« En Suisse, plus de 10% des ménages sont surendettés, ce pourcentage passe à 25% chez les jeunes adultes. 80% des personnes surendettées ont contracté leur première dette avant 25 ans et 17% des jeunes avouent mal contrôler leurs pulsions d’achat » a rappelé Madame Rochat, lorsqu’elle était conseillère d’Etat chargée du département de la solidarité et de l’emploi dans un communiqué de presse en octobre 2013.
Des différences importantes
Une étude menée par Intrum Justitia AG en 2011 montre que « les jeunes hommes s’endettent le plus dans le secteur de l’e-commerce, alors que les jeunes femmes ont le plus d’impayés chez les médecins et les laboratoires. Il ressort par ailleurs que les jeunes qui vivent en ville sont bien plus souvent endettés que ceux qui habitent à la campagne. La langue maternelle est également une variable qui intervient : les 18-25 ans germanophones (44%) sont nettement moins endettés que les francophones (54 %) et les italophones (49 %) ».
Au palmarès des secteurs privilégiés par les jeunes en matière d’endettement, la première place est occupée par l’e-commerce, alors que le domaine de la communication et de la santé complètent le podium.
En Suisse, nous l'avons vu dans un précédent article, la tranche de la population la plus touchée en matière d’endettement est celle des jeunes adultes, qui souhaitent avoir le dernier modèle de téléphone portable, le dernier écran plat, le nouvel ordinateur ou les nouvelles marques en matière d’habillement ou d’accessoires. Cette immédiateté a son revers de la médaille. Les jeunes s’endettent plus que de raison. Une attitude qui leur permet d’être « tendance » envers leurs semblables et d’appartenir au groupe, mais qui a des conséquences dramatiques sur leur situation financière.
Endetté à vie ?
La société Intrum Justitia AG a mené une étude qui a porté sur plusieurs années auprès de jeunes Suisses. Cette dernière a cherché à savoir si ceux qui ont commencé à s’endetter entre 18 et 25 ans ont tiré les leçons de l’expérience et paient maintenant leurs factures en temps voulu. Voici le constat qui a été établi en septembre 2011, suite à l’analyse des premières données : « la réalité indique que tel n’est pas le cas et révèle un tableau plus sombre : 47 % des jeunes qui se sont endettés il y a cinq ans (2006) pour la première fois ont également au moins une dette en 2011. Ce chiffre est surprenant, mais les jeunes bénéficient en général de l’aide de leurs parents et n’ont pas encore d’obligations durables comme un loyer, des hypothèques ou une pension alimentaire ».
Il y a fort à parier que le même constat alarmant pourrait être fait en 2014. A l’instar d’autres cantons en Suisse, le canton de Genève en a pris conscience, puisqu’en juin 2011 déjà, une proposition de motion pour le mise en place d’une politique cantonale de lutte contre le surendettement avait été déposée au Grand Conseil par des députés.
Le taux d’endettement de la population résidant en Suisse vivant dans des ménages avec un crédit (hors hypothèque) était en 2008 de 18,2%. En comparaison, la moyenne européenne était de 28,2%. Il en résulte un nombre important de familles en situation d’endettement, voire de surendettement.
De nombreux jeunes vivent encore chez leurs parents dans nos sociétés modernes, notamment parce que la durée des études se prolongent ou parce que l’accès au marché de l’emploi pour ces jeunes entre 18 et 25 ans est limité. Corollaire, ils apprennent à établir un budget de plus en plus tard et sont confrontés à la problématique des poursuites de leurs parents dès leur plus jeune âge pour certains d’entre eux. Pire, certains s’interrogent : « pourquoi je paierais des factures, alors que je n’ai jamais vu mes parents le faire ».
Les procédures d’exécution forcée sont très contraignantes et ne laissent que très peu de répit à ceux qui y sont confrontés. Imaginez un jeune adulte qui débute dans la vie active avec des milliers de francs de dettes. Impossible pour lui d’obtenir une attestation de non poursuite, indispensable pour obtenir un logement ou pour décrocher un emploi, puisque la tendance des entreprises est actuellement de demander à leur futur employé de leur fournir une telle attestation.
Endetté un jour, endetté toujours ? A de rares exceptions, la réponse à cette question est malheureusement positive. Il est quasi impossible de s’en sortir. Certains y arrivent, mais au prix d’efforts financiers importants, de rachats de dettes ou de négociations contraignantes avec les créanciers. Mais la plupart continuent à faire des dettes et apprennent à vivre avec durant toute leur vie.
La faillite du système
Nous l'avons vu, de nombreux jeunes adultes peinent à trouver un emploi de longue durée et enchaînent les petits boulots temporaires ou les contrats de travail à durée déterminée. Par souci d’économie ou par manque de moyens, ils diffèrent le moment où ils devront se prendre en charge. Autre cas de figure, ils prennent leur envol juste après avoir obtenu leur majorité civile sans grande connaissance et expérience des réalités de la vie quotidienne et sans aucun repère. Dans tous les cas, il en résulte une précarité financière qui s’installe insidieusement, car ces jeunes ignorent trop souvent comment gérer les factures du quotidien.
Face à la démission trop rapide des parents ou l’incompréhension des plus âgés, les sociétés civiles modernes n’ont pas encore mis en place d'écoles de vie ou des parades pour protéger ces jeunes adultes face à la toute puissance de l’argent dans un monde essentiellement basé sur l’économie de marché ou la rentabilité. Il faut se montrer performant pour faire partie de l’ensemble, sous peine d’en être exclu. Cette faillite du système laisse des jeunes démunis face à la dûreté économique de notre pays, jeunes qui ont le sentiment d’une incompréhension totale du monde dans lequel ils vivent.
Un seul chiffre pour illustrer ceci : en Suisse, la moitié des bénéficiaires de l’aide sociale ont entre 18 et 25 ans.
Comment un pays comme le nôtre peut-il accepter ceci et ne pas agir ? Certes, nous l’avons vu des programmes de sensibilisation sont mis en place dans nos cantons et notamment à Genève, canton où le taux de chômage est le plus élevé de Suisse. Il faut saluer ces efforts et applaudir lorsque des initiatives comme le « Festi’dettes », festival pour sensibiliser à l’endettement sont mises en place.
De plus, il faut briser le tabou de l’argent, expliquer et former encore, offrir du travail aux jeunes en leur faisant confiance et changer le système dans lequel on vit, parce que l’économie de marché et le capitalisme ont atteint leurs limites et qu'il faut revenir à des valeurs plus nobles.
Dans ce cas, comment comprendre qu’en novembre 2012, une majorité de la Commission des affaires juridiques du Conseil national a proposé de ne pas donner suite à l’initiative parlementaire du député Mauro Poggia intitulée « Poursuite pour dettes. Permettre aux débiteurs saisis de quitter une spirale sans fin », afin de laisser les cantons libres de tenir compte ou non de la charge fiscale dans le calcul du minimum vital.
Pour toute personne en Suisse, y compris les jeunes adultes, qui a des dettes et qui se retrouvent confrontés aux poursuites, recevoir l’aide sociale signifie insaisissabilité de celle-ci en application de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, donc l’établissement d’actes de défaut de bien par les Offices des poursuites, avec les conséquences énoncées auparavant.
Les jeunes entre 18 et 25 ans sont de plus en plus nombreux à se retrouver confrontés à l’exécution forcée et malheureusement, le domaine de la poursuite n’a plus aucun secret pour eux. Alors être fiché dans les registres cantonaux des poursuites pour des milliers de francs d’actes de défaut de bien à 25 ans est devenu courant et pas si grave après tout, puisqu’aucune saisie sur leurs revenus n'est effectuée. Et c’est là le piège. Tout va très bien, jusqu’au jour où ce même jeune se décide à signer son premier bail à loyer, à demander son premier leasing ou à commencer son premier emploi. Il est alors rattrapé par le système et comprend trop tard qu’avec toutes ces dettes la plupart des portes lui sont fermées.
Conclusion
Oscar Wilde disait : « Le plus gros avantage de la richesse, c'est qu'elle permet de faire des dettes ». Cette citation va conclure cette troisième partie avec un peu d’humour, car le sujet traité tout au long de cet article n’est de loin pas très optimiste. Attention, il n’est pas question ici de faire l’apologie de l’endettement, mais plutôt de se dire que mieux vaut attendre d’être riche pour s’endetter.
Avoir entre 18 et 25 ans signifie se trouver confronté pour la première fois au monde des adultes pour la plupart d’entre nous. C’est une phase importante qui conditionne tout le reste de son existence. Il faut tout apprendre et assimiler les codes et obligations de la société. C’est aussi l’âge des rêves et des illusions. Commencer dans la vie active avec des dettes n’est pas tolérable et ne devrait pas être le quotidien des jeunes adultes.
Le jour où la société civile suisse dans son ensemble, et plus particulièrement le monde politique, aura intégré que l’endettement des jeunes n’est pas qu’un épiphénomène, mais que cette problématique pourrait menacer à terme l’économie du pays, elle aura fait un grand pas et il y aura peut-être quelques raisons d’espérer.
Prochain sujet : les pratiques des sociétés de recouvrement
Sources : www.ge.ch, www.intrum.com, www.bfs.admin.ch
photo credit: StockMonkeys.com via photopin cc
Je suis tout à fait d'accord avec toi. Bien évidemment, la société civile devrait faire quelque chose de concret pour ces jeunes qui s'engagent dans des tourbillons infinis. Merci beaucoup pour cet article et bonne continuation.