Selon Richard Cussac, fondateur de Jurisconsult, les assureurs-maladie dénonceraient plus de 400'000 assurés par année aux Offices des poursuites en Suisse. L’Office fédéral de la statistique, dans un rapport d’analyse de juin 2013, révèle que 300'000 personnes vivent dans un ménage avec des arriérés d’assurance-maladie.
Le changement de caisse
En Suisse, les assurés ont la possibilité de changer de caisse maladie en cours d'année (30 juin) si l'assurance-maladie de base est assortie de la franchise ordinaire (300 francs) tout en respectant un préavis de 3 mois. En revanche, un changement en milieu d'année n'est pas possible si la franchise de l'assurance-maladie de base est plus élevée. Dans ce cas, la résiliation doit se faire pour la fin du mois précédent l'entrée en vigueur de la nouvelle prime, soit au plus tard le 30 novembre. C'est pour cela que de nombreux Suisses comparent les montants chaque fin d'année et que certains décident de changer d'assureur à cette occasion. Mais attention de veiller à de n’avoir plus aucun arriéré de paiement auprès de votre ancienne caisse avant de signer un nouveau contrat avec votre nouvelle assurance, sous réserve d’être doublement assuré pour de nombreux mois.
« Le scénario classique est celui de l’assuré qui passe dans une nouvelle caisse alors que l’ancienne ne lui a pas délivré une attestation de sortie » déclare le président de l’association suisse des assurés, Mauro Poggia, nouvellement élu au Conseil d’Etat genevois.
Le problème est simple, aussi longtemps que l’assuré n’a pas obtenu son attestation de sortie, il ne devrait pas pouvoir changer de caisse. En cas d’arriéré de paiement, l’ancienne caisse ne délivre pas cette attestation, mais dans la pratique, la nouvelle affiliation se fait sans trop de problème même si l’assuré ne dispose pas de celle-ci. Conséquence directe : il se retrouve devoir payer des primes à deux assureurs.
Certains osent parler d’un « affreux cheni», puisqu’il faut souvent de nombreux mois pour clarifier la situation de l’intéressé qui doit entre-temps payer ces primes à double s’il veut éviter une procédure de poursuite. D'autres personnes , comme Elvia Camber, présidente de l’association Alternatives Dettes, affirme que « le problème est lié à plusieurs facteurs ». D’une part, les assurés qui connaissent des problèmes à payer leurs primes ont tendance à vouloir changer de caisse pour payer moins cher, tout en ignorant la clause qui les oblige à obtenir une attestation de sortie. D’autre part, les assureurs sont submergés par les lettres de résiliation et font preuve d’un légèreté coupable dans le traitement de celles-ci, en acceptant tout nouvel assuré sans trop regarder son passé de mauvais payeur.
Que faire en cas de double affiliation
La problématique est que chacune des assurances va prétendre être dans son bon droit et que c’est son contrat qui est valable. Souvent, entre l’assuré et l’assureur, il y a des courtiers d’assurance pas très regardants, qui pourchassent les clients en leur faisant miroiter un prix avantageux, sans se préoccuper si leurs nouveaux clients sont en contentieux avec leur caisse maladie.
L’assuré se retrouve alors démuni face à ces méandres administratifs, auxquels il ne comprend rien. Mais attention, c’est à lui d’annuler dans les plus brefs délais le nouveau contrat, de réclamer le remboursement des primes trop perçues à son nouvel assureur et de se mettre à jour avec les primes de son ancienne caisse maladie. Car souvent, l’assuré a choisi de payer ses nouvelles primes moins chères et cesser de payer les anciennes primes, croyant l’ancien contrat caduque.
Des conséquences fâcheuses
En cas de retard de paiement, les procédures de poursuite sont très rapidement lancées par les assureurs, avec les conséquences que l’on peut imaginer en cas de saisie sur les revenus.
Et inutile de faire opposition aux commandements de payer des assureurs-maladie. En Suisse, la loi sur les poursuites précise que tout débiteur poursuivi par un créancier est en droit de former une opposition à un commandement de payer, l’opposition obligeant ainsi le créancier à emprunter la voie judiciaire pour lever celle-ci. Une position, qui a été réaffirmée par le Conseil fédéral lui-même lors d'une session en 1991, « excepté les autorités fédérales ou cantonales qui possèdent le droit à la mainlevée (par exemple : poursuites judiciaires, taxe militaire, impôts etc...) tous les autres créanciers doivent suivre la procédure normale ».
Néanmoins, alors que les caisses-maladie ne revêtent aucunement la qualité d'autorité, les assureurs s'octroient parfois la mainlevée afin de lever des oppositions venant d'un assuré –un passe-droit qui viole de manière flagrante l'art. 9 de la Constitution fédérale, qui traite de l'arbitraire.
Si l’assuré ne dispose pas de moyens financiers suffisants lui permettant de payer ses primes à double pour enrayer la procédure, les conséquences des poursuites peuvent être fâcheuses. En effet, l’inscription de celles-ci au registre des Offices des poursuites empêchent l’assuré d’obtenir une attestation de non-poursuite, nécessaire pour obtenir un logement. « Ajoutons qu’un nombre croissant d’employeurs demandent un extrait de l’Office des poursuites à l’embauche » observe Sébastien Meier, juriste chez Caritas. De plus, la législation fédérale en matière des multiples affiliations est une faillite totale.
Sans compter qu’il est relativement fréquent de voir des gens poursuivis par une ou plusieurs caisses en même temps.
« Ces doubles affiliations amènent un autre problème. Celui du remboursement de frais de soins éventuels durant la période de double affiliation » précise Elvia Camber de Alternatives Dettes. En effet, les assurés qui ont envoyé des factures à leur nouvelle caisse doivent rembourser l’argent perçu et renvoyer ces factures à l’ancienne. Sans parler de la problématique du risque de suspension de la couverture de soins, tant que la situation n’est pas clarifiée (primes dues acquittées) en application des conventions établies entre les caisses et les cantons.
En Suisse, en application de la loi fédérale, la couverture de l’assurance de base est la même, quelque soit le canton, et seul le montant des primes varie en fonction de l’assureur. C’est ce qui rend le système attrayant. Effet pernicieux, les courtiers en assurance veulent vendre des contrats d’assurances complémentaires en sus des contrats de base. Alternatives Dettes dénonce « c’est plus difficile de s’en sortir en cas d’affiliations multiples, car l’échéance des contrats pour ces complémentaires peut aller jusqu’à cinq ans ».
Conclusion
Changer de caisse-maladie pour choisir la moins chère n’est peut-être pas un bon calcul financier, surtout si on a du retard dans le paiement de ces primes. Ne pas céder aux propositions des courtiers d’assurance sans réfléchir et s’assurer que vous pourrez obtenir votre attestation de sortie à fournir à votre nouvelle affiliation.
Vous vous éviterez ainsi des désagréments et de très mauvaises surprises.
Enquête: Francesca Sacco, Journaliste, extraits de GHI et l'Echo Magazine.
Cet article est le premier d'une série de six volets sur « L'endettement », pour mieux comprendre cette problématique à laquelle chacun peut être confrontée. Les quatre premiers seront consacrés à des sujets touchant les particuliers, les deux derniers viseront les entreprises.
Prochain sujet: Les Suisses de plus en plus endettés
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