De l’aide et des secours plus efficaces grâce à une logistique humanitaire fondée sur les nouvelles technologies de communication et notamment la cartographie interactive.
Comme nous l’avons vu dans les précédents articles de notre série sur la logistique humanitaire et les nouvelles technologies, les drones et les imprimantes 3D révolutionnent le travail des humanitaires sur le terrain. Dans cet article, nous allons mettre en avant l’utilisation et les avantages de la cartographie interactive sur le terrain.
Cartographie interactive et situation de crise
Les données référencées sont maintenant accessibles en temps réel et les codes sources des cartes interactives sont très souvent libres d’accès. Cela implique une multiplication des cartes interactives : Cela s’appelle la « néo-géographie ».
Là où il y a quelques années, le cartographe utilisait les données satellites, aujourd’hui, il suffit au néo-géographe de télécharger une application comme Google Maps. De plus, ce dernier a la possibilité de créer ses propres cartes grâce au géo-marquage, selon ses propres critères et en réorganisant certains éléments grâce à d’outils déjà existants.
Dans le cadre de l’action humanitaire sur le terrain, les applications sont diverses et nombreuses.
En cas de catastrophe ou dans le cadre du développement, l’accès à l’imagerie et à l’information est aussi essentiel que celui aux vivres et à l’eau potable.
La relation entre information, intervention en cas de catastrophe et secours a d’ailleurs été officiellement reconnue par le Secrétaire général de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans le Rapport sur les catastrophes dans le monde de 2005.
Depuis cette date, ce sont les sinistrés eux-mêmes qui ont adopté ces nouvelles technologies mobiles et peuvent partager, obtenir et générer un grand volume de données informationnelles. Les interventions des humanitaires, en développement ou en cas de catastrophe ont donc considérablement évolué.
La première carte Ushahidi
En 2008, la première carte Ushahidi a vu le jour au Kenya où cette simple plateforme Web a permis de signaler des violations des droits de l’homme par la population elle-même, grâce à des formulaires online, des e-mails ou des SMS. Cela a permis de donner lieu à un témoignage collectif de la situation. Ushahidi signifie d’ailleurs « témoin » ou « témoignage » en swahili.
Depuis lors, plus de 30 000 cartes Ushahidi ont été mises en ligne dans plus de 140 pays.
L’exemple d’Haïti
Après le séisme de janvier 2010 en Haïti, une carte interactive Ushahidi a été mise en ligne en quelques heures. Un numéro court, le 4636 a été mis en place par Digicel, la compagnie de téléphonie mobile et a permis que chaque personne puisse être localisée grâce à un SMS, afin de répondre aux urgences, mais aussi de rassurer la diaspora, qui craignait pour ses proches.
Les urgences vitales étaient bien sur répertoriées sur cette carte de crise. Le responsable de la FEMA (l’agence américaine des situations d’urgence) a d’ailleurs souligné que cette carte était la plus complète et la plus récente, dix jours après le séisme.
Le plus surprenant est que cette carte a été mise en ligne par des étudiants de l’université Tufts, à Boston aux USA, de manière spontanée, non planifiée et à grande échelle. Personne ne l’avait jamais fait.
SBTF : une task force qui agit dans plus de 80 pays
De leur côté, les humanitaires ne savaient pas trop comment utiliser au mieux les informations données par les sinistrés. De ce fait, ils s’en sont tenus à une intervention plus classique au regard de la gravité de la catastrophe.
Cependant, suite à cela, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a étudié les avantages et les inconvénients liés à cette nouvelle technologie et pris des mesures concrètes, pour agir.
Il a notamment mis en place une équipe de volontaires, la Standby Volunteer Task Force (SBTF), divisée en plusieurs équipes :
- L’équipe de surveillance des médias recherche des données pertinentes dans les sources classiques et dans les médias sociaux ;
- L’équipe chargée de la géolocalisation qui identifie les coordonnées GPS relatives aux événements signalés
- L’équipe de surveillance des médias ;
- L’équipe de vérification s’efforce de vérifier l’exactitude et la validité des informations cartographiées ;
- L’équipe d’analyse élabore des produits d’information dans le cadre des rapports de situation remis périodiquement à l’organisation qui a activé la SBTF.
Depuis 2010, la SPTF regroupe 1200 volontaires dans plus de 80 pays et a été mobilisée plus d’une vingtaine de fois.
Ces divers déploiements ont inclus des partenariats avec le Bureau pour la Coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR),
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation internationale pour la migration (OIM), Amnesty International USA (AI-USA), USAID, CICR et plusieurs autres groupes. Les ONGI, pour des raisons d’indépendance, ne sont pas vraiment représentées dans ces partenariats.
Quelques exemples d’utilisation de la cartographie interactive
La SBTF peut également agir informellement, comme par exemple lors du séisme de Van en Turquie ou encore lors d’une tempête de neige dans les Balkans, où elle s’est associée à Al Jazira.
Feu de forêt en Russie
En 2010, la Russie a été ravagée par des feux de forêt meurtriers, et de bloggeurs russes ont créé, eux aussi, une carte interactive sur le modèle de celle d’Haïti.
Typhon Haiyan au Philippines
Le 12 décembre 2013, le Typhon Haiyan touche les Philippines faisant près de 6000 morts et 1800 disparues. Depuis la France, Kat Borlongan, philippine et entrepreneuse, initie un message sur les médias sociaux « Développeurs vs Typhon Haiyan ». Plus de 100 développeurs du monde entier répondent rapidement. Elle propose alors cette aide au gouvernement philippin.
Un site est alors construit pour coordonner les secours. Et les développeurs mettent en place une plateforme pour traiter en temps réel les données envoyées par mail, SMS ou tweets, par les personnes en détresse. Les informations sont alors transmises directement au secours, au lieu de passer par le gouvernement et « toute une chaîne hiérarchique de comités de secours », explique l’entrepreneuse.
L’association CartONG s’est également servie de données récoltées sur le terrain, des photos satellites ainsi que de la photogrammétrie de drones pour établir des cartes des zones touchées.
Les ONG peuvent alors localiser facilement les populations sinistrées et les logisticiens acheminer l’aide, en tenant compte de l’état des routes, des ports, des entrepôts et des hôpitaux.
Google, quant à lui, a construit un site destiné à la recherche des personnes disparues, Google Person Finder. 73000 formulaires avaient été remplis moins d’une semaine après le passage du typhon.
Loin d’être nouvelles, ces initiatives sur le web prennent de plus en plus d’ampleur. Par exemple, lors de l’ouragan Sandy qui a balayé la côte des USA et les Caraïbes, fin 2012, 20 millions de tweets et plus d’un demi-million de photos Instagram ont été envoyés.
Des solutions pour le long terme
Des concepteurs développent des solutions cloud, des technologies de réseaux ainsi que des programmes, pour que les humanitaires puissent mieux utiliser une masse de données exponentielle. Cela concerne le développement, la réponse d’urgence, le déploiement de drones, la cartographie de cartes interactives, jusqu’à la préparation de réponses aux catastrophes futures.
Ces solutions permettront donc que :
- Les parties prenantes collaborent : ONG, ONGI, UN, gouvernement, administration locale, services d'urgence, achats inter-institutions, les fournisseurs, transporteur et les bénéficiaires
- Les agences de développement de secours répondent et adaptent mieux leur offre à la demande
- Le rapport qualité-prix soit meilleur : donation, coût, temps de réponse, niveau d'aide adéquat au point de besoin
- Le suivi des donations, des biens et leur traçabilité soient plus transparents et équitables
- Les informations réelles sur les capacités des fournisseurs dans les zones de catastrophes soient traitées en temps réel
Le changement climatique, mais aussi les bouleversements économiques et géopolitiques vont s’accentuer. Il faut donc s’assurer d’être plus efficace et rapide pour déployer les secours auparavant, mais aussi prévenir ces changements en adaptant la stratégie de développement.
La logistique humanitaire doit donc mettre à profit les nouvelles technologies pour le futur, pour améliorer les conditions de vie des victimes et pour prévenir les futures catastrophes.
Articles du même auteur :
Nouvelles technologies et humanitaire II : les imprimantes 3d
Nouvelles technologies et humanitaire I : L’utilisation des drones
Le logisticien humanitaire dans un contexte de développement
Sources :
https://international-review.icrc.org/sites/default/files/irrc-884-meier-fre.pdf
http://news.philanthropyadvisors.org/les-nouvelles-technologies-au-secours-de-lhumanitaire/
Le bureau de coordination de l’aide humanitaire de l’ONU (OCHA)
https://www.ngosafety.org/INSO
https://www.ushahidi.com/
Si le sujet vous intéresse :
https://www.letemps.ch/monde/cartographie-crise-revoltes
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/crisis-mapping
https://reliefweb.int/report/haiti/ushahidi-en-ha%C3%AFti-les-le%C3%A7ons-%C3%A0-tirer-de-la-cartographie-de-crise
https://journals.openedition.org/humanitaire/1299
https://www.lafrenchcom.fr/cartographies-risques/
https://www.thenewhumanitarian.org/fr/report/92723/libye-comment-la-cartographie-en-ligne-aid%C3%A9-la-r%C3%A9ponse-d%E2%80%99urgence
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