Dans notre premier article, nous avons expliqué en quoi consistait le métier de logisticien humanitaire sur le terrain, en situation d’urgence. Nous vous avons alors expliqué les nombreux métiers que celui-ci exerce, ainsi que ses multiples compétences.
Dans ce second article, nous allons voir où le logisticien humanitaire peut également exercer ce métier, toujours sur le terrain, non plus dans l’urgence, mais dans un contexte de développement de nouveaux projets ou missions, ou encore après un conflit ou une catastrophe.
Dans le cadre du développement, le logisticien humanitaire peut travailler dans un contexte post-conflit ou post-catastrophe. Mais il peut également exercer ses talents dans de nouveaux projets ou missions afin de participer au développement pur et simple d’une frange d’une activité économique ou afin d’aider à une population en difficulté, sans crise préalable ou en crise récurrente.
Le rôle du logisticien dans le développement
Pour les missions qui interviennent une fois la situation d'urgence terminée, le logisticien doit penser à long terme. En effet, la reconstruction ou la réhabilitation est un travail de longue haleine. Il s'occupe également de répondre aux besoins élémentaires des populations les plus vulnérables, notamment en terme d'accès à l'eau, à la nourriture, aux soins médicaux et à l'éducation. De la même façon, les programmes de plantation ou d’élevage se planifient sur plusieurs mois, voire des années. Les missions dans ce contexte sont donc généralement plus longues.
Un autre aspect de ce type de missions consiste à la préparation aux catastrophes et aux futures urgences. Par exemple, des programmes de préparation aux tsunamis ont été mis en place en Thaïlande, en Malaisie et dans les Iles Salomon, ainsi que des préparations de réponses aux ouragans en Haïti et dans les Iles Bahamas. Ces programmes peuvent se limiter aux phases de préparation, de réponses, de formations et de réduction des risques, sans phases de reconstruction.
Un suivi financier plus rigoureux
Ces programmes d’aide étant plus longs, l’aspect financier et économique est mis en avant. Les logisticiens doivent faire un suivi plus rigoureux des moyens et trouver des solutions les plus économiques possibles, ainsi que disperser les financements dans le marché local.
Par exemple, lors de la construction de l’hôpital de Bo en Sierra Leone, j’ai fait fabriquer, par de petites équipes locales (23 équipes de 3 à 4 personnes), 94’000 briques de terre compressée, pour économiser non seulement le coût des briques, mais surtout celui du transport.
En développement comme en urgence, les différentes familles techniques interviennent. En effet, le logisticien doit prendre en compte la sécurité, les moyens de communication, ainsi que l’informatique, la watsan (wach), les sources d’énergie, les transports et la supply-chain. A ces familles, s’ajoutent celles de la réhabilitation/reconstruction, ainsi que les moyens de subsistance.
Toutefois, il est difficile de cloisonner la gestion d’une situation de crise de celle d’une situation de développement. Celles-ci sont souvent consécutives et complémentaires.
Le logisticien humanitaire en cas d’urgence se doit de privilégier les délais courts et n’a pas le loisir de planifier les choses. Il ne peut donc se focaliser sur le budget. Il doit agir vite, sans trop se soucier des coûts.
En situation de développement, par contre, le logisticien se doit de maîtriser les coûts. Cela a une implication sur toutes les familles techniques, puisque les délais ne sont pas les mêmes, comme nous allons l’expliquer.
Une sécurité moins contraignante
Les plans et règles de sécurité seront allégés et adaptée au contexte, mais il faut faire attention à ne pas trop baisser sa garde, à rester vigilant et à bien prendre en compte les indicateurs de sécurité. Un cambriolage ou une simple manifestation peut vite dégénérer.
La WATSAN reste un gros challenge
Le traitement des déchets et leur valorisation, dans des zones prévues pour cela, va être une grande partie du travail des équipes sur place. Il s’agit d’assainir l’environnement des bénéficiaires et d’éviter ainsi de futures épidémies.
Cela concerne également l’eau. Une attention particulière est portée aux écoulements et évacuations des eaux de ruissellement, afin d’éviter des glissements de terrain, des inondations ainsi que l’infection des points d’eaux potables. Le sel, dans les zones côtières, peut aussi poser des problèmes à gérer. En effet, avec les ouragans, les vents violents peuvent amener du sel à plus de 12km à l’intérieur des terres et cela peut affecter les réserves d’eaux potables (lacs et réservoirs à ciel ouvert), ainsi que brûler les plantations vivrières.
L’énergie et électricité
A long terme, les installations solaires sont plus conséquentes, avec des chargeurs de batterie inverter, avec des batteries à Lithium de grandes capacités, voire avec des moyens nouveaux, comme par exemple des éoliennes ou un mix des deux (solaire et éolien), avec cette fois des générateurs en back-up.
Le logisticien humanitaire peut également aider à remettre en état le réseau électrique local ou installer des mini-installations solaires individuelles. A Madagascar, j’ai par exemple développé des stations de chargeurs de téléphones, avec seulement un panneau solaire, et ainsi, nous avons remis en marche des échanges commerciaux, dans une zone rurale où les gens n’avaient simplement pas les moyens de le faire.
Les transport/mécanique
En développement, le suivi est beaucoup plus strict et nécessite la mise en place de garages et de chronogrammes de suivi des véhicules.
Et comme le facteur temps n’est plus une urgence, il est possible d’utiliser des moyens de transport locaux pour l’approvisionnement, avec des pirogues, des vélos, des bateaux à voiles, des chars à bras, des ânes, des dromadaires, des bœufs ou encore des porteurs. Utiliser ces moyens locaux permet de faire travailler la population locale et de fournir un revenu à leur famille.
Supply chain/stockage à le long terme
Il s’agit de rouvrir de nouveaux axes de transports, des espaces de stockage, de relancer les infrastructures locales, ainsi que les petits producteurs et les artisans, plus que les grosses compagnies de transport. Encore une fois, l’économie locale est privilégiée. Et tous ces travailleurs locaux appuient toutes les autres familles logistiques et inversement.
La planification est également beaucoup plus rigoureuse. En effet, les envois sont regroupés et planifiés, ce qui n’est pas possible en situation d’urgence.
Les constructions/réhabilitations
C’est la famille la plus sollicitée pour le développement et la réhabilitation. Elle concerne les écoles, les structures sanitaires et médicales, les voies d’accès, telles que les ponts et les routes, mais aussi les administrations locales, les marchés, les postes de police, etc.
On fera aussi le remplacement des structures d’urgence (structures temporaires) pour passer à des bâtiments durables, tout cela suivant les priorités des ONGI ou de leurs mandats. Pour ce faire, le logisticien agit de la même façon que pour les transports : Il privilégie les moyens locaux : 100 bras valent mieux qu’une grue quand cela est possible.
Les moyens de subsistance
Cette famille propre au développement consiste à aider les populations à développer l’élevage, la pêche, les plantations, la pisciculture, les petites industries, l’artisanat, le transport, la transformation et le stockage des denrées vers les marchés locaux des ressources vitales. Tout cela permet de se diriger vers un retour à une normalité.
L’éducation et la santé seront aussi appuyées, suivant les mandats des ONGI, par les logisticiens, mais de manière plus transversale au travers des diverses familles logistiques que nous vous avons présentées ci-dessus.
Les ressources humaines et administratives appuieront les divers services logistiques pour leurs activités. En effet, celles-ci s’occupent du recrutement, des contrats, des accords de collaborations (mémorandum of understanding ou protocole d'entente), du suivi, et de la mise à jour des dossiers du personnel, ainsi que du respect des lois, des conventions collectives et des autres règlements.
Même si des techniciens spécialisés sont mis à contribution pour appuyer les logisticiens, ceux-ci coordonnent toujours un large panel d’activités, dans divers scénarios pour répondre aux besoins des populations, pour appuyer les spécialistes et les ONGs.
Des qualités en plus, dans le développement
Les qualités des logisticiens pour ce type de mission sont, elles aussi, différentes. La patience sera mise à rude épreuve.
Le logisticien peut choisir des moyens de transports plus lents ou avec des impondérables météo, afin de respecter le budget.
Prenons un exemple de transport de marchandises par voiliers sur le lac Tanganyika. Il me manquait de la marchandise pour finir la construction d’un centre de santé et faire la remise du chantier. En effet, j’ai dû attendre trois semaines pour recevoir des vitres, des gouttières et des réservoirs de nous aurions payé plus cher et enrichit une seule compagnie qui détient le monopole des speed-boats. Le budget aurait alors été dépassé.
De plus, la diplomatie, l’anticipation et la sensibilité culturelle ont une importance capitale pour mener à bien des projets sur le long terme.
Par exemple, en Papouasie, après un blocage du chantier d’en centre de santé par les autochtones et une franche hostilité de leur part, je me suis assis avec les chefs traditionnels et j’ai entamé une discussion. Avec des explications des traditions, j’ai compris que « les Dieux de la forêt étaient très fâchés » contre la construction d’un centre de santé local trop près de la forêt. J’ai demandé comment remédier à cela ? Les chefs m’ont répondu qu’il fallait « faire une cérémonie de pardon ». J’ai alors proposé de faire des offrandes aux Dieux de la forêt. Cela consistait en deux cochons grillés, en un repas avec les chefs, ainsi que l’impression de quelques photos des chefs et des enfants du village. Suite à cela, nous avons pu finir de construire le centre de santé et d'intégrer celui-ci dans cette communauté.
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Plus cela change, le plus cela reste semblable
Le calme, l’autonomie, l’empathie sont également des qualités essentielles, car les populations et les collègues ou travailleurs locaux ont souvent subi des évènements traumatiques, tels que des combats, des catastrophes et d’autres violences. Le logisticien doit savoir faire preuve de pudeur, de recul et de philosophie, car il ne peut pas savoir à quel point ceux-ci ont été impactés par cela et quelles sont leurs séquelles.
On ne fait pas de l’humanitaire sans humanité, ce qu’on oublie malheureusement parfois au bénéfice de l'efficacité.
Lectures complémentaires :
Logisticien humanitaire ou LOG-ONGI, qu’est-ce que c’est ? par Robert Foulon
Logistique humanitaire : le domaine aux mille facettes par Clément Capponi
Rencontre avec les humanitaires, ces héroïnes et héros des temps modernes par Milinda Wannakula
Sources : https://www.faq-logistique.com/Logistique-Humanitaire-Simplification-Postes-Privilegier-Souplesse.htm
Photo credit : Robert Foulon
Merci de votre post. Je crois que moi personnellement j'ai besoin de votre aide. En effet je suis auditeur à la chaire UNESCO ci Abidjan, je suis docteur en sciences du langage. Mais n'étant pas recruté, j'ai décidé de changer de cap. Je prépare un master 2 en logistique humanitaire mon sujet porte sur la logistique de distribution : cas de l'UNICEF ci.
Avec votre accord je vous poserai quelques questions pour mieux éclairer mon point de vue sur certains aspects de mon sujet.