Nous poursuivons notre série concernant la culture de l'échec en Suisse. Cet article traite en particulier de la façon de réagir face à l'échec : comment rebondir et tirer des enseignement de celui-ci.
Il est primordial d’être capable de rebondir après un échec pour éviter de sombrer dans une période de déprime, dans une profonde dépression ou un burn-out. Toutefois, nous ne sommes pas tous égaux, car cette capacité n’est pas innée et ne se transmet pas dans les gènes. Elle s’acquiert avec le temps, en fonction de notre éducation et de notre environnement social.
Comme nous l’avons argumenté dans un précédent article, L’échec – 1. La Suisse, pays de tolérance ?, en Europe et spécialement en Suisse, l’échec n’est jamais perçu comme quelque chose de positif. Il dévalorise souvent notre parcours de vie, car nous nous y attardons, plutôt que de passer à autre chose, tout en oubliant de tenir compte des précieux enseignements que nous apportent l’échec. Nous devrions utiliser à bon escient notre capacité à tirer les conséquences de nos actes passés et les transformer en acquis bénéfiques pour notre futur.
Le jour où tout bascule
La société suisse qui prône « le parcours sans faute » ne nous prépare pas à l’échec. Que ce soit durant notre scolarité ou notre vie professionnelle, sa stigmatisation est omniprésente. Notre pays qui a fait de la réussite l’un de ses arguments économiques devrait rester attentif aux changements de mentalités qui s’opèrent depuis quelques années et ne pas se reposer sur ses lauriers.
L’échec est encore trop souvent considéré comme un tabou dans les sociétés modernes. Le corollaire en est notre réticence à tenter une réflexion commune sur le sujet, et encore moins prêts à amorcer une introspection sur nous-mêmes. Mais le moment venu, serons-nous prêts et posséderons-nous les ressources adéquates pour pouvoir y faire face ?
Perte d’emploi, maladie, divorce, faillite, chômage : autant de mots qui renvoient aux difficultés de la vie et qui nous sont malheureusement devenus familiers. La plupart d’entre nous y est confronté au moins une fois dans sa vie, que ce soit à titre personnel ou de manière indirecte. Comme nous n’avons pas appris, nous sommes envahis par la culpabilité au premier obstacle, au moment où il faudrait prendre du recul, faire preuve de réflexion et envisager l’avenir avec sérénité et espoir.
Prenons le cas d’un cadre supérieur, qui, après avoir réussi un parcours sans faute apprend qu’il vient d’être licencié, malgré une carrière exemplaire : un milieu équilibré, des études sans problème, un métier où il s’épanouit, un mariage réussi duquel sont issus trois enfants, une belle maison, etc. Sa vie bascule et il n’a rien vu venir. Mais comme la société pris au sens communautaire et politique ne l’a pas préparé à vivre un tel choc, il ne peut compter que sur lui-même et tenter de puiser dans ses propres ressources pour faire face à la situation. Cette réalité va vraisemblablement induire son comportement : s’effondrer et se morfondre sur son sort ou au contraire, faire preuve de résilience face à l’épreuve, avant d’être capable de rebondir. Voilà le choix qui s’offre à lui.
« Au cours de sa vie, chaque être humain fait face à des difficultés ; il arrive qu’il parvienne non seulement à surmonter celles-ci, mais aussi à transformer cette épreuve en succès. Cette capacité de rebondir appartient à toutes et à tous, quelles que soient son origine, sa culture et ses capacités intellectuelles et autres ». Tels sont les propos du Docteur Daniel Dufour, médecin suisse, adepte d’une médecine globale dans laquelle les causes de la maladie sont traitées autant que les symptômes.
Les exemples semblables à la situation de ce cadre supérieur sont légions dans nos sociétés occidentales. Qu’il s’agisse d’emploi, de maladie ou encore de divorce, le processus sera toujours vécu à l’identique par l’ensemble des protagonistes.
L’être humain possède des capacités spectaculaires qui lui permettent de résoudre chaque problématique à laquelle il est confronté. Il a également la force nécessaire pour atteindre un niveau bien supérieur à celui où il se situait auparavant, quand il décide de s’investir dans un nouveau projet de vie.1
Certes, face à l’épreuve, la tentation serait de vouloir retourner à la vie d’avant l’échec. Les spécialistes vous le disent : ce n’est pas une bonne idée, car cela signifierait retourner à l’origine de la difficulté. Nous devons au contraire chercher des solutions, comprendre nos erreurs et rechercher une autre façon de vivre pour ne plus nous exposer à la même problématique.
La notion d’échec dans l’entreprise
Selon l’Office cantonal de la statistique, environ 3'000 nouvelles entreprises sont inscrites au Registre du commerce de Genève chaque années. 48% des entreprises créées sont liquidées durant les cinq premières années d’existence. Pour la plupart d’entre elles, cette liquidation intervient dans un processus de faillite, ultime recours pour tout ceux qui ont échoué dans leur entreprise.
Pour Paul Dembinski, économiste et directeur de l’Observatoire de la Finance, « les racines de l’échec entrepreneurial se trouvent tout autant dans le projet tel qu’il a été conçu que dans sa mise en œuvre (…) La question qui se pose consiste, en dernière analyse, à savoir si la création d’entreprise n’est pas en train de devenir, sous prétexte d’acquisition d’expérience, un acte de moins en moins réfléchi, voire un poker menteur, qui pourrait à terme miner la confiance dans l’acte même d’entreprendre ».
En d’autres termes, l’échec serait essentiellement dû à des comportements humains plutôt qu’à une mauvaise substance économique de l’entreprise. Cette dernière "coule" par manque de liquidités, de fonds propres et d’expérience ou à la suite d’agissements inadaptés et inexplicables des chefs d’entreprises.
Les entrepreneurs qui ont fait l’expérience de l’échec sont ceux qui réussissent le mieux en management d’entreprise, car ils ont intégré cette notion dans la façon de conduire leur business. En clair, les victimes d’hier sont devenus les gagnants d’aujourd’hui, car ils ont su tirer les enseignements de leurs erreurs et rebondir en affaire. Pour la plupart d’entre eux, avoir vécu un échec est la meilleure chose qui leur est arrivé.
Le pire des échecs est une vie sans échec 2
L’aptitude à rebondir ≠ résilience
Il est important de distinguer ces deux notions, car associer aptitude à rebondir dans la vie et résilience est inopportun.
A l’origine, la résilience est un terme utilisé en physique. Elle se définit par la capacité d’un matériau soumis à un impact à retrouver son état initial ou encore par la quantité d’énergie cinétique absorbée nécessaire pour provoquer la rupture d’un métal. En langage simplifié, la résilience n’est rien d’autre que la capacité de résistance au choc.
Ce terme a été détourné de son sens initial, puisque la résilience, de l’anglais resiliency, est maintenant un concept couramment utilisé dans les pays anglo-saxons, pour définir un phénomène psychologique qui consiste pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l’événement traumatique et à se reconstruire.
Selon le docteur Daniel Dufour, auteur d’un ouvrage sur le sujet, « la capacité de rebondir dans la vie est fort différente de la résilience, même si certains points sont communs aux deux notions. La plus grande différence réside dans le fait que tout être humain dispose de la capacité de rebondir et qu’il peut l’exploiter à tout moment et sans avoir besoin de se reposer sur autrui ».
Face à une épreuve ou à un échec, nous avons à disposition une pléthore d’opportunités de rebondir, pour peu que nous créions une nouvelle réalité à notre image. Pour cela, nous possédons des outils appelés créativité et savoir inné. Faire appel ceux-ci face à l’échec est rendu possible si nous puisons dans nos propres ressources, acquises depuis notre naissance. Un seul leitmotif : croire en nous-mêmes, puisque nous sommes les seuls à décider de notre avenir et à prendre notre destinée en main.
Trouver les ressources nécessaires pour d’abord tirer les enseignements de ses échecs et ensuite être capable de rebondir, voilà la meilleure voie possible pour se battre contre les épreuves, que la vie se charge de mettre au travers de nos routes.
Et dans d’autres culture...
Le sentiment d’échec est perçu différemment en fonction de l’environnement dans lequel nous grandissons. En effet, certaines cultures tolèrent mieux la notion d’échec que d’autres.
Nous avons vu qu’en Suisse, nous cultivons un sentiment de culpabilité face à l’échec, ce qui compromet fortement notre capacité à rebondir. De manière plus générale, pour combattre ce sentiment, l’être humain doit passer par plusieurs étapes allant de l’acceptation à la concrétisation, car il a besoin de comprendre pour pouvoir avancer. Il lui fat donc détecter les raisons objectives de son échec, puis en tirer les conséquences, voire les enseignements lui permettant d’accepter celui-ci pour finalement aborder la phase de concrétisation qui peut être la réalisation d’un nouveau projet, par exemple. Ces réflexions se font en principe seul, face à soi-même, mais parfois, certaines personnes ont besoin de se faire aider dans leurs démarches.
Dans la culture japonaise, l’échec est considéré comme une honte, qui peut parfois aboutir à des excès mortels. Il n’est pas rare de voir un dirigeant d’entreprise ou un homme politique faire des excuses publiques pour reconnaître un échec ou avouer une faute.
Ces séances publiques de repentance durant lesquelles une personne confesse ses erreurs sont généralement empreintes de solennité et de retenue. Mais parfois, cela peut prendre des proportions ahurissantes. En juillet dernier, un député japonais est venu s’expliquer sur des détournements de fonds présumés d’environ 50'000 francs en direct à la télévision. A la stupeur générale, ce monsieur s’est déchaîné : pleurs, cris, larmes ou encore coups de poing sur la table dans une mise en scène d’auto-flagellation de plus de trois heures. Un tel comportement peut surprendre aux yeux des occidentaux. Mais il est motivé par le fait que, pour la nation nippone, la seule réponse appropriée face à l’échec consiste à s’en prendre uniquement à soi-même. La société ne tolère ni excuse ni pardon et la compassion n’a pas lieu d’être. Il faut savoir que dès la naissance, le citoyen japonais apprend à rester dans le contrôle en toute circonstance et en retrait, non seulement vis-à-vis d’autrui, mais aussi envers ses propres sentiments.
Ce pays cultive la honte, là où l’Occident pratique la culpabilité. La conséquence en est une tendance à chercher à limiter les risques dans la gestion du quotidien et la prise de décision, dans le seul but de ne pas perdre la face et son honneur. Mais au pays du soleil levant, les choses évoluent et des changements de comportement apparaissent. Dans une société civile aussi codifiée où l’honneur est au centre de tout, les excuses sont maintenant l’expression d’une responsabilité sociale assumée.
La nouvelle génération de jeunes entrepreneurs a ainsi une autre perception du management, dans lequel l’échec devient admissible. Petit à petit, le Japon apprend à vivre avec le goût du risque. Changer les mentalités demande du temps, mais il y a urgence, dans un pays où donner une seconde chance lors d'un échec est si rare. En effet, c’est toute la compétitivité de l’économie qui est menacée par cette passivité créative et la peur de l’échec.
Les Etats-Unis se trouvent aux antipodes de cette philosophie. L’échec y est perçue comme étant éducatif et vécu comme un processus d’apprentissage nécessaire pour se construire. Au-delà des excès, un tel système valorise la prise de risques qui permet, à son tour, de mettre à profit ses propres erreurs au service de nouvelles idées. Winston Churchill a dit « le secret de la réussite, c’est aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ». Voilà une vérité qui sied bien à la mentalité américaine. Echouer dans ce que une entreprise n’est pas honteux aux Etats-Unis. La société a même tendance à saluer celui qui a essayé et à l'encourager à prendre un nouveau départ.
Alors qu’en Suisse, la recette « essayer et échouer », doublé d’un sentiment de culpabilité paralysant toute nouvelle prise de risques, est perçue comme la pire des choses, c’est une perception de la notion d’échec totalement différente qui prévaut aux Etats-Unis. Le système scolaire et éducatif fait l’apologie de l’encouragement et de l’acceptation des erreurs. Chaque échec est perçu comme une belle occasion d’apprendre et il n’est jamais stigmatisé. Dans un tel monde dénué de jugement de l’autre, il est très facile de rebondir et de se lancer de nouveaux défis. Un sentiment qui perdure au fil du temps autant dans sa vie privée que professionnelle.
La perception européenne de ce système est trompeuse, car nous avons l’impression que tout est possible en matière d’études et de réussite professionnelle au pays du soda et du burger. Il s'agit du rêve américain en quelque sorte, qui prévaut depuis plus d’un siècle. Cette vision est tronquée, car force est de constater que le modèle américain a aussi ses défauts. En effet, des contraintes structurelles et étatiques viennent parfois parasiter son développement économique, les protections sociales sont quasi inexistantes et les problèmes récents liés à la fiscalité des entreprises et des personnes écornent quelque peu cette image idyllique.
L’acceptation
Au final, qu’importe d’être citoyen suisse, japonais, américain ou d’ailleurs, chaque personne possède les ressources nécessaires pour tirer les enseignements de ses échecs, ce qui l’aidera à se construire pour trouver les chemins de la réussite.
Seulement, la solution vient de notre capacité personnelle à percevoir l’échec, en luttant contre les dogmes de notre éducation et en gommant ce sentiment de culpabilité qui nous hantent depuis notre enfance. Les difficultés auxquelles la vie nous confronte présentent l’intérêt de nous inciter à vouloir changer, évoluer et à renoncer à notre étroitesse d’esprit.
Il n’existe pas de système idéal et de solutions miracles pour être capable de rebondir. Chaque culture a ses principes, ses règles et ses croyances, qu’elle imagine être les meilleurs. L’essentiel est de puiser en nous-mêmes la force qui nous permettra de vaincre nos peurs ancestrales face à l’échec.
Dans un tel processus, la phase d’acceptation est primordiale, car sans elle, impossible de prendre un nouveau départ.
Ce que je veux savoir avant tout, ce n’est pas si vous avez échoué, mais si vous avez su accepter votre échec 3
Prochain sujet : le droit de faire faillite et comment s’en protéger
Sources :
Magazine Entreprise Romande – juillet 2013
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9silience_(psychologie)
1 Rebondir, une approche créative pour surmonter les obstacles – Dr Daniel Dufour – 2010, Les éditions de l’Homme.
2 Citation de Patrick Delarive, entrepreneur et fondateur de Delarive Groupe.
3 Citation de Abraham Lincoln.
Photo credit: Arya Ziai via photopin cc
Monsieur Thomazic est tellement dans le vrai avec son article. Chaque entreprise est une aventure unique avec des êtres humains uniques qui ont leurs diverses raisons uniques pour prendre telles ou telles décisions. De plus, il n’y a pas que les actions ou décisions internes d’une entreprise qui sont responsables d’une faillite ; il peut y avoir des erreurs humaines externes qui peuvent jouer un rôle prépondérant jusqu'à mener une entreprise tierce à la faillite, ce qui implique de moments très difficiles à surmonter pour les patrons et les employés de la société en perdition.
Un économiste peut à la limite bien interpréter le passé, mais en ce qui concerne l'avenir, ça se saurait!!! Car le monde alors irait tellement mieux avec des prévisions certaines. Mais pourrions nous alors parler de prévisions???
Heureusement qu'il y a des succès, mais on ne peut pas tous être au bon moment au bon endroit et bien entourés. C'est seulement le futur qui déterminera si c'était le cas!!!
Je remercie Rémy Thomazic pour son article plus que constructif qui j'espère sera lu et compris par beaucoup de décideurs de l’Arc Lémanique...