Tout de bon avant la bataille, nuit du 11 au 12 décembre 1602
Genève, deux heures du matin. Le premier croissant de lune vient de se cacher derrière les montagnes du Jura. La nuit est à présent froide et noire. Les quinze-mille âmes de la cité de Calvin, majoritairement femmes et enfants rêvent d’un beau lendemain.
Dans le logement de fonction de son mari Pierre Royaume, Catherine Cheynel laisse une grande marmite de soupe mijoter au-dessus des braises encore chaudes. Il est tard mais Catherine, surnommée affectueusement la Mère Royaume continue de préparer les meilleurs mets pour les siens qu’elle chérit.
Sa voisine, Jeanne Baud, dite Dame Piaget, compte les moutons et les étoiles qu’elle aperçoit par sa fenêtre du bâtiment de l’ancienne porte de la Monnaie.
Tout est calme, seuls quelques hommes égarés discutent dans les rues et, sur les remparts hauts de sept mètres, les gardes se laissent aller à une nuit apaisante à la recherche d’un peu de chaleur entre deux rondes.
A quelques kilomètres, à Saint-JulienenGenevois, le duc Charles-Emmanuel 1er de Savoie compte sur ses deux-mille hommes. Cachés, trois cents d’entre eux sont déjà aux portes de la cité indépendante. Charles-Emmanuel 1er veut s’emparer de la fière cité genevoise et de son accès au Rhône, fleuve indispensable à sa conquête du pouvoir préparée de longue date avec ses espions. Cette nuit du 11 décembre 1602, le duc et ses troupes vont envahir Genève.
Une clé, une corde, une marmite
Tous de noir vêtus, invisibles dans la nuit, les premiers envahisseurs posent des échelles en bois, souples et sophistiquées, sur les remparts de Genève, tandis que d’autres les escaladent à toute vitesse.
Déjà des dizaines et bientôt des centaines d’hommes ennemis se dirigent à l’intérieur de la cité vers la herse principale afin de permettre l’accès aux troupes en retrait. Tout va vite.
Soudain, l’un des combattants glisse en emportant avec lui des fragments de pierre dans sa chute. Le bruit alerte la garde des remparts qui surgit.
Les premiers coups de canon, les premiers échanges de coups de feu, les premiers morts, les premiers pleurs, les premiers cris au son soudain des cloches de la Cathédrale qui alertent les habitants. Genève est appelée à se défendre et à se battre. Les combattants de Saint-Julien-en-Genevois sont en route, le duc leur a intimé l'ordre, certain de sa victoire.
Dans un réflexe de survie, Jane Baud jette par sa fenêtre sa clé du passage fermé de sa demeure permettant aux combattants genevois d’intervenir au cœur de la bataille. L’un deux, Isaac Mercier, surgit au même moment au-dessus de la herse principale pour la faire tomber d’un coup de couteau et empêcher ainsi l’accès aux troupes du duc, tandis que des coups de canon pulvérisent les échelles des envahisseurs.
Les assaillants à l’intérieur de la cité sont piégés, mais nombreux encore, ils sont toujours dangereux.
En ce soir de 11 décembre 1602, les femmes sont au front aux côtés des hommes comme rarement dans les guerres. A sa fenêtre, la Mère Royaume veut aider à éradiquer le dernier groupe d’assaillants. Comme les autres genevoises, elle veut protéger sa famille. Elle n’a pas d’arme, juste une marmite de soupe brulante sur les braises.
C’est de sa fenêtre que la soupe va se répandre sur les envahisseurs qui n’avaient pas vu venir ce coup fumant… Qui pouvait croire qu’une Genevoise, héroïne parmi les Genevoises héroïnes, arrêterait le combat à coups de marmite comme d’autres ont aidé à jet de clé ou jets de pierres pour protéger leur avenir ?
L’avenir de Genève
Le 12 décembre 1602, bien des Genevoises ont contribué à la victoire face à un duc sans âme. Bien des années après la bataille de l’Escalade, un poète français, Louis Aragon, a écrit l’avenir qu’est la femme pour l’homme. Aujourd’hui, célébrons les héroïnes au présent… Jeanne, Catherine et les autres sont à nos côtés en ce jour de recueillement, avant d’être de victoire, car il y a eu des peines des deux côtés des remparts de Genève, des peines provoquées par un homme avide d’inutile puissance.
Chaque 12 décembre, au cœur d’une assemblée, la tradition demande au plus ancien qui espère encore et au plus empli d’espoir par sa jeunesse de briser ensemble une marmite en chocolat, pour célébrer la liberté de Genève, en scandant la phrase rituelle « Ainsi périssent les ennemis de la République ». C’est aussi le jour pour déguster une soupe de légumes, comme la Mère Royaume l’a préparée une nuit de 11 décembre en 1602.
Souvenons-nous avant tout que les guerres impliquent des morts dont il ne faut pas se réjouir et que nos héroïnes sont avant tout nos alliées, nos repères, nos naissances.
Il y a eu 18 morts genevois pour l’avenir de Genève, une pensée pour eux et les autres aussi.
« Ainsi vivent les amis de la République »
Que vive Genève… De Jeanne héroïne, la vraie clé de vie ? Post tenebras lux.
Crédit photo : jeanm.art