Qu’est-ce qui caractérise la réussite du changement ? Quel sont les regards et les attentes portés vers le management ? Qu’est-ce qui motive profondément l’employé à fournir son dur labeur afin de parvenir à des buts qu’il n’a pas choisis ? Vous pensez que c’est son contrat ? Non, c’est un fil… non du ciment.
De nombreuses entreprises ou organisations se transforment, de la fusion à la vente, de la délocalisation à la restructuration… Toutes Ces situations entraînent des bouleversements dans la vie de chaque employé et celui-ci doit pouvoir y faire face, comprendre et réagir. Quels sont les moteurs qui l’aideront à se surpasser quand la carotte est semi-absente ?
Nos motivations en entreprise font écho à nos valeurs personnelles. Pour être porté, le changement doit ressentir les impulsions forgées non seulement grâce à l’alliance des acteurs dont les valeurs sont communes, mais aussi grâce à l’alliance entre tous les acteurs et les valeurs de l’entreprise. Autrement dit, « en théorie, tout est possible ».
La réalité du terrain tend à prouver que le changement en entreprise est un parcours semé d’écueils et qu’il est nécessaire, afin d’encadrer et de motiver les employés, de définir comportements, attitudes et faits de la part du management.
Des psychologues se sont penchés sur les interactions entre 2 concepts : la justice et l’exemplarité. Et les découvertes vont dans le sens des plaintes les plus fréquemment entendues soit l’opacité, les salaires, les licenciements, les récompenses financières et/ou symboliques.
Dans ce premier épisode, nous vous proposons de regarder de plus près les rouages humains à l’œuvre.
Épisode 1 : La justice
Lorsqu’une organisation change, rôles et fonctions se redéfinissent continuellement. L’identité professionnelle de l’employé est redessinée également. C’est à ce moment que son besoin d’ancrage devient plus grand tandis que sa tolérance vis-à-vis de l’incertitude diminue.
L’organisation doit garder en tête que de manière inhérente à la situation, les employés sont également déconstruits. Une partie de son attention devrait être allouée à l’accompagnement des acteurs du changement, notamment au regard des principes de justice puisqu’ils concourent, par interactions, à établir des relations saines entre les individus.
Selon El Akrimi et al. (2006), la justice est « un déterminant essentiel des attitudes et des comportements au travail. Les perceptions de justice représentent une condition fondamentale pour le développement et le maintien des relations constructives assurant la confiance et la qualité des échanges entre les acteurs organisationnels. ».
A. La justice distributive
L’employé attend de la part de sa hiérarchie une rétribution juste et alignée sur sa propre perception (salaire, récompenses, remerciements) pour sa force de travail en comparaison de son groupe de référence.
Un des moteurs sociaux de notre société moderne, la comparaison sociale (Festinger, Théorie de la comparaison sociale, 1954) est totalement impliquée. Festinger, une des figures majeures de la psychologie sociale a établi que l’homme a une tendance à s’évaluer vis-à-vis des autres dans le but de modifier et de stabiliser ses opinions, sa perception de soi en termes de comportements, d'opinions et de capacités.
Cependant, « en l’absence de terme de comparaison dans le monde physique ou dans le domaine social, l’évaluation subjective des opinions et des aptitudes est instable. ». Il faut donc imaginer qu’en pleine restructuration, les acteurs évoluent dans le noir, étant donné que les critères objectifs tendent à s’amenuiser.
De cette justice, l’employé créée sa perception de « l’équité, l’égalité et le respect des besoins individuels » (Janiczek et al., 2012).
B. La justice procédurale
Basée sur la théorie de la justice procédurale de Thibault et Walker (1978), la justice procédurale explique qu’une décision, un jugement et une procédure seront perçus par les acteurs comme justes, équitables, si et seulement s’ils ont une possibilité de jouer un rôle actif dans leur finalité.
Janiczek et al. (2012) offre cette exemple évident à l’heure actuelle, mais qui prend toute sa dimension au regard de l’histoire et de l’actualité mondiale : « prenons l’exemple d’un homme jugé devant un tribunal ; en lui donnant le droit de s’exprimer devant les juges, il considérera son jugement, quel qu’il soit, plus juste que s’il n’avait pu donner son point de vue. ».
Le modèle de Leventhal (1980) met également en avant que la justice procédurale touche à la perception cognitive de l’évaluation du processus d’allocation lui-même. Ce modèle implique que l’acteur met constamment en balance la rétribution et le processus d’évaluation de cette rétribution car celui-ci est aussi examiné.
Si le système est opaque pendant le changement et que la rétribution est en-dessous des attentes de l’acteur, une dissonance cognitive se produit inextricablement. La dissonance cognitive est un état pénible dans lequel nos perceptions, nos informations sont en conflit. Le moyen de résoudre ce mal-être est tout simplement d’éliminer l’information avec la valence la plus faible.
Dans le contexte du changement, il faut considérer l’individu déjà dans une situation instable. Si à cela s’ajoute des facteurs aggravants comme une allocation des ressources inférieures à la perception de son travail et des procédés « injustes », alors ceux-ci vont entraîner soit le départ de l’acteur, soit une baisse significative de son engagement envers l’organisation et par extension de sa motivation.
Les Six critères de Leventhal (1980) sont encore plus pertinents dans le contexte d’un changement d’organisation (cité par Frimousse, S., 2008)
- L’uniformité stipule que les procédures d’allocation, pour être perçues par un individu comme justes, devraient être uniformes à travers les personnes et dans le temps.
- La suppression du parti pris par la réduction des préjugés dans les procédures d’allocation des ressources.
- La précision de l’information.
- La possibilité de révision. La perception de l’équité des procédures est tributaire de la présence des procédures d’appel qui permet de modifier les décisions à diverses étapes du processus d’allocation. Barrett-Howard et Tyler (1986) ont confirmé empiriquement le poids de cette règle dans la perception de la justice procédurale.
- La représentativité. Tous les individus doivent être représentés lors de la prise de la décision.
- Les principes moraux et éthiques.
C. La justice interpersonnelle
La façon dont l'individu est traité par ses pairs est très importante. On n’ignore pas les risques psychosociaux encourus dans un cadre humain hostile quand bien même l’organisation est stable.
Il faut imaginer que lors de changements, nos comportements tendent à se modifier. Les tensions sont exacerbées car l’homme n’aime pas le changement. Le changement est un passage à l’action et mobilise beaucoup d’énergie (cognitive, physique, etc.). Cette puissance, mal canalisée, peut provoquer des ambiances très délétères. Cela rend encore plus attentif l’acteur, dans une posture d’hypervigilance, à tous les écarts des autres. Bies et Moag (1986) mettent en évidence 4 critères particulièrement sensibles à savoir « l’honnêteté, la courtoisie, le respect des droits et la décence du comportement. » (Janiczek et al., 2012)
D. La justice informationnelle
La dernière forme de justice à l’œuvre est celle qui régit le système d’information, notamment la justification autour des décisions prises lors du changement. La justification doit être considérée comme les différences entre les décisions et les actions.
Nous en revenons à un problème de dissonance cognitive, mais à une plus grande échelle. Citons un exemple. La hiérarchie fixe un délai de réalisation. Sans avertissements, elle avance cette date quelques mois après. Quelle sera la première réclamation ? « On aurait pu nous prévenir avant de décider ». Il y a un fossé entre les décisions et les possibilités ou capacités de réalisation. Non seulement l’information est inexistante, mais également irrespectueuse du savoir-faire des acteurs en première ligne.
Dans le prochaine épisode, le principe de l’exemplarité sera mis sur la scène.
Sources :
Bies R.J. et Moag J.S., “Interactional justice : Communication criteria for fairness” dans B. Sheppard ‘Ed.) Research on Negotiation in Organization, Vol.1, Greenwitch, CT : JAI Press, 1986, pp.43-55.
El Akremi A., Guerrero S., Neveu J-P, Comportement organisationnel, Justice organisationnelle, enjeux de carrière et épuisement professionnel, volume 2, Bruxelles, De Boeck Université, Chapitre 1,2 et 3, 2006
Frimousse, S., Peretti, J.M., et Swalhi, A., « La diversité des formes de performance au travail : le rôle de la justice organisationnelle », Management & Avenir, vol. 18, no. 4, pp. 117-132, 2008.
Janiczek, M., D’Hoore W. , Vas, A.,. « Comprendre la justice organisationnelle en contexte de changement : une étude exploratoire en milieu hospitalier », Question(s) de management, vol. 0, no. 1, 2012, pp. 97-115.
Leventhal, G. S., « What should be done with equity theory ? », in M. S. Gergen et R. H. Willis (éd.), Social exchange : Advances in theory and research, Plenum Press, New York, p. 27–55, 1980
Melkonian, T., Change acceptance : the role of exemplarity, EM lyon Ecully, 2004.
Melkonian, T., et al. « Être juste, ou être exemplaire ? La fusion Air France-KLM à la loupe », Revue française de gestion, vol. no 164, no. 5, 2006, pp. 229-252.
Thibault J. et Walker L. (1978) A theory of procedure, California Law Review, 66 pp.541-566.
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