Le métier de traducteur a beaucoup évolué ces dernières années. Pour comprendre ces changements, nous avons discuté avec Marianne Starlander, chargée d’enseignement à la Faculté de traduction et d’interprétation (FTI) de l’Université de Genève, dans le Département de traitement informatique multilingue (TIM).
Progrès de la traduction automatique
Aujourd’hui, avec ChatGPT et l’intelligence artificielle, différents métiers vivent une révolution que le métier de la traduction connaît déjà depuis 2017, avec l’apparition des systèmes de traduction automatique neuronale, notamment de DeepL. Le niveau de qualité de la traduction automatique (TA) a soudain fait un bond, rendant envisageable son utilisation dans les flux de travail. A l’époque, les professionnels de la traduction se demandaient ce que leur métier allait devenir.
Le département TIM fait des recherches sur les différents modèles de TA et dispose à présent du recul suffisant pour évaluer l’impact de la TA et comprendre que les traducteurs ne seront pas remplacés par des machines de sitôt. Les connaissances des traducteurs humains sont indispensables pour relire et corriger (post-éditer) les textes produits par la TA. Les entreprises qui décident de se passer d’un professionnel pour traduire leur site web, se rendent vite compte que la TA produit des erreurs qui, dans le domaine juridique ou du marketing, peuvent coûter très cher.
Inquiétude parmi les étudiants en traduction
Cependant, les étudiants sont très inquiets. Les médias répètent souvent que les traducteurs ne sont plus nécessaires, car la TA produit de meilleurs résultats que les humains. L’impact de ce message est visible : on constate en général dans les facultés de traduction une baisse du nombre d’inscriptions. Les nouvelles technologies obligent la Faculté à faire un travail de communication pour rassurer les étudiants et insister sur l’importance d’un professionnel.
Accroissement de la demande
Paradoxalement, les besoins en matière de traduction ne font que croître. La quantité traitée par l’industrie de la langue est en constante augmentation. Le taux de débouchées à la sortie de la FTI est élevé et ne se limite pas à la traduction en elle-même. Il y a un grand nombre de postes de traduction à pourvoir et une vraie difficulté à recruter des linguistes et des spécialistes sachant utiliser ces technologies. Les organisations internationales (OMPI, OMC, ONU) engagent toujours des traducteurs fixes bien qu’elles aient intégré la TA dans la palette d’outils qui permettent aux professionnels de réaliser leur travail.
« Dans l’industrie de la langue, il y a une vraie difficulté à recruter, à trouver assez de personnes qualifiées. »
Beaucoup de métiers langagiers sont apparus autour de ces nouveaux outils. La FTI propose, par exemple, un master en traitement informatique multilingue, pour former les étudiants à accompagner, installer, mettre en place et développer la traduction automatique de manière intelligente.
La valeur ajoutée du traducteur
Marianne Starlander
Bien que le cursus en traduction ait quelque peu changé ces dernières années, il y a une constante : pour pouvoir utiliser correctement ces technologies, il faut apprendre à être un bon traducteur, c’est-à-dire, à traduire sans ces outils pour obtenir l’esprit critique qui permettra ensuite de les intégrer. La FTI dispense plusieurs cours afin d’expliquer le fonctionnement de ces technologies pour que les étudiants soient conscients des limites, des choses auxquelles ils doivent faire attention lorsqu’ils les utilisent.
« Pour pouvoir utiliser correctement ces technologies, il faut apprendre à être un bon traducteur. »
La TA donne de bons résultats dans certains domaines, sur des thèmes généraux, ainsi que sur des textes éphémères qui, de toutes façons, n’auraient pas été traduits par un professionnel, par exemple, un échange d’e-mails entre collègues ou du contenu généré par des utilisateurs de chats, forums, etc.
Néanmoins, la TA ne présente que peu d’intérêt pour des textes qui ont une durée de vie plus longue, par exemple dans des domaines comme le marketing, la localisation ou la transcréation, car une machine n’a pas de créativité ni de connaissances d’une culture cible. À partir du moment où un texte est destiné à être diffusé, il faut un professionnel qui puisse le vérifier. Le traducteur est une garantie de qualité pour vendre un produit, publier une brochure, localiser une publicité ou traduire un texte de loi. C’est dans ces secteurs spécialisés que l’on retrouve la valeur ajoutée du traducteur, sa créativité, sa compréhension du contexte et sa connaissance de la terminologie et du public cible.
Impact des technologies sur les tarifs
Ces dix dernières années, on a pu observer que l’on demande aux traducteurs de traduire plus et plus vite à l’aide d’outils comme la TA et les mémoires de traduction. Les tarifs, qui étaient stables depuis une dizaine d’années, ont baissé ces derniers temps, mais devraient se stabiliser. Il y a beaucoup de travail, mais le travail bien payé est plus difficile à trouver. Cependant, ces outils permettent de traduire plus de quantité et de compenser cette baisse. Bien sûr, cela dépend du domaine car parfois la TA n’est pas très utile.
Un métier de communication
Le mot traducteur peut sembler réducteur, car la palette de compétences dont disposent ces professionnels est plus large. Les traducteurs et traductrices font bien plus que traduire. Bien sûr, ils maîtrisent des langues, mais ils connaissent aussi des cultures. Ce sont des spécialistes de la ou des langues, des médiateurs culturels, des communicateurs. Ce côté-là leur permet de travailler dans la communication d’une manière générale. On croit souvent que les seules débouchées sont la traduction et l’interprétation, mais les anciens étudiants exercent une large palette de métiers liées aux langues : gestion communautaire, création et gestion de documents, rédaction web, création de contenus multilingues, gestion de projets, contrôle de qualité, sous-titrage, localisation, transcréation, voire, journalisme ou tourisme.
« J’aurai plutôt tendance à appeler les traducteurs des spécialistes de la ou des langues. »
Perspectives
Pour le moment, les modèles de TA sont entrainés sur des traductions et des textes rédigés par des humains, mais on va arriver à un point où ces systèmes vont commencer à s’entraîner sur des textes générés automatiquement ou sur de la post-édition. On observe que les données ne sont plus aussi « propres » qu’au début. Aura-t-on assez de données humaines pour continuer à améliorer la qualité ? La qualité va-t-elle baisser ? Ces questions sont étudiées, on se demande comment la TA va évoluer lorsqu’on aura plus de données mixtes. Ça demande de repenser les cursus universitaires, de repenser le métier de manière plus ouverte. Cependant, on aura toujours besoin de spécialistes, de personnes qui aiment les langues et qui ont envie de travailler dans ce domaine-là.
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