Le 1er décembre dernier, le Japan-Taiwan Exchange Association (JTEA) a dévoilé au public son nouveau logo.
L’association qui représente les intérêts économiques japonais à Taiwan souhaitait rendre hommage à l’aide humanitaire apportée au Japon au moment de la catastrophe survenue à Fukushima, le 11 mars 2011. Ce jour-là, un séisme, suivi d’un tsunami, conduit à l’arrêt de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, provoquant la fuite d’une quantité considérable de résidus radioactifs. L’Agence Nippone de la Gestion des Feux et Catastrophes estime le nombre de victimes à 20'000 morts, ce jour-là.
Le gouvernement taiwanais apporta une aide humanitaire dont le coût cumulé a été estimé par la JTEA à 45 milliards de yen (soit environ 239 millions de dollars). La sympathie que provoqua cette action au sein de la société japonaise amena à une vague d’intérêt pour son voisin. Cela nous donne l’occasion de revenir brièvement sur l’histoire des relations entre les deux pays.
Un peu d’histoire : Taiwan et ses relations à la Chine
L’ensemble d’îles que Taiwan inclut a d’abord été tributaire de la Chine impériale avant de passer sous contrôle Japonais à la fin du 19ème siècle. L’armée du Parti nationaliste chinois (Kuomintang) du général Tchang Kaï-chek arrive sur l’île en 1945. Ce dernier s’en empare en 1949 et fait sécession avec le continent à la suite de sa défaite face à la Chine populaire de Mao Zedong. Taiwan devient alors une dictature militaire avec le soutien de Washington. Celle-ci perdure jusqu’au milieu des années 1980. S’enclenche alors un processus de démocratisation et les premiers partis d’opposition voient le jour. Toutefois, le Kuomintang conserve une forte majorité et demeure encore à ce jour le parti dominant de la République de Chine.
Taiwan devient alors l’intervenant chinois officiel pour le Japon qui ne reconnaît toujours pas la Chine communiste de Mao, à ce moment. Les raisons derrière ce choix sont multiples.
L’anti-communisme qui caractérise traditionnellement la classe politique japonaise l’explique en partie. Cela ne suffit cependant pas à expliquer le choix de taille entre les deux opposants.
En effet, le Premier Ministre japonais de l’époque, Yoshida Shigeru, prône alors une alliance avec Mao. Pour mieux saisir celle-ci, une mise en contexte de la région est-asiatique dans les années 50 est indispensable.
Guerre de Corée : pour comprendre les relations entre le Japon et Taiwan
Le 25 juin 1950, peu avant l’aube, l’Armée populaire de Corée franchit le 38ème parallèle qui marque la délimitation territoriale entre les deux Corées depuis la Conférence de Yalta en 1945. Cette action visant à prendre le contrôle de la péninsule coréenne, alors divisée depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale, entre la République populaire de Corée de Kim Il-sung au nord et la République de Corée de Syngman Rhee au sud. Le nord se trouve alors dans le giron de la Russie soviétique de Staline et la Chine populaire de Mao, tandis que le sud est sous l’influence des Forces Alliées, et en particulier des États-Unis.
Ce passage à l’acte du régime nord-coréen, fort de 135'000 soldats équipés par l’URSS, marque le début de ce qu’on appelle la Guerre Froide. Celle-ci durera 3 ans, jusqu’à la signature du Pacte de non-agression le 27 juillet 1953.
Le traité de Taipei : restitution de Taiwan à la Chine
L’importance la Guerre de Corée dans les relations entre Taiwan et le Japon se retrouve à plusieurs niveaux.
Du côté taiwanais, de par sa prise de position politique et son implication militaire dans le conflit, le Kuomintang obtient une reconnaissance internationale. Celui-ci est en effet le représentant de la Chine, dans sa totalité, auprès des Nations Unies.
Le traité de Taipei signé entre Taiwan et le Japon en avril 1952 illustre bien ce rôle, joué par le premier. Faisant suite au traité de San Francisco signé entre les USA et le Japon en 1951, le trait en question confirme la rétribution des îles de Taiwan et des Pescadores à la Chine… du Kuomintang.
La république de Chine sera l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU jusqu’au 25 octobre 1971. À cette date, l’assemblée générale de l’ONU vote l’expulsion des représentants de la République de Chine et la République populaire de Chine devient alors l’intervenant officiel pour la Chine. Taiwan perd également son statut de membre permanent.
Du côté japonais, la guerre marque le début du redressement économique. Sous occupation américaine depuis la fin de la guerre, le pays sert d’avant-poste aux forces onusiennes alors en en action sur la péninsule. L’industrie japonaise assure alors la production du matériel de guerre nécessaire. Le miracle économique japonais peut trouver ses racines durant cette période. Le pays se relève alors de la difficile période d’après-guerre. 20 ans après les bombardements nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki, le monde découvre un Japon reconstruit et industrialisé lors des Jeux Olympiques de 1964.
Fang Zhi et l’Association Culturelle & Economique Sino-Ryukyuan
Les liens entre les deux pays demeurent avant tout d’ordre économiques. Selon les dires de l’Association des relations nippo-taiwanaises, le Japon serait le troisième plus important partenaire économique de Taiwan. Taiwan de son côté serait le quatrième plus important du Japon.
Les collaborations entre les deux pays sont nombreuses et existent depuis la sécession de Taiwan avec la Chine continentale. Les enjeux japonais sur l’île datent de la période coloniale. Toutefois, l’une des premières collaborations d’après-guerre vient du côté taiwanais. En 1958, Fang Zhi, un haut dignitaire du Kuomintang, fonde l’Association Culturelle & Economique Sino-Ryukyuan. Deux desseins peuvent en expliquer la raison. La première est évidemment due au besoin de se rapprocher de son voisin nippon, afin de consolider le partenariat économique entre les deux nations. La deuxième est moins évidente, mais semble toutefois au moins tout aussi importante. Le choix de Fang Zhi d’établir le siège de son association à Naha, chef-lieu de ce qui constitue Okinawa n’est en rien dû au hasard. Les deux archipels possèdent bien une identité autochtone les rapprochant bien plus culturellement que de la Chine continentale.
Toutefois, il semble plus probant de conclure que la raison véritable se trouve ailleurs. Okinawa est alors à cette époque un territoire administré par les États-Unis et sert encore aujourd’hui de poste avancée à son armée dans la région. Établir ainsi une institution officielle semble alors servi à d’autres desseins que l’échange purement culturelle et économique. Un rapport officiel de l’administration américaine déclare en 1968 que Fang Zhi occupant le poste de Président d’une Association en charge des intérêts économiques, illustre l’importance attachée à la région par le gouvernement taiwanais.
Marginalisation internationale
Les rapports entre les deux pays changent de statut en 1972. La République populaire de Chine et le Japon signent à Pékin « le Communiqué commun du gouvernement du Japon et du gouvernement de la république populaire de Chine ». Ce traité normalise les relations entre les deux pays et amène le Japon à reconnaître la Chine populaire comme seule représentante légitime du Gouvernement chinois. Ce communiqué se verra confirmé en 1978, avec le « traité de paix et d'amitié entre le Japon et la république populaire de Chine ». L’Association deviendra de fait un des offices représentant les intérêts de la République de Chine au Japon.
Afin de répondre à la cessation d’activités diplomatiques directes, Taiwan fonde à Tokyo le 2 décembre 1972 l’Association des Relations Est-Asiatiques. Celle-ci change son nom en 2017 pour celui d’Association des Relations Nippo-Taiwanaises actuellement employé. L’Association Culturelle & Économique Sino-Ryukyuan fusionnera avec celle-ci en 2006. D’une certaine façon, Taiwan adopte la politique de la Chine continentale. Jusqu’au renversement de situation, cette dernière entretenait ses rapports avec son voisin nippon, strictement via le commerce privé.
Aujourd’hui, les relations nippo-taiwanaises se poursuivent dans une certaine ambiguïté continue. Taiwan représente en effet un partenaire économique important et une source de main d’œuvre immigrée pour le Japon. Les citoyens taiwanais bénéficient d’un visa de 90 jours comme n’importe quel autre pays. En 2006, les déclarations du Ministre des Affaires étrangères d’alors, Tarô Asô, réitèrent la position officielle du gouvernement japonais. Celui-ci ne reconnait qu’une seule Chine officielle. Pourtant, les relations entre les deux pays sont à un bien meilleur niveau que celles qu’entretiennent le Japon avec la Chine continentale. La presse des deux côtés est nettement plus bienveillante vis-à-vis de chacun des deux pays, qu’à l’encontre de la Chine continentale. Le nombre d’étudiants étrangers en échange dans les universités est également élevé. Sans oublier, l’impact de la culture populaire japonaise qui ne cesse pas de fasciner les jeunes taiwanais surnommés hari. Les ressortissants taiwanais bénéficient en outre d’une exemption de visa, privilège que les citoyens de la Chine continentale ne possèdent pas.
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