Nous avons vu dans la 4ème partie de cette série : Les sociétés de recouvrement, un piège ? qu’un retard de paiement peut sérieusement mettre en difficulté une entreprise. Dans l’absolu, elle pourrait être dans l’obligation de cesser ses activités par manque de liquidité ou de se déclarer en faillite, quand bien même son activité serait florissante. Par rapport au reste de la Suisse, les entreprises romandes semblent être de très mauvais élèves.
Agir en amont, une solution ?
Dans un monde économique idéal, où toutes les factures seraient payées dans les délais fixés, la majorité des entreprises parviendraient à équilibrer leurs budgets et disposeraient de « cash » (argent liquide) pour investir, recruter du personnel et développer leurs activités. Ne nous leurrons pas, nous ne vivons pas dans un monde parfait. Dans notre situation actuelle, la survie d’une entreprise dépendra essentiellement de sa capacité à évaluer le risque encouru en accordant le moins possible de délais de paiement à ses clients et à ses partenaires commerciaux.
Selon une étude sur le comportement de paiement en Suisse en 2011, Dun & Bradstreet (D&B) en tant que prestataire de service en matière de solvabilité a précisé que « le domaine spécifique du Credit Management est de s’occuper de l’élaboration de ces crédits Fournisseur…le Credit Management définit les processus et les normes pour prendre des risques calculés. Et les petites entreprises peuvent elles aussi faire beaucoup et à peu de frais pour que leurs factures soient payées entièrement et ponctuellement ».1
Le paiement à plusieurs mois se généralise en Suisse. Pour éviter d’arriver à des situations dramatiques et lourdes pour la gestion des entreprises, celles-ci doivent se prémunir contre les mauvais payeurs en agissant en amont.
Il existe en Suisse un grand nombre de sociétés de renseignement commercial, dont le but principal est de récolter des informations utiles sur la « qualité » des clients. En tant qu’entrepreneur, ce service peut être utile pour deux raisons principales : d’une part, pour se renseigner sur un client potentiel avant de faire affaire avec lui, et d’autre part, pour obtenir des données sur sa solvabilité. Certains sites en ligne délivrent justement des renseignements payants sur cette solvabilité et sur le degré d’endettement des personnes. Un conseil général et utile est de rester prudent et critique face aux informations obtenues. Dans la mesure du possible, il est préférable de se renseigner sur ses futurs clients auprès de certains confrères, qu’ils exercent ou non dans le même domaine d’activité.
Une précaution supplémentaire serait de demander le versement d’acomptes par le client ou le partenaire d’affaire avant de fournir les prestations. Cela pourrait s’avérer compliqué dans des domaines d’activité à forte concurrence, puisque le client risque d’aller voir ailleurs. Toutefois, un client qui refuse de s’acquitter d’acomptes est potentiellement un mauvais payeur. La crainte de voir son client partir à la concurrence pourrait être un frein à cette pratique qui consiste à demander systématiquement des acomptes avant le début d’une relation d’affaire. Il est à noter que certaines professions ne procèdent que par le versement d’arrhes, comme c'est le cas des avocats, des agences de voyage ou de l’hôtellerie.
Facturer dans les délais
Une fois la prestation effectuée, l’entreprise ne doit en aucun cas tarder à envoyer ses factures. Trop de fois, le service comptabilité d’une entreprise néglige cet aspect. Quel signal envoyez-vous à votre client, si vous tardez à facturer vos prestations ? Soit vous êtes négligents dans votre administration, soit vous n’avez pas un besoin urgent de son argent et vous travaillez « gratuitement ». Dans les deux cas, il y a fort à parier que votre client prendra son temps pour vous régler sa facture bien au-delà du délai légal de 30 jours, d’autant plus s’il s’est senti obligé de vous rappeler qu’il est dans l’attente de votre facture.
Afin d’éviter un retard dans les paiements, chaque entreprise devrait s’obliger à détailler ses prestations dans sa facturation et respecter les termes du devis. Le but est d’éviter les contestations du client qui paralysent le processus de règlement des factures et les éventuels tracas administratifs, véritables dévoreurs de temps et d’énergie.
Après cette phase de facturation, le point le plus important est le suivi et la vérification du règlement de ces factures. En tant qu’entrepreneur, il faut vérifier régulièrement ses comptes bancaires ou postaux. En cas de doute, il faut prendre contact avec le client pour dissiper tout malentendu. Il est très facile de se référer à un échéancier qui permettra d’avoir une simple et rapide vue d’ensemble de l’état de la facturation :
Privilégier les arrangements
La procédure de contentieux, qui pourrait s’avérer longue, fastidieuse et coûteuse, ne devrait être que l’ultime recours. Si le suivi de la facturation a été optimal, le recours aux procédures judiciaires ne concernera qu’une quantité infime de la clientèle.
C’est pour cette raison que chaque entreprise devrait privilégier le dialogue et les arrangements de paiement avec le client, tout en se montrant rigoureux et ferme dans le respect des termes de l’arrangement. Pour éviter de se mettre en danger financièrement, il vaut mieux accorder des arrangements uniquement si le risque pour l’entreprise est calculé et jugé supportable pour sa trésorerie.
Il peut arriver que certains clients de bonne foi doivent faire face à des difficultés passagères de liquidités. Dans ce cas, la confiance et le dialogue doivent être privilégiés en lieu et place des procédures légales de recouvrement. L’entreprise doit alors mettre en place une convention de remboursement avec le client, où figurera notamment un échéancier de paiement qui précisera les dates de paiements, les montants convenus, et si un intérêt sera perçu. Pour ce dernier point, l’article 104 du Code des Obligations précise que « le débiteur qui est en demeure pour le paiement d’une somme d’argent doit l’intérêt moratoire à 5 % l’an, même si un taux inférieur avait été fixé pour l’intérêt conventionnel ».
Le processus « gagnant-gagnant » devrait être l’unique solution envisagée par l’entreprise, car mieux vaut un bon arrangement qu’un dialogue rompu.
Le coût du contentieux
Toutefois, si la convention d’arrangement ou toute autre tentative échoue, l’entreprise n’aura pas d’autre choix que de recourir à des procédures judiciaires par la voie de la poursuite. Bien que longue, celle-ci n’est pas compliquée. Inutile donc de faire appel à une société de recouvrement dont les services ont un coût, et ce sans aucune garantie de résultat.
Chaque entreprise devrait être à même de faire toute cette procédure sans avoir recours à des tiers, après avoir réfléchi sur l’opportunité d’une mise en poursuite. La question du rapport « coût-bénéfice » de l’opération devrait être au centre du raisonnement, notamment si les frais de procédure se révèlent plus élevés que le montant de la créance. Dans ce cas, il vaut mieux renoncer au recouvrement, surtout si le client envisage de s’adresser à un conseil juridique ou de faire opposition au commandement de payer (qui lui sera adressé par l’Office des poursuites). Dans ce cas, il faudrait s’adresser à un Tribunal compétent pour pouvoir continuer dans la procédure.
En plus du coût financier, la gestion du contentieux engendre une perte de temps précieuse, alors qu’il existe des activités nettement plus rémunératrices au sein de votre entreprise.
Un dernier conseil
Les délais de paiements en Suisse ne cessent de s’allonger. Les entreprises suisses doivent donc trouver des parades pour gérer une telle situation. Si l’entreprise dispose de réserves financières et d’un fond de roulement suffisants, elle pourra alors absorber certains retards de paiement. Par contre, si elle manque cruellement de liquidités, elle n’aura aucune marge de manœuvre.
C’est pour cela que la gestion administrative et financière de l’entreprise ne devrait être aucunement négligée : les risques encourus sont trop importants. Face aux difficultés de trésorerie, les entreprises n’auront quasiment aucune chance d’échapper aux méandres du monde de la poursuite et de la saisie. C’est effectivement une négligence qui pourrait se révéler rédhibitoire !
Prochain sujet : le surendettement en entreprise - art. 725 CO
Sources : 1 Etude sur le comportement de paiement en Suisse, Dun & Bradstreet (D&B), 2011. , Graphique : Evoliz.com .
Photo credit: ott1mo via photopin cc
Ton article est d'une telle clarté que les entreprises ainsi que les potentiels mauvais payeurs devraient le lire. Il faut privilégier le dialogue avant d'entamer toute procédure qui pourrait être aussi coûteuse qu'improductive.