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Logistique humanitaire : le domaine aux mille facettes

Écrit par Clément Capponi
Paru le 8 janvier 2020

Logistique humanitaire. Deux mots pour une multitude de champs d’action. De l’évaluation des besoins à la distribution finale, retour sur ces différentes étapes au travers de l’expérience personnelle de Rodney Gallwey, responsable régional Afrique Francophone des achats du Comité International de la Croix-Rouge (CICR).

« Les principales qualités requises dans ce métier sont la flexibilité et l’agilité. On ne compte pas ses heures, il faut être organisé, bien communiquer avec les différentes entités et être prêt à travailler en équipe interculturelle, autant avec des clients internes qu’avec des bénéficiaires. »

 

Retour sur son parcours

Après une expérience chez SGS, leader mondial de l’inspection, de la vérification et de la certification, Rodney Gallwey rejoint le CICR il y a quatorze ans. Grâce à ses compétences dans le secteur international, et surtout au vu des valeurs qui lui sont chères et qui se retrouvent dans cette organisation, il n’y a pas de doute possible pour lui, c’est là qu’il veut continuer sa carrière.

 

Une intense sélection

Après plusieurs journées intenses de sélection, il est engagé et « catapulté » en tant que responsable des achats au Soudan, qui est alors la plus grande opération en cours avec les besoins de la région du Darfour. Il y découvre la réalité du terrain et apprend les fondamentaux de son rôle sur le tas. Vingt équipes de huit, formées, pour 120'000 personnes touchées, le décor était posé. En tant que chef d’équipe et en charge du matériel d’enregistrement, il sillonne le pays pour se rendre sur les différentes sources d’approvisionnement.

 

Le sourcing ou approvisionnement

En 2013, il débute une nouvelle étape en tant que manager du « sourcing » (approvisionnement) pour toute l’Asie, principalement la Chine, l’Inde et le Vietnam. Les tâches sont multiples et variées : recommandations d’achats, développement de produit, analyse de prix, contrôle qualité en tous genres (conformité sociale et environnementale) d’une cinquantaine d’entreprises par année, pas le temps de s’ennuyer !

Ajoutez à cela la responsabilité des achats non-alimentaires au niveau mondial pendant cinq ans, comprenant la maîtrise des processus d’appels d’offres, l’audit d’usines et l’expertise en logistique, et vous aurez le tableau d’un métier dynamique et diversifié.

 

Achats pour l’Afrique centrale et de l’Ouest

Sa dernière mission en date, débutée en septembre 2016, concerne la gestion du sourcing et du procurement (achats) pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest. Pas moins d’une vingtaine de pays sont concernés. En plus de l’évaluation des fournisseurs et de l’analyse des risques du terrain, il est également en charge de la formation d’équipes (30 personnes), une fois par année pendant une semaine.

 

La logistique en quelques mots

Difficile de résumer l’entièreté des champs d’action de la logistique humanitaire en quelques phrases, tant le domaine est vaste. Comme première étape, on retrouve l’identification des besoins, entre les articles standards et les non standards. La chaîne d’approvisionnement dite classique avec des pipelines (flux et marches à suivre connues et maîtrisées) répond aux besoins standards. Pour les articles non-standards, tout passe par une discussion avec les demandeurs qui viennent d’autres départements internes, comme l’economic security (nourriture et non alimentaire), le médical (médicaments, vaccins, matériel médical), l’ingénierie ou encore les achats de véhicules. Ces besoins non-standards passent par le sourcing qui se charge dès lors de trouver un fournisseur adéquat.

« Lors de la crise Ebola en Sierra Leone et au Liberia, il fallait trouver des cercueils. Comme cette maladie est extrêmement contagieuse, je devais trouver des matériaux où les fluides liquides ne pouvaient pas s’échapper, afin d’éviter de contaminer les nappes phréatiques et la terre. Depuis l’Inde où j’étais basé, j’ai donc contacté des ingénieurs indiens et j’ai visité différentes entreprises qui respectaient nos standards qualité pour trouver la meilleure solution. C’était un projet crucial novateur qui a passionné les équipes »

 

Tâches, rigueur et créativité

Ensuite, une fois l’analyse des besoins effectuée, il faut alors transmettre ces données aux planners (planificateurs), afin que ceux-ci puissent s’atteler à la gestion des commandes. Là encore, le choix du fournisseur est primordial, entre qualité du produit demandé et respect des délais impartis.

Dès lors que les commandes arrivent dans les différents entrepôts, un nouveau contrôle qualité approfondi est effectué par les collaborateurs du CICR, avant d’obtenir l’approbation pour la distribution.

Reste encore à distribuer tous ces achats, tant alimentaires que non-alimentaires, de la meilleure des manières. Des demandes de transports internationaux doivent être faites, pour assurer le transit entre un point A et un point B. Comme dans tout le processus énoncé plus haut, la meilleure solution reste à trouver par rapport à la destination finale et les divers aléas pouvant y être associés (accès à la mer, zone difficile d’accès, aéroport, …)

Journée « type » d’un responsable logistique

Rodney Gallwey revient sur sa dernière expérience en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. La journée débute de manière « classique » : arrivée au bureau à 7h, traitement des e-mails reçus, validation des achats de la zone allant jusqu’à 100'000 CHF (pour les montants supérieurs, retour à Genève pour signature) et contrôle des achats réalisés par la centaine d’acheteurs présents dans ces pays.

Un peu plus tard dans la matinée, arrivent les diverses équipes en charge de certains dossiers. Le responsable achats est là pour les coacher et les conseiller sur leurs problématiques et les méthodologies. La suite de la journée sera donc rythmée par différentes opérations de sourcing, le remplacement des chefs d’achat en déplacement, l’organisation des formations et des séminaires ou encore la vérification des ateliers (qualité de la nourriture, hygiène). Si l’on prend encore en compte le fait qu’en moyenne le responsable des achats passe environ 60 jours par an en mission, on comprend facilement qu’il n’existe pas de journée type, mais que chaque jour est une nouvelle aventure.

 

Passé, présent, futur du domaine

À son arrivée au CICR il y a quatorze ans, l’organisation était majoritairement composée de personnes qui avaient appris leur métier sur le tas. Un infirmier, par exemple, avait pu s’intéresser à la logistique de la distribution du matériel médical et s’est débrouillé seul pour en connaître les tenants et aboutissants. La majeure partie des employés était alors de nationalité suisse.

De nos jours, il y a de plus en plus de profils diplômés, avec des gens venant d’une multitude de pays. La supply chain du CICR étant basée sur des systèmes de planning complexes (ERP), beaucoup de collaborateurs viennent du secteur privé et apportent leurs connaissances.

Dans le futur, vu l’intérêt que suscite l’organisation, Rodney Gallwey pense que les parcours académiques des écoles reconnues (école d’achats de Grenoble ou Bordeaux, procure.ch, CIPS par exemple), ainsi que les diplômes d’acheteurs et d’ingénieurs, formeront la base de l’avenir du CICR.

 

Les motivations au réveil

Même s’il est principalement au bureau, il n’oubliera jamais les expériences de vie qu’il a pu avoir sur le terrain durant ses différentes expériences de par le monde. Des images extrêmement fortes, comme cette mission en Géorgie où il a apporté un camion entier de matelas à des gens qui dormaient à même le sol et qui l’ont tous pris dans les bras, à son arrivée, resteront gravées à jamais. Ces images démontrent bien l’impact du travail réalisé et c’est cela qui importe, même si lui ne représente « qu’un » rouage du processus.

 

Les valeurs du CICR

Par-dessus tout, ce sont les valeurs défendues par le CICR, dans lesquelles il se retrouve, qui le passionnent et le poussent à se lever chaque matin. L’interculturalité, les relations précieuses et les amitiés qu’il a pu tisser au cours de ses missions, avec hommes et femmes de divers horizons, voilà ce qui compte.

Et ce, tant au Moyen-Orient qu’en Afrique, souvent dans des milieux très conservateurs. Il a pu ainsi découvrir des cultures de l’intérieur, assister à des mariages et des baptêmes et est resté en très bons termes avec la plupart de ses contacts. Alors certes, il faut s’adapter, à la manière du caméléon. Mais on découvre des endroits exceptionnels, où le tourisme n’est pas encore apparu, et c’est une réelle chance de pouvoir y accéder sous la bannière du CICR.

 

Les compétences nécessaires

Quel que soit son domaine d’action, le logisticien développe assez souvent les mêmes compétences. La logistique humanitaire se rapproche fortement de la logistique militaire, puisqu’on utilise jargon similaire, dans un contexte de guerre ou de catastrophe naturelle.

À ce niveau-là, l’humilité est extrêmement importante. Sur le terrain, c’est une logistique impressionnante qui est déployée, allant parfois jusqu’à des convois d’un kilomètre de long ne passant pas inaperçus.

Le CICR se veut neutre, impartial et fidèle à ses principes. Il faut donc savoir se faire respecter de toutes les parties. En tant que logisticien, on est en première ligne, la population doit nous accepter et en contrepartie, on doit savoir leur parler, dire qui nous sommes, et parfois répondre aux médias.

Finalement, les softs skills (qualités personnelles) ont également toute leur importance, puisqu’elles peuvent aider à calmer les choses et permettre d’atteindre une situation supportable malgré un contexte difficile. Il faut savoir compter sur ses équipes, déléguer, communiquer régulièrement avec sa hiérarchie et évaluer le risque.

Un métier fou en somme, mais ô combien gratifiant !

 

Un grand merci à Rodney Gallwey pour le temps qu’il m’a accordé pour cette interview.

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