A l’heure actuelle, le mot « dématérialisation » semble prédominant lorsqu’on aborde le sujet de biens culturels. L’industrie de la musique en a déjà beaucoup souffert, et ce malgré les nombreuses tentatives de la part des éditeurs de conserver la tête hors de l’eau. Probablement en seconde position, le cinéma ne fait pas exception et le livre suit de très près, sur cette pente savonneuse. Qu’en est-il du marché physique ? Est-il vraiment voué à disparaître dans les prochaines années ?
Les consommateurs changent leurs habitudes, leurs modes de consommation alors que l’industrie semble avoir un train de retard.
Retour en arrière, un constat sur l’évolution du marché de la vidéo
ll y a environ 15 ans, nous avons constaté une réelle effervescence. Le DVD s’était amplement démocratisé et chaque foyer remplaçait son vieux magnétoscope par un « lecteur de galettes ». Il est vrai que ce support a eu un effet radical lorsqu’il a pénétré le marché. Les avantages étaient nombreux : pas d’usure (pour autant qu’on en prenne soin), format d’image adaptable, multiples pistes audio, sous-titres, interactivité ainsi qu’une qualité d’image/son nettement supérieure. Face à tous ces arguments, la VHS a rapidement endossé le rôle d’outsider.
En moins de deux ans, la bande magnétique, désormais obsolète, cède la place à son digne successeur. Les vidéo-clubs poussent comme des champignons à tous les coins de rue, proposant un très vaste choix de films, dont beaucoup en « zone 1 », zone destinée au marché américain et canadien. Cette segmentation a été mise en place par l’ensemble des éditeurs dans le but de limiter un maximum l’import de ces œuvres dans d’autres pays. Cependant, une simple manipulation suffit pour débrider son lecteur afin de pouvoir lire des disques destinés à d’autres marchés. Cela permettait de visionner un film chez soi, alors que son exploitation dans les salles suisses venait de démarrer, une mine d’or pour les commerçants.
La loi s’est quelque peu durcie depuis, interdisant la commercialisation (location ou vente) pendant la période d’exploitation en salles.
Voici quelques chiffres tirés de l'Association suisse du vidéogramme, afin d’avoir une vision globale sur l’évolution du marché physique en Suisse:
Malheureusement, les chiffres antérieurs à 2006 s’avèrent peu pertinents, dans la mesure où il s’agit de données transmises par les distributeurs et non les sorties caisses. Ils ne reflètent donc pas la réalité du nombre de pièces réellement vendues dans les surfaces.
Un autre aperçu au niveau européen, tiré du site www.zdnet.fr :
La guerre des supports
La première a eu lieu à la fin des années 70, lors de l’alliance entre Toshiba et Sony qui a donné naissance à la « Betamax », amenant un combat contre JVC et sa fameuse « VHS » qui s’est finalement imposée.
Pas loin de 35 ans plus tard, les deux ex-partenaires sont devenus rivaux. Toshiba propose la technologie « HDDVD », alors que Sony, lui, est bien déterminé à prendre le dessus avec son « Blu-Ray ». Cette guerre durera presque 2 ans, les lecteurs n’étant pas compatibles avec les supports adverses, le consommateur se devait de faire un choix ou plutôt un pari sur le succès des deux technologies.
Pendant cette période, les mètres linéaires des surfaces de ventes se sont adaptés en fonction de cette rivalité : Red versus Blue, une impression de déjà vu. Certains éditeurs finissent même par soutenir les deux camps en proposant leurs films sur les deux formats, rendant la situation extrêmement floue et engendrant beaucoup de méfiance chez le client. En février 2008, Toshiba annonce l’abandon du HDDVD et laisse libre cours à Sony. En conclusion, l’arrivée de la haute définition a certainement contenté une partie exigeante de la clientèle cinéphile, mais par la même occasion, elle a fragilisé le marché.
Les éditeurs n’ont cependant pas encore abattu toutes leurs cartes et s’engouffrent un peu malgré eux dans la brèche du digital.
La vidéo à la demande progresse à grand pas, mais encore faut-il pouvoir répondre à cette demande
Les moyens de consommation évoluent, les TV peuvent à présent être connectées à internet et permettent donc un accès, via un fournisseur, à divers catalogues de films, séries TV, documentaires et autres médias. Seulement le territoire suisse s’avère très particulier en raison de ses frontières linguistiques.
Un contenu des catalogues digitaux moins large que dans d’autres pays, pourquoi ?
Selon Arnaud A., directeur commercial de Swiss TV, les droits d’un même film peuvent être détenus par différents studios ou distributeurs en fonction de la langue. Stéphane Koch, vice-président de la société High-Tech Bridge précise que les trois régions linguistiques ainsi que la faible clientèle potentielle par rapport aux investissements nécessaires dissuadent les groupes internationaux de lancer une offre spécifiquement helvétique.
Un autre problème s’ajoute à cela : les périodes appelées « moratoires » durant lesquelles certains éditeurs préfèrent supprimer momentanément un titre pour diverses raisons. Cela dure environ quelques mois en règle générale. Le marché physique y était déjà régulièrement confronté. Par exemple, un nouveau métrage de James Bond fait son entrée dans les salles obscures et l’éditeur rend indisponibles les précédents épisodes de la saga dans le commerce, le temps que le dernier soit commercialisé. Une technique comme une autre pour générer une demande. On peut constater une situation comparable avec la politique de Disney, qui réédite leurs classiques chaque 7 ans.
De premier abord, cette technologie est supposée faciliter l’accès aux œuvres, mais elle est grandement encombrée par des problèmes de droits qui donnent lieu à des négociations parfois interminables. Encore une fois, c’est le client qui en pâtit ! Celui qui a acheté Indiana Jones à l’époque en VHS, puis en DVD et récemment en Blu-Ray est encore le même qui a payé une redevance en achetant son disque dur pour y stocker une copie du même film. Cela commence à faire beaucoup.
Le téléchargement en Suisse, légal… ou non ?
Difficile d’aborder un tel sujet, sans évoquer ce qui a été vulgairement baptisé « téléchargement illégal ».
Il existe deux « écoles », l’une appelée « DDL » pour « direct download » : les fichiers sont stockés sur des serveurs se trouvant très souvent dans des pays où la gestion des droits d’auteurs reste très vague.
L’autre école est appelée « P2P » pour « peer to peer » qui consiste en une plateforme d’échange. Aucun fichier n’est stocké sur celles-ci. Elles permettent cependant aux utilisateurs de partager des fichiers stockés sur leurs disques durs.
Le téléchargement est illégal dans certains pays, toutefois, en Suisse, seule la deuxième méthode va à l’encontre de la loi.
En 2007, lors de la révision de la LDA, le Parlement avait jugé que la copie d’une œuvre (sous la forme d’un fichier informatique) par une personne physique pour son usage personnel peut se faire depuis une source illégale. Si la mise à disposition de l’œuvre constitue une violation du droit d’auteur (dans le cas où l’auteur n’a pas consenti à cette mise à disposition), le téléchargement de cette œuvre n’en reste pas moins légal.
L’industrie, le commerce qui en découle. Quel impact à moyen terme ?
Certains commerces s’adaptent ou trouvent des solutions en diversifiant leur offre, explorant de nouveaux secteurs à exploiter. D’autres laissent les rayons se vider, très souvent au profit du hardware. Le secteur de l’emploi subit une véritable hécatombe, que ce soit au niveau du commerce de détail ou au niveau administratif.
Warner Home Video, Universal Pictures, Disques-Office... pour ne nommer qu’eux sont concernés par cette crise. Bon nombre de distributeurs et centrales d’achats basées en Suisse ont vu leurs effectifs réduits de plus de la moitié, tout cela en l’espace de deux ou trois ans. Mais, si le produit physique et les emplois qui y sont liés s’effacent peu à peu au profit de nouvelles technologies innovantes, ne devrions-nous pas voir émerger d’autres structures, d’autres emplois?
Le futur du « home entertainment » est très opaque et plus qu’incertain, mais la plus grande inquiétude réside dans l’accès aux œuvres et donc à la culture. L’arrivée du digital bien qu’en croissance constante est loin de combler le manque progressif des supports physiques.
Difficile d’évoquer les raisons exactes liées à ces changements qui affectent d’une part, les emplois dans le secteur et les chiffres depuis 2008 et d'autre part, la disponibilité de certaines œuvres.
On peut se demander si la machine hollywoodienne manque cruellement de créativité ces dernières années. Il faut admettre que nous n’avons rien de bien innovant à nous mettre sous la dent hormis des « remake », des suites ou encore des « reboot de licences ». Le reboot de licence consiste à remettre les compteurs à zéro en quelque sorte. Lorsqu'une saga a déjà fait l'objet d'une adaptation cinématographique et que les éditeurs souhaitent relancer la franchise, ils prennent la décision d'établir un nouveau casting et désignent un réalisateur pour tourner un nouveau volet en espérant ainsi susciter la curiosité auprès du public cible.
Les éditeurs exploitent-ils vraiment avec discernement ces nouvelles technologies ?
Là aussi, force est de constater que la haute définition n’a pas été la révolution annoncée. Une chose est certaine, à vouloir protéger les œuvres à tout prix, la branche s’est enlisée et peine franchement à remonter à la surface. Il appartient aux éditeurs de trouver des solutions viables pour tous afin de mettre en œuvre un mode de fonctionnement abordable, mais surtout évolutif, sans quoi nous entamerons probablement un ultime conflit : le digital contre le consommateur… ou l’inverse.
Sources: www.entete.ch, Bilan, www.francoischarlet.ch