Docteur en astrophysique, Didier Raboud est directeur de la communication de l'Université de Genève. Portait d'un homme dynamique qui souhaite partager sa passion pour la science au sens large. Il nous a exposé son parcours professionnel et les spécificités de son métier au sein du service de communication de l'Université de Genève.
Quelle est votre formation?
J’ai suivi une formation en astrophysique. Cette science très populaire permet d’entrer très rapidement en interaction avec le public. Lorsque je suis arrivé à l’Observatoire de Genève pour mon doctorat, on m’a demandé de faire des visites pour le public. L’Observatoire possède un véritable support de communication, à savoir une salle d’exposition, des locaux à faire visiter. J’ai donc tout de suite pris un immense plaisir à partager cette science avec le public.
Quel parcours professionnel avez-vous suivi?
Comme je prenais goût à ces activités de communication, on m’a donné une immense chance, celle de reprendre « le ciel du mois », une chronique du 24 Heures, qui avait été tenue, entre autres, par l’illustre Claude Nicollier. J’ai donc tenu à mon tour cette chronique pendant de nombreuses années.
J’ai alors commencé à communiquer en parallèle à ma thèse. J’ai également été rapidement l’interlocuteur désigné des journalistes, et de fil en aiguille, on m’a proposé de faire des chroniques à la Radio Suisse Romande, à Territoire 21 à la RTS. Je suis donc rentré dans la communication de cette manière, en douceur.
J’ai aussi organisé des événements de communication de science, à l’occasion d’éclipses de soleil, d’éclipses de lune, de passages de comète, etc. Vers la fin de ma thèse, j’avais acquis la conviction de créer une structure, « la liaison enseignants-astronomes » (LEA), pour valoriser l’astronomie dans les écoles. Comme l’astrophysique passionne le public et les jeunes, c’était une porte d’entrée facile à la science. Je suis donc allé voir mes professeurs qui m’ont conseillé de terminer ma thèse d’abord. Il me restait une année. Le lendemain de ma soutenance de thèse, on me proposait un poste à l’Observatoire, à mi-temps comme post-doctorant, et à mi-temps pour monter ma structure. Au bout d’une année, une fondation me soutenait, ce qui m’a permis de travailler à plein temps dans la communication de science. Puis j’ai fusionné la LEA avec la Passerelle Science-Cité, qui avait été créée par une collègue biologiste passionnée, Anne Gaud McKeee. Nous avons alors co-dirigé cette structure, qui avait pour but la communication événementielle de la science. Nous avons monté notre premier événement à l’occasion de l’éclipse totale de soleil sur l’Europe, en 1999.
L'exposition Génome sur l'Ile Rousseau, à l'occasion du 450e anniversaire de l'UNIGE en 2009
Comment s'est créé le service de communication de l'Université de Genève?
A l’Université, il y avait le service de presse d’un côté et la Passerelle Science-Cité de l’autre. Un rapprochement naturel s’est fait entre les deux structures au fil des années et elles ont finalement fusionné, avec mon arrivée à la tête du service de presse. Nous avons alors créé un service de communication comprenant une communication à la fois classique et particulière, telle que la faisait la Passerelle.
Comment communique l’Université de Genève?
La communication d’une université se conçoit au sens large, c’est-à dire comme le partage des savoirs et de la science en général. En 1998, avec la votation sur le génie génétique, la Suisse connaît un tournant. A cette période, on décide d’institutionnaliser le dialogue science et cité parce qu’on estime cela fondamental dans une démocratie. Les scientifiques ont toujours communiqué, mais à ce moment-là on décide d’aller plus loin, ce qui va créer une dynamique incroyable. Cette communication est alors promue par la Fondation Science et Cité et par des associations, comme Euroscience au niveau européen. Les institutions, c’est-à-dire les académies, les universités et les écoles polytechniques vont intégrer cette notion de dialogue avec la cité. Ces acteurs institutionnels vont progressivement, au fil des années, devenir plus actifs dans ce domaine de la communication. C’est donc dans cette histoire-là que s’inscrit mon parcours. En évoluant dans ma carrière, d’un poste à l’autre, j’ai acquis des compétences dans des domaines que je maîtrisais mieux en termes de contenu et dans d’autres que j’ai du apprendre à connaître.
Comment s’organise votre travail ?
Nous sommes organisés de manière matricielle. Nous avons des pôles d’activités : les relations média, la communication interne, les publications print et online, le graphisme et les événements. L'équipe est composée de spécialistes métier, comme des attachés de presse ou des journalistes. Le pôle "événements" est composé de chefs de projet qui travaillent avec les personnes des autres pôles pour les différents événements. Ceci implique des relations transversales entre les différents secteurs d'activité. Nous travaillons également en collaboration avec différents chargés de communication au sein des facultés.
Avec 5500 collaborateurs, plus de 16000 étudiants et de nombreuses activités, nous essayons de rassembler toute l’information concernant la vie de l'Université. Cela marche assez bien et nous permet d’assurer une certaine cohérence dans notre communication institutionnelle. Nous avons des activités de service : les relations médias, où nous sommes au service des journalistes ; la publication du journal de l’Unige, le magazine Campus ; la homepage du site web de l’Université, les réseaux sociaux et les travaux de graphisme.
Quel rôle joue la communication au sein de l'université?
Nous sommes une institution ouverte avec une liberté de parole qui fait partie de ses valeurs fondamentales. Le rôle de la communication est donc celui d'une caisse de résonance, d'un facilitateur, « au service de ».
Nous possédons une double dynamique. D’un côté, nous sommes promoteurs d’événements, nous saisissons les opportunités qui se présentent, en interne à l’Université ou à l'externe. Il faut donc être à l’écoute des besoins de la Cité. La condition absolue de l’organisation d’événements est que ces derniers résonnent fortement avec les activités académiques.
Puis d’un autre côté, nous sommes au service des initiatives internes, venant des collaborateurs. Ceux-ci peuvent monter leur projet seuls, mais ils viennent aussi chercher de l'aide, des conseils. Parfois, ils souhaitent une collaboration pour l'organisation, parfois ils demandent que nous nous en occupions complètement. Ceci implique également des relations transversales, car il s’agit autant d’organiser l’événement que de le faire connaître. Par exemple, nous avons aidé à l’organisation des 125 ans de l’archéologie, en faisant des flyers, le graphisme et les relations presse. De plus, chaque scientifique communique et est responsable de ses propos pour ses recherches. Nous aimons juste le savoir pour la revue de presse du lendemain! Mais nous sommes aussi là en cas de besoin, pour expliquer comment se déroule une interview, pour clarifier un message.
Pouvez-vous nous donnez un exemple de projet en relation avec le "dialogue science et Cité" dont vous parlez ?
Le bateau MS Tûranor PlanetSolar utilisé par des scientifiques de l'UNIGE dans le cadre du projet DeepWater
Par exemple, nous travaillons sur le projet PlanetSolar DeepWater, une expédition scientifique le long du Gulf Stream, qui est typiquement une opération de dialogue science et cité. En effet, il existe une convergence entre la volonté des scientifiques de faire de la science et de la partager avec le public. D’un côté, il y a une campagne de mesures scientifiques et, de l’autre, il y a le bateau qui est un véritable "attracteur" pour le public. Toute une série de ressources pédagogiques ont été développées, pour les classes, pour une exposition, etc. Nous avons la chance d’être dans une institution assez large qui permet d’organiser de nombreux événements, avec des personnalités, comme Stephen Hawkings. Ces conférences attirent énormément de personnes.
Nous sommes donc une caisse de résonance et nous tentons de donner une cohérence à l’information que nous diffusons. C’est une difficulté, étant donné la diversité des savoirs présents dans notre Université. Nous avons cette volonté de promouvoir une image institutionnelle forte et cohérente, mais elle ne peut pas et ne doit pas se faire au détriment de la pluralité des images. Les différents corps de l’Université ne communiquent pas de la même manière et c’est normal. La manière de communiquer est caractéristique de ce que l’on est. Cela peut être un désavantage face à des institutions plus homogènes. Notre pari est donc de construire, sur les années, l'image d'une institution riche de sa diversité.
Quelles sont les qualités essentielles pour effectuer ce métier ?
Il faut surtout aimer l’institution dans laquelle on est. Mon but premier est ce fameux dialogue science et Cité. Pour moi, l’important reste de communiquer cette passion quel qu’en soit le moyen. Cela peut être par la presse, par les événements, par Twitter, cela n’a pas d’importance du moment que l’on partage.
C’est un métier relationnel essentiellement. Je dirige une équipe et je ne fais que du relationnel en dehors de cela. Il faut être à l’aise avec les gens et bien connaître la maison pour laquelle on travaille. Je passe également beaucoup de temps à trouver des financements. Nous sommes financés par des fonds publics de l’Université, mais aussi par des fonds privés, essentiellement des fondations, notamment en ce qui concerne les événements.
La passion est essentielle. Faire de la communication pour faire de la communication n’a pas de sens. Il faut se fixer un but et avoir une motivation première pour faire ce métier.
A quel public vous adressez-vous ?
Ce qui différencie une université d’une autre institution, ce sont justement ses publics. Nous touchons tous les publics, mais nous pouvons définir trois grandes catégories globales. Nous avons notre public interne au sens classique du terme : les collaborateurs. Le public des étudiants qui forme à la fois un public interne et externe. Peu d’entreprises ont cette caractéristique. Nous avons également le public de la Cité en général, que nous définissons par tranche d’âge. Nous ciblons notamment les enfants (8-12 ans), les adolescents et les adultes. Evidemment, pour chaque catégorie, nous affinons notre cible pour mieux communiquer. Nous faisons beaucoup pour initier les jeunes, avec par exemple les goûters des sciences. L’idée est de mettre les enfants en relation avec de vrais scientifiques.
Des démonstrations de physique dans un centre commercial
Quels objectifs visez-vous ?
Notre but est de sensibiliser le public aux différents domaines du savoir étudiés à l'Université et de partager les connaissances. Il y a donc un devoir citoyen derrière cette communication. L’objectif de base est de remplir la mission de l’Université, à savoir la diffusion des savoirs. Notre institution doit enseigner, faire de la recherche et rendre des services à la Cité.
Il est très important de rappeler le rôle de la recherche fondamentale, qui est la vraie source de toute innovation. Il faut partager cela à travers le très long terme en rappelant comment fonctionne la science, en faisant de l’histoire. Tout cela fait partie de nos stratégies de communication. Le but est de faire prendre conscience au public ce qu’une université généraliste apporte, à travers la recherche fondamentale, à travers l’esprit critique qu’elle développe, à travers cette critique saine et absolument nécessaire qu'elle fait de nos connaissances.
Comment choisissez-vous les contenus que vous diffusez ?
Les contenus sont très riches. L’équipe reçoit énormément d’informations en continu. Nous faisons une séance hebdomadaire où toutes les personnes actives dans la communication à l’Université sont invitées. Chacun doit parler uniquement de quelque chose de nouveau par rapport à la semaine précédente. Cela permet de regrouper l’information et de distribuer le travail. Puis nous avons des séances de rédaction plus spécifiques pour le Journal, pour Campus.
Par quels moyens communiquez-vous ?
De la publication papier à l'exposition, nous essayons d'utiliser les moyens de communication les plus variés possibles, et les plus adaptés au message que nous souhaitons transmettre. Nous travaillons aussi avec les médias sociaux, qui sont pour nous une nouveauté. Nous sommes actuellement dans une logique cross-média assez classique, à savoir que nous transmettons l’information par tous les médias en même temps. Comme nous fonctionnons par projet, chaque équipe est responsable du contenu à diffuser sur les réseaux sociaux. Nous sommes en train de mettre en place une coordination pour répartir le plus harmonieusement possible l’information sur les réseaux sociaux.
J’aimerais transformer cela à terme en une logique trans-média, beaucoup plus complexe à mettre en place. Il s’agit de raconter une histoire à partir d’une information, à travers différents médias qui se complètent. Cela demandera certainement une réorganisation et notamment la mise en place d’une séance de rédaction intégrée.