Pourquoi nous endettons-nous ? Selon Ernst Fehr, qui dirige l’UBS International Center of Economics in Society à l’Université de Zürich, c’est « le besoin d’immédiateté qui est en cause. Nous voulons tout et tout de suite, quitte à ce que cela nous coûte plus cher au final ».
Quelques chiffres
- 18,2 % des Suisses ont contracté au moins un crédit (hors hypothèque)
- 14,1 % ont contracté au moins un crédit à la consommation
- 7,7 % ont des découverts bancaires ou des arriérés de paiement
- 3,3 % sont soumis à un risque d’endettement sévère
(source : Office fédéral de la statistique 2011 sur la base des chiffres de 2008 - OFS)
Des données chiffrées qu’il faut relativiser en comparaison à la plupart des pays à travers le monde, puisqu’ils possèdent des taux d’endettement nettement plus élevés. A titre de comparaison, le taux de la population qui vit dans un ménage avec d’importants découverts ou arriérés de paiement sur le plan européen est de 9,3%. Ainsi, selon l’Office fédéral de la Statistique, la Suisse se situe donc en dessous de la moyenne européenne avec 7,7%.
Selon une déclaration de Jürg Zulliger sur le site homegate.ch « en matière d’endettement hypothécaire par tête d’habitant, nous sommes, en Suisse, les champions du monde : on estime à 80'000 francs le montant de la dette qui pèse en moyenne sur chaque personne résidant en Suisse ».
La dette moyenne des ménages suisses a augmenté considérablement ces dernières années. En Suisse, le leasing automobile est le financement externe le plus répandu. Mais les taux de leasing pratiqués par les sociétés de crédit sont si élevés, que le remboursement d’un tel crédit peut rapidement se transformer en une vraie galère financière.
Evolution des valeurs
La population suisse a, de manière générale, une opinion négative sur la notion de « crédit ». Pour preuve, sans prendre en compte les hypothèques sur le logement principal, près de 3/4 de la population n’a pas de crédit, car elle n’a pas besoin d’emprunter.
En effet, selon un rapport établi par l’Office fédéral de la statistique, parmi ceux qui n’ont pas besoin d’emprunter, la moitié de ces personnes aurait la possibilité de le faire auprès de la famille ou des amis en cas de besoin. De plus, parmi les personnes qui n’ont pas d’emprunt auprès d’une institution de crédit, mais qui déclarent avoir besoin d’emprunter, les 2/3 indiquent pouvoir emprunter à la famille ou à des amis.
D’après Ernst Fehr « nombre de gens ont une aversion pour les dettes, mais cela peut aussi conduire à des comportements irrationnels ». En effet, selon la législation fiscale en vigueur, une personne n’a aucun avantage à rembourser sa dette hypothécaire, vu que les intérêts de celle-ci sont déductibles des impôts. En résumé pour payer moins d’impôt mieux vaut vivre endetté et conserver sa dette.
La tranche de la population la plus fragile et la plus touchée par cet endettement chronique est celle des 18-25 ans, parce qu’elle réagit dans l’immédiateté. Posséder un bien ou un objet sans attendre d’avoir l’argent pour le payer est facile, puisqu’il suffit de contracter un crédit à la consommation –comme en atteste les multiples campagnes d’affichages publicitaires en Suisse. C’est donner une fausse image de la réalité à des jeunes adultes qui ne possèdent souvent pas le recul nécessaire pour mesurer les conséquences de leurs actes.
Mais les choses risquent de changer en Suisse, car des consultations se déroulent actuellement au parlement à Berne, dont l’une vise notamment à interdire la publicité en faveur des petits crédits. L’angle d’attaque devrait toutefois rester la prévention, car dès que l’on met le pied dans l’engrenage de l’endettement, il est quasi impossible de s’en sortir en tout cas sur le court terme.
Les demandes de crédits
Un seul chiffre : 1'340'000 personnes (soit 18,2% de la population en Suisse) vivent dans un ménage avec au moins un crédit ou un emprunt dans un établissement bancaire ou de crédit, sans prise en compte des hypothèques sur le logement principal.
En marge des débats sur les futures initiatives parlementaires sur le sujet, certains spécialistes déplorent le peu de sérieux des organismes qui traitent des demandes de crédits. De manière générale, le traitement du dossier du demandeur devrait faire l’objet d’une analyse financière très pointue. Mais dans la réalité, lors de l’examen du budget suite à une demande de prêt pour déterminer la capacité du demandeur à contracter un crédit, les organismes de crédit ne font qu’appliquer la loi (art. 28, al. 2 et 3 LCC) en ne retenant que le loyer effectivement dû et le montant de l’impôt dû pour leur calcul, et en excluant les primes d’assurance maladie et tous les autres frais du ménage. Il en résulte donc un mécanisme de spirale à l’endettement, voire de surendettement. Surtout, ceci engendre une entame du minimum vital de l’emprunteur, puisque les mensualités de remboursement sont telles que celui-ci sera dans l’incapacité de pouvoir payer toutes ses factures en fin de mois. Et si l'emprunteur entend respecter les mensualités de crédit, elle créera, par conséquent, de nouvelles dettes.
L’accent devrait donc être mis sur le contrôle de la solvabilité des emprunteurs. Pour cela, les organismes de crédit devraient durcir leurs critères pour l’octroi d’un crédit. Toutefois, leurs discours semblent bien différents. En réponse à l’initiative Hiltpolt, Bernhard Schmid, porte-parole de Bank Now, filiale du Crédit Suisse, déclarait en octobre 2011 dans le journal le Temps « L’initiative Hiltpold fait référence à l’endettement des jeunes adultes entre 18 et 25 ans. Et nous employons justement des critères de solvabilité plus stricts pour ce type de profil». En réalité, ces mêmes sociétés de crédit devraient peut-être davantage axer leurs communications sur les risques liés à l’endettement. Comme Bernhard Schmid le souligne, « la loi dit déjà que chaque affiche doit indiquer que l’octroi d’un crédit est interdit s’il mène à un surendettement ». Mais est-ce suffisant ?
Conclusion
Malgré une volonté politique pour un durcissement de la loi, la tentation du petit crédit est aussi grande que sa publicité omniprésente dans la société suisse. Chaque jour, encore trop de personnes tombent dans la spirale du crédit, car les messages de prévention sont insuffisants. Des projets voient progressivement le jour dans certains cantons suisses, notamment à Genève, avec la mise en place d’une politique cantonale de lutte contre le surendettement et le lancement d’une campagne de prévention chez les jeunes.
La loi fédérale sur le crédit à la consommation du 23 mars 2011 est l’une des plus complète et restrictive au monde. Elle prévoit, dans les articles 28 et suivants, un examen de la capacité à contracter un crédit et de la situation financière du preneur de leasing, ainsi que des sanctions encourues. Toutefois, son application stricte ne suffit plus à endiguer la spirale chronique de l’endettement dans laquelle les Suisses semblent s’être engouffrés.
Selon l’Office fédéral de la statistique, près d’un quart des enfants âgés de 0 à 17 ans, 23% des personnes âgées de 18 à 24 ans et 24% des 25-49 ans vivent dans un ménage avec un crédit ou un emprunt. En terme absolu, cela représente 345'000 enfants, 141'000 personnes âgées de 18 à 24 ans et 653'000 de 25 à 49 ans. A l’inverse, les personnes de plus de 65 ans ne sont que 1,8% à vivre dans cette situation.
Un conseil : soyez vigilants, mais surtout réfléchissez bien à l’utilité d’un crédit avant d’en faire la demande. Comme le disait Philippe Bouvard, « lorsqu’on vit trop à crédit, les ardoises deviennent des tuiles ».
Prochain sujet : Difficile de se désendetter quand on a moins de 25 ans
Sources :
Magazine UBS – Automne 2013
Homegate.ch, "Vérifier le montant de la dette"
Le Temps, "Semaine décisive à venir pour le petit crédit", 29 octobre 2011.
Office fédéral de la statistique, Confédération Suisse, Rapport sur l'endettement
Association Suisse des Banques de Crédit et Etablissements de Financement (ASBCEF), Rapport annuel 2012
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