Et l'ingénieur devint un manager durable...
Ingénieur de formation, le Dr Eric Davalle est chef du Service de l’électricité aux Services Industriels de la ville de Lausanne (SiL). Autodidacte dans le domaine du management, il s’est retrouvé directeur d'un bureau international d'ingénieurs de 150 personnes à 44 ans. Il a dû apprendre à gérer l’entreprise en recherchant des conseils auprès des professionnels du domaine. Aujourd'hui cadre au sein de l’administration publique lausannoise, il s’est résolument orienté vers une forme de management qui pour lui est essentielle pour l’évolution saine d’une organisation. Il lui a fallu plusieurs années pour arriver à formaliser une méthode de management, le « management durable », qui a fait l'objet d'un livre fondé sur son expérience de la gestion appliquée au sein de son service. « Manager, devenez durables ! » est un manuel de près de 300 pages qui détaille la stratégie et l’opérationnel au quotidien, et prend position pour modèle économique alternatif. Le livre est publié aux Éditions StudyramaPro (janvier 2013) en collaboration avec Patrick Chalençon, Directeur de Capegrowth, structure de conseil en entreprise et Cornelia Stoeri, psychologue du travail. Le Dr Davalle répond à nos questions sur sa méthode de travail, sa vision du management et donne quelques pistes de réussite basées sur son expérience.
Il existe diverses formes de management dont certaines portent également le label « durable ». Qu’est-ce qui fait la spécificité de votre approche ?
Il est vrai qu’il existe plusieurs formes de management, toutefois, avant d’écrire notre livre, j’ai pris le soin de parcourir la littérature à ce sujet et d’évaluer la pratique environnante. Malheureusement, je n’ai pas trouvé de méthode qui organisait l’équilibre entre le social, l’économique et l’environnement en entreprise. J’aime le terme « durable » parce qu’il englobe ces trois aspects importants dans une entreprise : la performance économique par l’efficience, mais également la performance sociale d’un collaborateur qui est bien formé et à sa place au travail, ainsi que l’aspect environnemental dans le sens de limiter nos impacts. L’équilibre de ces trois éléments est logique et nécessaire. Les autres formes de management ne me semblent pas englober tout cela. Il est plus souvent question d’efficacité au sens de performances impératives, de respect des engagements, surtout financiers, tandis que dans d’autres formes bien moins répandues la partie environnementale est prééminente. C’est le combat permanent entre approche anthropocentrique et biocentrique.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au « management durable » et pourquoi changer le mode de fonctionnement de votre service ?
Quand j’évoque le « management durable », je suscite souvent la surprise. Le management semble mal se marier au terme « durable » qui est associé, de façon parfois péjorative, à « écolo ». De mon point de vue, il n’est toutefois pas nécessaire d’arborer un label « écologique » pour être un manager « durable ». Je me suis engagé dans cette entreprise de service public orientée Agenda21 également par conviction personnelle. C’est un avantage de ne pas être contraint à un mode de pensée unique.
Changer l’existant pour tendre à plus d’équilibre
Quand j’ai pris mon poste, l’électricité fonctionnait et on pourrait effectivement se demander pourquoi j’ai ressenti le besoin d’adapter une organisation qui marchait. Toutefois, il existait dans le service des dysfonctionnements, comme l’absence de gestion par projet, et des difficultés relationnelles graves qui n’ont plus cours aujourd’hui. Le fait que des conditions de travail apaisées aient été mises en place a transformé l’environnement professionnel. Quand les employés travaillent dans une atmosphère plus sereine, ils le font avec davantage de plaisir. De ce fait, les absences pour cause de maladies ont beaucoup diminué et les problèmes de communication également. Après une enquête d’opinion interne de l’ensemble des Services Industriels de la ville de Lausanne (SiL), mon service a été le mieux évalué par les subordonnés. De plus, je suis personnellement très bien noté par mon supérieur. Je ne pense pas que ce soit dû au hasard. Cela dit, des problèmes subsistent, mais ils sont sans commune mesure avec ce qui prévalait avant la mise en place du système de « management durable ».
Qu’est-ce qui a permis que le processus de changement n’entraîne pas des résistances dans votre service ?
Je citerai trois atouts:
- La politique de la ville de Lausanne, qui s’inscrit dans une perspective de développement durable qui prend en compte les collaborateurs et à laquelle je souscris.
- L’adhésion des cadres supérieurs à mener différemment leurs missions dans une démarche cohérente et programmée.
- Le fait d’améliorer le fonctionnement par la formation technique et l’acte managérial.
Le fait que ce changement aie également un impact politique aurait pu constituer un blocage. Toutefois mon supérieur m’a permis de le faire et je l’en remercie, même si la mise en place a pris à peu près la durée d’une législature. Donc, l’élu qui en a facilité la mise en place pouvait ne pas en voir les résultats s’il n’était pas réélu. Ce ne fut pas le cas et chacun y trouve son compte. Par ailleurs, ce que recherche un politicien, c’est de s’assurer que ce qui est mis en place répond à la mission de service public et à ce pourquoi il a été élu. Le management durable répondait à ce besoin. Quant à la résistance au changement, une fois que les objectifs d’amélioration voulus furent expliqués aux collaborateurs, la grande majorité du personnel était prêt pour le changement.
Dans votre livre vous détaillez les étapes à entreprendre pour mettre en place un système similaire à celui de votre service. Brièvement, comment devrions-nous procéder pour devenir un « manager durable » ?
- Il faut avoir des convictions fermes, couplées à une volonté indéfectible de la structure dirigeante de bas en haut de la chaîne décisionnelle
- Il faut une trame déterminée à partir d’un audit interne qui permet aux collaborateurs de s’exprimer. Il s'agit ensuite de croiser les informations obtenues, de donner un sens aux actions à entreprendre et de faire ressortir les éléments nécessaires à la mise en place d’un système adapté aux besoins d’une entreprise.
- Pour ceux qui sont dans le service public, il faut s'assurer que rien dans la mise en place ne soit contraire aux règles de l’administration. Adaptation oui, bouleversement non !
Enfin, il faut bien garder à l’esprit que malgré une mise en place qui peut être longue, c’est très profitable. Ce qui dérange certains, c’est justement qu’ils ont l’impression que c’est compliqué. Penser aux avantages prochains et aux gains potentiels permet d'aller de l'avant.
Comment avez-vous réussi à diffuser les éléments du « management durable » au sein de votre service ? Vos collaborateurs ont-ils reçu une formation ?
Un cours conséquent, pratique, et incluant une partie théorique a été spécialement développé pour le service et dispensé à deux niveaux hiérarchiques, les cadres supérieurs et tous les responsables d’équipes. Il porte sur la gestion et le management d’équipe en respectant l'équilibre entre l'économique, le social et l'environnement. Des formateurs professionnels externes ont adapté les informations contenues dans le livre. Je leur ai expliqué l'essence du livre, et dans quel esprit je souhaitais que ce soit appliqué.
C’était assez complexe à organiser, parce que le personnel ne peut pas dédier plusieurs heures par jour pour la seule formation. Nous l'avons donc adapté ainsi:
- Pour les cadres : cinq modules de 4h.
- Pour les responsables d’équipes, dix modules de 2 à 4h.
Des banderoles pour favoriser la communication
J’ai également fait installer de grandes banderoles sur les cinq sites du service avec pour message principal d’écouter ce que l’autre a à nous dire. L’amélioration a été significative. En effet, une majorité des conflits proviennent du fait que les parties en présence n’ont pas écouté et comprennent donc mal le message du vis-à-vis.
Comment voyez-vous aujourd’hui le management durable dans le monde de l’entreprise ?
D’autres sociétés ont également une orientation similaire. Je ne les connais pas. Il est possible que celles qui l'appliquent et qui voient que ça marche mieux pour elles préfèrent rester discrètes afin d'éviter que la concurrence n'améliore aussi ses résultats!
Un modèle reproductible, adaptable et profitable
Le modèle est facilement reproductible et adaptable à des entités plus grandes, publiques et privées. La mise en place consiste en un réajustement des processus internes métiers et managériaux appliqués avec rigueur et systématisme dans l'entreprise qui, par la suite, s’améliore très vite. Le cabinet de conseil qui m'a appuyé pour la formation des cadres supérieurs, Capegrowth, a d'ailleurs intégré le "management durable" dans ses modules de formation et ses réflexions stratégiques.
Valoriser le collaborateur le transfigure et contribue à la rentabilité
Contrairement à ce qui m’a été dit quand je prenais cette charge, les fonctionnaires ne sont pas des personnes sclérosées. Si vous donnez un sens à leur action quotidienne ils sont enthousiastes. Je n’avais jamais trouvé dans le secteur privé des gens qui soient aussi impliqués et concernés par l’utilité de leur action pour la société. Donner des perspectives de formation, de carrière et permettre aux collaborateurs de mettre en valeur leurs compétences leur donnent envie de travailler. Alors la rentabilité augmente ! Dans mon service par exemple, nous avons eu une progression d’amélioration financière moyenne jusqu’à 18% après trois années opérationnelles de la nouvelle organisation.
La formation des cadres doit intégrer l’élément humain
J’insiste sur le social, car le collaborateur est central dans toute organisation. Dans les écoles de management, on ne s’intéresse pas assez au facteur humain, sans doute parce que le modèle économique actuel, libéral capitaliste à court terme, occulte cet aspect pour s’intéresser principalement à la productivité. Les enseignements devraient mettre l’accent sur les relations humaines, qui sont fondamentales pour être un bon manager ou même un bon administrateur. Par ailleurs, les personnes qui ont une formation en ressources humaines ne semblent pas suffisamment impliquées dans les développements stratégiques des entreprises, alors qu’ils pourraient constituer un élément clef dans la gestion de la structure.
Quels échos avez-vous reçu de votre entourage professionnel ou de la part d'
autres managers ?
L'écho est nécessairement mitigé. Qui sont les dirigeants qui aiment se remettre en cause ? Moi, je crois à la preuve par l’acte. Plusieurs personnes m’ont approché en aparté et m’ont dit que j’avais fait preuve de courage. Toutefois, il me semble que peu d’entre eux s’intéressent à savoir comment j'ai pu obtenir mes résultats. Peut-être que ce qui les freine, c’est la peur du changement, et l’investissement personnel sur le long terme. C’est effectivement un énorme travail. A titre personnel, mon épouse m’a demandé si le service public n’était pas pire que le privé, car je passais beaucoup plus de temps au bureau ! Pour diffuser l’idée du management durable j’ai récemment été invité au 7e Salon des Ressources Humaines de Genève et au Salon Bitoubi d’octobre 2013. J'ai eu beaucoup de retours positifs depuis. En général, ceux qui prennent un peu de temps pour examiner nos idées et qui ont lu le livre sont acquis. J’'ai notamment été invité par l'Association Suisse d’Organisation et de Management (ASO) pour en parler lors de deux soirées-débat, en juin 2013 et novembre 2013. Je considère une démarche comme la mienne comme un déclic et je suis disposé à dispenser une formation dans ce sens. Avec une méthode éprouvée et une expérience de douze ans comme chargé de cours à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), ça m’enthousiasmerait de pouvoir transmettre.
Qu'est-ce qui a fait de vous un manager qui réussit ce qu’il entreprend ?
Ma passion pour ce que je fais, ma curiosité, mon sens de l'amélioration permanente et mon sens de l'écoute des autres. J’essaie de traiter chaque personne avec tout le respect auquel chacun a droit. J’ai une vision, je suis respectueux de mon environnement comme de l'environnement et je cultive ce respect par exemple en éteignant la lumière en quittant une pièce. De plus, je n'ai pas été typé par des modèles et je n’ai donc pas été « formaté » par une école de management, même si je reconnais la valeur de ceux qui en sortent.
Que pourriez-vous dire d’autre de vous ?
J’ai peut-être un côté de perfectionniste, qu'on me reproche parfois. Je peux aussi être parfois fatiguant pour mon entourage, passant pour celui qui sait. J’ai le souci de la chose bien faite et je veux aider quand je vois que quelque chose ne va pas. Alors, il m’arrive de me retenir de venir en aide à quelqu’un de peur de l’offenser par rapport à l’effort qu’il est en train de fournir. Mais je connais mes limites et j'apprends avec l'âge!
Pour les jeunes..
A l'époque, il suffisait de peu de choses pour devenir un manager, ce qui n'est plus le cas maintenant. A tort ou à raison. Alors pour ceux qui veulent réaliser leur rêve de devenir manager, il faut tenir bon, arriver à se sortir du formatage de son école, de la société, et rester soi-même ; et enfin retenir que la conviction en certaines valeurs est la pièce maîtresse d’une action portée à réussir.
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MODULES DE FORMATION MANAGEMENT LEADERSHIP – Genève, Vaud, Neuchâtel, Valais, Fribourg et Zürich
Le management durable est, à mon avis, un élément essentiel pour toute entreprise qui tient à cœur le développement humain et la croissance. Ici, l'auteur a mis l'accent sur le fait que dans l'administration, la formation technique doit faire partie du management. Il a raison, car le savoir-faire de l’employé doit exister dans une structure managériale qui vise à mettre en relief la vision de l'entreprise et répondre en même temps aux attentes du milieu dans lequel cette société évolue.
Merci, Aïssatou, d'avoir pris initiative d'aller chercher le secret caché derrière ce concept du "management durable". Après avoir lu ton exposé, j'ai envie plutôt d’appeler ce concept "le développement durable de l'administration", car c'est le but final !
Carline Kelly, MBA, PMP