans la même liste que le dernier Harry Potter sorti à l’époque » souligne-t-elle en riant.
Même avec une bonne visibilité rapidement atteinte, les objectifs de ventes ne suivent pas et malgré deux éditions supplémentaires, le projet s’essouffle et n’est pas rentable. Alors pour mieux rebondir et comme elle nous l’avoue, pour ne plus être associée à ce qu’elle considère comme un échec personnel, elle s’envole pour Londres et y travaille quelques mois dans le domaine de la vente et de la mode. « On pense toujours que l’herbe est plus verte ailleurs, mais ce n’est pas le cas ».
Après cela, nous comprenons mieux pourquoi désormais elle a été rebaptisée Jackie Wonder. Son parcours professionnel ressemble à une avalanche de rêves d’enfants, mais on y dénote surtout une force de caractère sans faille, et une certaine impertinence pour atteindre les objectifs qu’elle se fixe en permanence.
« Funky Brunch », du rêve à la réalité dans une ville qui a besoin de s’ouvrir
Le rêve Funky Brunch débute en décembre 2013, dès sa première édition. Bien qu’elle occupe parallèlement un poste d’assistante de production à la RTS, depuis quelques mois, elle a déjà mûri, avec l’une de ses amies Rana, l’idée d’un concept fédérateur en son genre : le brunch nomade.
Certes le brunch n’est pas un concept révolutionnaire en soi, mais pour elles, l’idée de proposer un brunch qui change d’endroit à chaque édition permet également à Genève de diversifier l’offre qui reste très faible et ne génère aucune valeur ajoutée.
Du coup nous profitons de la questionner sur l’image qu’elle a de la ville du bout du lac lorsqu’elle débute son aventure « Funky Brunch ». Et la réponse est pour le moins directe : « L’été c’est génial, mais l’hiver on s’ennuie à mourir » Et depuis quelques temps, même si elle s’accorde à dire que la ville évolue, que de multiples évènements se créent, ce qu’elle a voulu retranscrire avant tout à travers « Funky Brunch » est cet engouement pour le partage, la fête et la gastronomie. Et de reproduire ce qui se passe dans d’autres villes cosmopolites. Tout cela dans une atmosphère positive et légère pour éviter que Genève ne se renferme comme à son habitude.
Après le succès de cette première édition, les deux amies savent qu’elles tiennent quelque chose de solide. En pensant atteindre une cible majoritairement constituée d’expatriés, elles réalisent, bien au contraire, que la demande est surtout forte auprès des locaux. Les éditions s’enchaînent donc dans un premier temps dans des lieux habituellement fermés le dimanche ; les établissements encaissant les recettes liées aux boissons, « Funky Brunch » celles de la restauration.
Les deux « funky ladies » étoffent également leur offre pour s’adresser à un public plus large. Elles proposent notamment deux plages horaires par brunch qui permettent aussi bien aux familles qu’aux couples sans enfants d’y trouver leur compte. Et d’y ajouter la partie « entertainement » ; activités pour les enfants et DJ pour les adultes.
Après plusieurs éditions couronnées de succès, fin 2014 marque pourtant un tournant et la fin de la collaboration entre les deux amies. En effet, le business model change drastiquement ; à savoir qu’il se recentre sur la partie « entertainment » en laissant la partie gastronomique, bien trop contraignante, aux établissements dans lequel Funky Brunch sera organisés.
L’arrivée de son acolyte Rémy dans l’aventure début 2015 est un « véritable coup de foudre professionnel » comme Jacqueline le décrit, qui les amène à partager une même vision. Ils décident donc non seulement d’exporter le Funky Brunch en dehors de Genève, mais également de s’adresser directement aux hôtels, ce qui permettra à ces derniers d’attirer une nouvelle clientèle, de se différencier sur le marché et de faire vivre leur brunch dominical différemment.
Avec un véritable engouement lors de l’édition au Mandarin Oriental en Mars 2015 à Genève, Jacqueline saisit cette opportunité et propose au siège européen une collaboration avec d’autres hôtels de la chaîne. Et l’apogée pour « Funky Brunch » se déroule en Octobre 2015 au Mandarin Oriental à Paris avec le chef étoilé Thierry Marx. Les retombées médiatiques sont énormes, les télés s’enchaînent, les propositions également, notamment avec un autre lieu insolite à Paris, celui du Jamel Comedy Club.
Mais à cela vient également s’ajouter son lot de problèmes. La barre est désormais très, « trop » haute et le déplacement dans un nouveau lieu à chaque édition est devenu trop compliqué et sonne comme un éternel recommencement à chaque édition.
Quel avenir pour la « Wonder Woman » et son « Funky Brunch » ?
Après une petite parenthèse début 2016, Jacqueline reprend une activité afin de « survivre financièrement », mais cette dernière, infatigable, se rend compte avec l’aide d’experts qu’il ne faudrait pas moins de 12 brunchs par mois pour être rentable. La fondatrice met alors en place une véritable stratégie pour l’année en cours. Funky Brunch s’installera désormais trois fois dans le même lieu, juste en adaptant son menu, car la demande est toujours là et le modèle devient plus profitable, mais toujours pas assez rentable.
Pour l’avenir et après une analyse de la meilleure stratégie, l’organisation de plusieurs événements par mois paraît trop fastidieuse et compliquée à gérer sans sa présence à chaque édition. Il faudrait au contraire une ville capable de générer des événements à grande échelle, accueillant entre 300 et 500 personnes par édition. C’est désormais vers New York, sa ville préférée depuis sa jeune adolescence, que Jacqueline se tourne. En partenariat avec d’autres marques suisses, l’Ambassade de Suisse à New York et des « Celebrity Chefs » / « Celebrity DJs ».
A l’aube de la 35ème et dernière édition de l’année, c’est en toute transparence qu’elle nous révèle être en pleine remise en question quant à l’avenir de Funky Brunch, malgré son rêve de conquérir New York. Après trois ans d’excitation et de fierté, elle n’est pas dupe. « Tout cela demande énormément d’énergie, mon but n’est pas de faire la même chose pendant des années, mais de vendre le concept « Funky Brunch » d’ici deux ans » admet-elle.
Certes, elle ne semble pour l’instant pas prête à laisser le « bébé », mais rêve d’évasion, là où il n’y aurait plus de pression financière. Entend-on par là un retour à la stabilité professionnelle ? Comme à son habitude, l’hyperactive Jacqueline est déjà sur trois pistes potentielles.
Mais nous avons tout de même envie de lui dire que Funky Brunch n’aurait plus grand intérêt sans elle et que même si nous la connaissons depuis à peine deux heures, nous la voyons difficilement s’épanouir pleinement dans un bureau, cantonnée entre quatre murs et attendre 17h pour timbrer.
Nous restons persuadés que quel que soit le destin réservé à « Funky Brunch », nous reverrons très vite sa fondatrice avec toute l’énergie positive et contagieuse qu’elle véhicule.
Et surtout, nous voulons croire que comme son homonyme Jackie Wonder, « we all have a Wonder Woman inside us ».
Pour en savoir plus : www.funkybrunch.com
Photo credit : ©Nicolas Righetti/ Lundi13