Trappeur, aventurier, archéologue expérimental et auteur, le Vaudois Kim Pasche passe une bonne partie de l’année à parcourir le wild en Alaska (où il possède d’ailleurs un territoire de plus de… 4’500 km2 !!). Adepte de la pensée sauvage, il nous livre son parcours et nous offre un plaidoyer vibrant pour l’établissement d’un nouveau paradigme permettant à l’Homme de retrouver sa place véritable dans le monde.
Dans la deuxième partie de notre article, nous laissons à nouveau la parole à Kim Pasche. Après nous avoir expliqué son parcours et sa vision du monde dans la première partie, cette seconde partie explique plus en détails les projets concrets qu’il met en œuvre.
« Projets »
Hmmm... Je n'aime pas beaucoup le mot "projet", car dans « projet », il y a « projeter », et j'ai l'impression que ça contribue à nourrir l'idée que demain sera mieux qu'hier si nous y travaillons dur.
Cela étant dit, bien sûr que j'ai des élans que j’essaie de concrétiser. Je crois qu'ils ont tous pour but de permettre l'observation du monde, de notre civilisation et de la nature.
Je continue de donner des stages d'immersion ici en Europe, afin de permettre aux gens de goûter à la vie en tribu, dans la nature, pendant une ou deux semaines. Se glisser dans les bois avec peu et voir quelle relation nous pouvons tisser avec l'environnement.
Il y a également ce que je suis en train de mettre en place au Yukon avec la construction d'un nouveau campement. Ce campement aura notamment pour but de permettre l'accueil de projets (difficile de remplacer ce mot!) visant à réinterroger le rapport entre les humains et le monde non-humain qui les entoure. Concrètement, je pense que notre concession, qui est au plein milieu d'un des lieux les plus sauvages au monde, est un magnifique lieu pour se confronter au vivant de façon directe, sensuelle et non-conceptuelle.
Dans un monde où la majorité des humains vivent en ville, il semble essentiel que certaines personnes qui sont placées à des postes-clé puissent s'inspirer d'une telle expérience. Vivre quelques jours dans des forêts habitées par des ours grizzlies, qui peuvent vous tuer en un instant, remet de façon brutale n’importe qui à sa place! Une expérience de la sorte change à jamais votre vision du monde!
Sinon, j'écris et réalise des documentaires. Nous venons de terminer, avec un ami réalisateur, un documentaire pour Arte qui se nomme "Traces Sauvages: Yukon" et qui se veut le premier épisode d'une série, du moins nous l'espérons.
Je termine cet été un livre sur les 14 ans que j’ai passés au Yukon. Sans titre pour l’instant, il sortira chez Arthaud.
Platformact.org
Oui, avec plaisir! Plateformact est le nom du site internet du mouvement PACT (Plateforme d'Alliance Collaborative pour la Terre). PACT est un bébé que nous avons créé avec mon ami Michael Palma qui est associé de la Banque Mirabaud à Genève.
A l'époque, Michael ressentait le besoin de s'inscrire dans quelque chose de plus grand que lui, qui nourrisse et porte les valeurs qui lui semblaient essentielles. Ces valeurs, que je nomme principes du vivant, transpirent dans le monde sauvage, mais sont relativement invisibles dans notre société moderne et urbaine. Comment les ramener dans le quotidien contemporain ? Voilà une question à laquelle Michael cherchait à répondre.
De mon côté, j'étais prisonnier malgré moi d'une vision bien trop manichéenne, qui voyait volontiers les grandes instances de ce monde comme les grands méchants du monde capitaliste. Michael, par sa demande, m'a permis de prendre conscience du système dans lequel nous vivons. Un système dont chaque partie contribue – sciemment ou non – au tout.
Nous sommes tous plus ou moins prisonniers du récit de notre civilisation qui, comme je l'ai dit plus haut, perçoit le monde comme perfectible, et dont les habitants humains seraient promis à un destin particulier.
Le capitalisme libéral, le communisme ou n'importe quel autre modèle socio-politico-économique, cherchent à répondre différemment à la même pulsion. Chacun pense avoir la bonne solution et tous valident, par-là même, le postulat de la perfectibilité – du progrès donc – et d'une Vérité absolue.
Une stratégie fondée sur une nouvelle vision du monde
Or, ce que m'a proposé Michael à l'époque, c'est d'imaginer à quoi ressemblerait une stratégie basée sur une autre vision du monde, celle des peuples racines, pour qui le progrès est avant tout synonyme d'adaptabilité et non de perfectibilité.
Ensemble, et avec celles et ceux qui nous ont rejoints, nous cherchons à retrouver une cadence de vie en résonance avec le Vivant. Cela semble sûrement abstrait, mais ça ne l'est pas tant. La nature vit au rythme des saisons, alors comment réintégrer cette danse dans notre quotidien, même quand on habite au 4ème étage d'un bâtiment en plein centre de Genève ?
Il s'agit donc de nourrir ce concept un peu bizarre qu'est la "passivité créative", énergie motrice par excellence des peuples racines, concept qu'un ancien du peuple Gwitchin (au nord du Yukon) m'a un jour résumé en ces termes : "You don't move things, you let things move you" (TdR : « On ne doit pas bouger les choses, mais laisser les choses nous bouger »).
Très concrètement, PACT est une plateforme en construction qui vise à mettre en lien et en collaboration des gens éclairés et influents, comme Michael, avec des gens et des projets qui nourrissent la vision de l'homme comme membre à part entière de l'écosystème.
Anecdotes
Je ne sais même pas par où commencer ! Il y a tant à partager... C'est d'ailleurs la raison d'être de mon prochain livre, bientôt disponible chez Arthaud.
Parmi les expériences les plus étranges que j'ai vécu dans les bois, il y a celle des deux loups qui se sont approchés sans peur de mon feu, alors que j'explorais une zone reculée du Yukon, ou encore la fois ou un porc-épic c'est assis au coin du feu avec moi !
A mes risques et péril
Je pourrais également mentionner les nombreuses fois où j'ai cru que je perdais la vie, dont une fois mémorable où trop de temps passé seul dans les bois m'a fait prendre une décision dangereuse: traverser une grosse rivière en crue à l'aide d'un petit radeau pour porter mon barda. L’esquif sur lequel toutes mes affaires se trouvaient s’est fait emporter par le courant et moi avec ! J'avais le choix entre tout lâcher et me retrouver nu à cinquante kilomètres de la première route, ou celui de m'accrocher, mais risquer l’hypothermie dans une eau à moins de 5°C. J'ai tenu bon, mais ai failli ne jamais réussir à arrêter mon radeau !
La chasse au mouflon
Il y aussi des moments de grâce, comme cette chasse au mouflon, à l'arc, en 2014. Après des heures d'approche sur une colonie de mouflons qui se prélassaient sur un haut-plateau, j'ai fini par me retrouver à trente mètres de ces animaux tout blancs.
Mais quelque chose semblait les rendre inquiets. Ils regardaient tous dans une direction qui était presque la mienne. Je ne comprenais pas : j'avais le vent de face et n'avais fait aucun bruit, ni mouvement. Au moment où j'allais essayer de me rapprocher encore, cinq loups sont soudain apparus sur ma droite et se sont rués à la poursuite du troupeau...
Nous étions en train de faire une approche semblable, au même moment, sur le même troupeau ! Un corbeau en vol aurait pu observer cette situation pour le moins insolite d'un homme vêtu de blanc en train de ramper quelques mètres à côté d'une meute de loups ! Ce jour-là, peut-être surpris par ma présence, les loups ont manqué leur assaut et fait fuir les mouflons. J'étais également bredouille, mais avec un souvenir inoubliable !
Et puis, comme pour me signifier que je faisais partie de ces terres, le hasard a voulu qu'exactement là où les loups s'étaient arrêtés après leur poursuite infructueuse, un porc-épic s’est présenté à moi ! Je suis rentré ce soir-là avec de quoi me nourrir le corps pour deux semaines, et l'esprit pour des années !
Malgré l’incendie de sa cabane au Yukon en 2017, Kim Pasche passe toujours plusieurs mois par an en pleine nature. Il donne également des conférences régulièrement, collabore avec des universitaires sur ses découvertes en matière d’archéologie expérimentale et propose des stages d’immersion dans la nature sauvage, plusieurs fois l’an, en Suisse notamment.
Publications de Kim Pasche :
https://www.gens-des-bois.org/fr/parutions/
- Un livre à paraître chez Arthaud, sans titre pour le moment.
- Le documentaire : « Traces sauvages : Yukon » passera sur Arte l’été prochain.
Credit photo : Bruno Augsburger