Nous voici arrivés à la fin de notre série d'articles sur les pièces emblématiques des musées genevois. Nous avons fait un tour non exhaustif de ces musées et des pièces qui les représentent. Cet article est consacré au dernier musée participant à ce projet culturel.
La Fondation Baur
Les collections de la Fondation Baur, seul musée suisse entièrement consacré aux arts d’Extrême-Orient, sont exposées dans un hôtel particulier datant de la fin du 19e siècle. Alfred Baur (1865-1951), né dans le canton de Zurich, fondera d’abord à Colombo (Ceylan), la compagnie A. Baur & Co. Ltd en 1897. Ce n’est qu’à son retour en Suisse, en 1906, qu’il commence à collectionner des objets d’arts japonais et chinois. Sa rencontre en 1924 avec le marchand d’art et expert japonais Tomita Kumasaku (1878-1953), avec qui il se liera d’amitié, le poussera, selon ses mots à « n’acquérir que des pièces parfaites qui ne laissent aucun regret par la suite ». Il s’intéressera à « la qualité et la valeur artistique » d’une œuvre. La collection qu’il a acquis est avec celle de Percival David (1892-1964) en Angleterre, l’un des plus importants ensembles de céramiques chinoises conservé en Europe.
La pièce sélectionnée
La pièce choisie par sa directrice, Laure Schwartz-Arenales, est un plat à couverte céladon parcouru de taches brunes de l’époque Yuan (1279-1368). Ce plat, acquis par Alfred Baur en 1929, sur les conseils de Tomita Kumasaku fait partie du lot de céramiques chinoises que celui-ci lui envoie du Japon.
La couverte céladon, parsemée de « paillettes » brunes peintes au pinceau, est produite durant la dynastie mongole des Yuan, période de grande maîtrise de la cuisson et de l’oxyde de fer. Ces couvertes apparues au 3e siècle dans les fours de Yue, se répandent dans la province du Zhejiang et prospèrent dans le cadre de la production des fours de Longquan.
Cet objet également convoité par Percival David, qui faisait aussi partie des clients de Tomita Kumasaku, témoigne de l’émulation entre les deux collectionneurs ainsi que de l’engouement pour l’art chinois à cette époque. Il est acquis par Alfred Baur, et présenté en 1935-1936 lors de l’exposition internationale d’art chinois de l’Académie royales de Londres.
Cette pièce, de fabrication chinoise, appartenant à la famille d’objets appelée « tobi-seiji » était très appréciée de la cour impériale chinoise. Cependant, elle était également admirée par les Japonais pour son esthétique. Le nom de « tobi-seiji » (céladon volant) a d’ailleurs été donné par un maître de thé japonais. Par exemple, une bouteille piriforme « Yuhuchun », autre pièce de ce même type exposée à la Fondation Baur, dont un autre exemplaire est conservé dans le musée des céramiques orientales à Osaka, est considérée comme un trésor national. « Le contraste entre l’extrême douceur, tactile, onctueux du vert de la couverte et les effets dynamiques et mouvants de ces taches ferrugineuses éparpillées sur la surface, ont particulièrement séduit les Japonais. »
Explication du choix
Ce plat monochrome raffiné était particulièrement apprécié d’Alfred Baur et s’inscrit de manière cohérente dans sa collection. Il a été acquis très tôt sur les conseils de Tomita Kumasaku et possède une renommée internationale. En effet, des objets du même type sont conservés dans la collection des empereurs Qing au Palace Museum de Beijing et au National Place Museum de Taipei. Dans cette fondation, dont les collections font partie de la culture chinoise et japonaise, cette pièce crée un lien en ces deux mondes et l’Europe. De plus, la mixité des éléments, entre culture mongole et céramique chinoise, sa qualité, son raffinement et sa créativité expliquent ce choix.
Difficulté du choix
Au vue de la qualité et la singularité des pièces qu’elle a acquises, la Fondation Baur ne manque pas de pièces d’exception. Il est facile de le remarquer en regardant les jades, les textiles ou la collection d’objets en laque venant du Japon.
Parmi ces pièces, un écritoire japonais en laque incrusté de nacre, spécialement commandé par Alfred Baur à l’artisan Uzawa Shōgetsu (1877 env-après 1937) par l’intermédiaire de Tomita Kumasaku, aurait aussi pu être choisi comme pièce emblématique. La recherche de perfection et l’exigence accordées à ce travail reflètent l’envie de présenter des objets provenant de la grande tradition artisanale.
La Fondation présentera d’ailleurs prochainement une exposition, « Eloge de la lumière », qui débutera en novembre avec des objets de sa collection, associés à quelques œuvres de Pierre Soulages et les créations en bambou de Tanabe Chikuunsai IV, quatrième représentant d’une éminente ligne de maîtres vanniers.
Dans la même série sur les pièces emblématiques par Tamara Zanetti :
Le Papyrus Bodmer II de la Fondation Martin Bodmer
Le relief Magnin de la Maison Tavel
La Pêche miraculeuse du Musée d’art et d’histoire de Genève
La pendule de cheminée du Musée Ariana
L’affiche du Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
Les ghostnets du MEG
Le masque kwélé du musée Barbier-Mueller
Les pièces emblématiques des musées genevois
Source:
Crick, M., Loveday, H., Niklès van Osselt, E., Alfred Baur, Pionnier et collectionneur, Genève et Milan, 2015.
Crédits photo :
Le plat à couverte céladon et l'écritoire japonais en laque ©Fondation Baur. Photo: Marian Gérard
Merci pour la qualité de vos articles