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Dans le cadre du Salon du livre et de la presse 2018, nous avons eu la chance de rencontrer Monique Ilboudo afin de parler de la situation des droits des femmes dans son pays d’origine, le Burkina Faso, auxquels elle a consacré sa vie.
Monique Ilboudo est la première femme professeure en droit privé à l’Université de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso.
Elle a commencé son activité de 1992 grâce à la chronique « Féminin Pluriel », dans le quotidien burkinabé « L'Observateur Paalga ».
En plus, elle a mis en place un Observatoire sur les conditions de vie des femmes au Burkina Faso, intitulé « Qui-vive ». Elle a été membre du Conseil supérieur de l’information de 1995 à 2000, avant d’occuper le poste de Secrétaire d’État chargée de la promotion des Droits de l’Homme, puis celui de ministre de la Promotion des droits humains depuis juin 2002.
Au-delà d’être une militante convaincue des droits humains, et en particulier de ceux des femmes, elle est aussi une figure distinguée de la littérature africaine francophone. Elle a reçu le Grand Prix national du meilleur roman en 1992 avec Le Mal de Peau (Éditions le Serpent à Plumes, 2001). Elle a également écrit Droit de cité, être femme au Burkina Faso (Éditions du Remue-ménage, 2006) et vient de publier Si loin de ma vie (Ed. Le Serpent à Plumes), présenté en avant-première au Salon Africain 2018.
Devenir activiste : quand et pourquoi ?
La première question ne peut être que « Quand a-t-elle décidé de s’engager pour la défense des droits des femmes ». A travers des anecdotes familiales, elle nous explique qu'elle a déjà commencé à se rebeller pendant l'enfance, en observant les disparités au sein même de sa famille. « Il y avait des choses qui me choquaient, à commencer par ce qui se passait dans ma propre famille, en rapport à mes frères et mes cousins. Ils étaient sans doute plus libres que moi. Ils pouvaient ses promener, aller dehors, alors que je devais rester à la maison ».
Plus tard, pendant ses études en droit à l’Université, elle a commencé à écrire sur cette question-là. Elle voulait exprimer sa réflexion sur ce sujet. Le directeur du journal « L'Observateur Paalga » lui a proposé une chronique hebdomadaire « Il m’a lancé un défi. Il voulait voir si j’étais vraiment capable d’écrire ce dont je parlais ». Le défi fut réussi au regard du succès obtenu.
Elle fut ensuite la première femme Premier Ministre de son pays, pour la promotion des droits de l’Homme, puis ambassadeur en Europe. Elle a quitté son travail de diplomate au Danemark en 2015, pour faire ce qui la passionne : enseigner le droit à l’université.
Les projets futurs de Monique Ilboudo sont essentiellement l’enseignement et l’écriture, ses deux passions. Elle n’exerce pour l’instant aucune fonction officielle.
Elle n’a jamais eu la carte d’aucun parti, mais elle a accepté volontiers les rôles qui lui ont été proposés pour mieux représenter les femmes, et en particulier constituer un modèle à suivre pour les femmes burkinabés. Son but est donc de transmettre aux jeunes femmes ses connaissances et ses idées démocratiques.
La situation au Burkina Faso après douze ans du traité « Droit de Cité : être femme en Burkina Faso »
Monique Ilboudo est pleine d’espoir. Le changement est en cours, mais il n'est pas aussi rapide que les femmes le souhaiteraient. Ce qui fait le plus espérer est le net progrès du niveau de la scolarisation. « C’est là qu’il y a de l’espoir. Il y a vingt ans que j’ai commencé à enseigner et maintenant, je vois de plus en plus de filles à l’Université.
Malgré le fait que le mariage - aux yeux des jeunes filles et de leur famille - reste plus important que l’école, elles peuvent aujourd’hui accéder plus facilement aux études.
Bien qu’il existe un nouveau texte législatif contre les violences depuis 2015, le problème subsiste dans la pratique. Au quotidien, les femmes elles-mêmes s’imposent des limites. A ce jour, il y a encore des hommes qui n’apprécient pas les filles avec un haut niveau de scolarisation, de peur qu’elles se sentent plus intelligentes, d’où un complexe d'infériorité qu’ils pourraient ressentir.
Monique Ilboudo est d’accord sur le fait qu’il faut travailler aussi avec les hommes, pour que la société change au sujet de ces questions.
Tous rêvent d’avoir une famille, mais si la fille ne se marie pas, il y a un grand souci. C’est un non-dit dans la société, mais fortement présent.
Le rôle des enseignants et des modèles
Les enseignants sont-ils prêts à faire passer le bon message ? Cela n’est « pas évident » nous répond Monique Ilboudo. Elle nous rappelle avoir été la première femme enseignante. « J’étais seule parmi les hommes. Ils me traitaient mal, ils me taquinaient. Mais aujourd’hui, une dizaine des femmes enseignent. »
Le rôle de Monique Ilboudo a été une source d’inspiration pour les filles burkinabés. Plus il y aura de femmes pour inciter les filles à ne pas avoir peur d’avoir des rêves, plus facilement la société pourra changer.
« Il y a vingt ans, on disait qu’il y avait des droits plus importants à protéger, à savoir, la démocratie. Tout d’abord la démocratie et après, les droits des femmes ». L’évolution de la société a amené toutefois le débat sur le fait que les droits des femmes sont des droits humains et qu’ils sont essentiels à la démocratie. Elle est fière de s’être battues avec d’autres femmes et d’avoir contribué à changer cette mentalité :
« Les droits des femmes sont des droits humains ! »
La discrimination, les violences et les mutilations à l’égard des femmes burkinabés toujours existants
Récemment, en 2017, le Comité ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a remarqué la persistance de stéréotypes discriminatoires envers celles-ci, dans ses observations finales. Les femmes et les filles réfugiées dans l’État sont encore fortement exposées aux violences sexuelles et sexistes, aux mariages précoces et forcés, à la traite d’êtres humains et à la prostitution forcée. Bien qu’ait été adopté le plan stratégique national visant à éliminer la pratique des mutilations génitales féminines pour la période 2016-2020, ainsi que la stratégie nationale 2016-2025 visant à prévenir et éliminer le mariage d’enfants, il a constaté la persistance de la pratique des mutilations génitales féminines et le taux très élevé de mariages d’enfants, notamment en milieu rural, où 92 % des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans.
Pour Monique Ilboudo, cet état de fait est lié à la question de l’éducation. S’il n’y a pas d’écoles à proximité, les parents hésitent à envoyer les filles loin pour étudier. Dans la mentalité, surtout rurale, les parents pensent que la fille est là seulement pour le mariage.
La difficulté principale est que dans le milieu rural, il n’y a pas de structures scolaires suffisantes. « Nous devons nous battre pour qu'il y ait plus d'écoles et qu'elles soient moins chères ». En effet, les familles préfèrent payer pour la scolarisation des garçons plutôt que des filles.
Il faut aussi aller plus loin, et éduquer les filles à refuser les discriminations et les violences.
Les mutilations sont l’un des combats de Monique Ilboudo. C’est en train de changer, mais tout est lié à l’éducation.
De nos jours, il y a encore des gens qui ont l’impression que cela fait partie de leur identité culturelle. Au Burkina Faso, cela constitue un délit depuis le 13 novembre 1996, mais malgré cela, nombreux sont ceux qui sont intimement convaincus qu’une fille qui n’est pas mutilée, n’est pas vraiment une fille de leur ethnie. Pour Monique Ilboudo, l’unique clé pour changer:
« C’est l’éducation, l’éducation et l’éducation ».
Bien que l’on constate une diminution du nombre de jeunes femmes ayant été excisées, une partie de cette diminution est la conséquence d’une baisse du nombre de déclarations, suite à l'entrée en vigueur de la loi. La réalité est que la clandestinité et les migrations vers les pays frontaliers du Burkina, surtout ceux qui ne disposent pas encore de législation réprimant les mutilations, font encore partie du quotidien.
Mais, de plus en plus, spécialement dans les zones urbaines, cela se réduit.
Monique Ilboudo ne cesse de souligner que plus les femmes seront scolarisées et sensibilisées, plus elles pourront combattre de telles inégalités et violences.
Bien qu’elle soit une militante, elle reste très réaliste : « Le problème de la société ne va pas se réduire d’un jour à l’autre. Ça change doucement. » Il ne faut pas oublier que les pays européens aussi ont vécu et sont en train de vivre un changement de la société. L’avantage est seulement qu’ils ont commencé avant ce changement.
« Il faut rester vigilant, continuer à combattre. J’ai l’impression que les garçons commencent à respecter les filles. Nous sommes tous là pour contribuer à faire avancer la société. Il faut respecter les droits. »
Le processus de changement est lent, mais il est en cours.
Photo credit: Federica Francesca Lobino