Enseignante, députée suppléante au Grand Conseil et Présidente de l’association « La Laïcité, ma liberté », Natacha Buffet-Desfayes répond à nos questions concernant la votation sur l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État (LLE).
Le peuple genevois va voter le 10 février sur l’adoption de la Loi sur la laïcité. Encore faut-il s’entendre sur la définition même de ce principe.
Qu’est-ce que la laïcité ?
"La définition du terme « laïcité » est effectivement très complexe, très vaste et très dépendante des époques et des États dans lesquels elle s’exprime. Je propose donc de nous arrêter à la définition qui met le plus de monde d’accord et qui consiste à définir la laïcité comme étant la séparation des Eglises et de l’État.
Dans le cas du vote de dimanche, il s’agit « heureusement » et « simplement » de préciser le cadre et l’application de la laïcité de l’État à Genève. Il s’agit donc de préciser le cadre dans lequel l’État peut entretenir des relations avec les religions et l’application du principe de laïcité de l’État au sein de ses services et pour ses représentants.
Pourquoi ce principe doit-il à votre avis faire l’objet d’une loi?
Le principe de laïcité du Canton de Genève est déjà inscrit dans la Constitution qui a été adoptée par le peuple en 2012. Ce principe doit désormais être « traduit » en loi, ce qui permettra de dire comment cette laïcité de l’État doit être appliquée au quotidien et ce, pour toutes les entités qui composent le petit et le grand État.
Il doit permettre de ne plus laisser la place à l’interprétation du principe de laïcité de l’État et de faire en sorte que toutes les entités qui composent l’État de Genève soient soumises aux mêmes règles, mettant ainsi fin aux vides juridiques qui font qu’actuellement nous vivons, par exemple, avec des statuts du personnel et des règlements du conseil municipal tous différents les uns des autres, dépendant de la vision que ces entités ont de la laïcité de l’État et de la manière de l’appliquer.
Le principal risque de l’absence de retranscription du principe de laïcité de l’État en loi aurait pour effet que nous continuerions à vivre, au sein des 45 communes genevoises et de toutes les composantes de l’État, dans des régimes très différents les uns des autres, laissant la porte ouverte à des inégalités inacceptables.
En effet, pourquoi auriez-vous le droit de siéger en plénière avec un signe religieux extérieur dans une commune et n’auriez-vous pas le droit d’y siéger, dans la commune d’à côté, et ce, en raison du fait que le règlement y stipulerait que vous ne pouvez exprimer vos opinions qu’au travers de propos, excluant ainsi tous les signes religieux extérieurs, les slogans sur des t-shirts, etc. ?
Quelle sont les nouvelles menaces qui pèsent sur ce principe, pourtant admis de longue date dans notre culture ?
Les « menaces » ne sont pas nouvelles, mais il faut faire en sorte de les circonscrire autant que faire se peut, évitant ainsi les inégalités entre les entités de l’État et empêcher qu’un service différencié soit proposé aux usagers de l’État, selon l’endroit ou le service au sein desquels ce service est offert.
L’État neutre et laïque doit garantir et préserver la diversité religieuse de la population. Il ne doit pas l’incarner. Cette distinction est primordiale dans le débat qui nous anime aujourd’hui.
Quelles sont les solutions que cette loi apporte ?
Cette loi a le mérite de rappeler ce qu’est la laïcité de l’État, de mettre toutes les entités qui le composent sur un pied d’égalité ainsi et de traiter toutes les religions de la même manière, sans distinctions, sans privilèges.
Les opposants à La LLE affirment notamment qu’elle enfreint le principe de liberté démocratique, qu’elle représente un danger pour le droit de manifester, voire qu’elle serait un moteur d’exclusion des femmes. Que répondez-vous à cela ?
La liberté démocratique est totalement respectée. J’en veux pour preuve le fait que la loi proposée est le résultat de plus de deux ans de travaux de consultation des acteurs religieux, des composantes de l’État et de tous les partis représentés au Grand Conseil.
Le droit à la manifestation est garanti. Ce qui est précisé ici, ce sont les conditions dans lesquelles les manifestations cultuelles ont le droit ou non d’être tenues dans l’espace public. Ces précisions sont selon moi les bienvenues, car l’espace public appartient à tous, mais il est hors de question que chacun puisse s’adonner à des manifestations cultuelles sans autorisation et sans cadrage, comme c’est parfois déjà le cas. N’oublions jamais dans ce débat que de nombreuses personnes ne se reconnaissent dans aucune religion, n’en pratiquent pas ou n’y portent pas d’intérêt, mais partagent tout de même le même espace public que tous les autres. Au lieu d’une privation, je vois un cadrage bienvenu.
Pour ce qui est du dernier point, la loi est très claire. Elle concerne toutes les religions et concerne aussi bien les hommes que les femmes, sans distinction.
Ma priorité va à la garantie de la neutralité des agents de l’État qui sont en contact avec le public dans le cadre de leurs fonctions. Je ne rentrerai donc pas dans la question de savoir qui doit ou peut porter quel type de signe religieux et à quel moment. Cette question n’a pas sa place dans la Loi sur la laïcité de l’État puisque, je le rappelle, elle vise à définir l’application de cette dernière au sein de ce dernier, aucunement d’entrer dans des considérations religieuses qui me dépassent personnellement et sur lesquelles mon avis politique n’a rien à faire.
Pour rappel, les opposants à l’adoption de la LLE dénoncent une loi liberticide et discriminatoire.
Ndlr : Les positions exprimées dans cette articles sont celles de notre invitée et ne reflètent pas celles de la rédaction de Geneva Business News.
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Photo credit : Georges Altman et Guillaume Anjou