Cette série d’articles a pour but d’explorer diverses questions d'actualité relatives à différents domaines juridiques fondamentaux et présentant un intérêt pour le grand public.
Harcèlement psychologique au travail - Quels sont les moyens juridiques à disposition de la victime (et quelle est leur efficacité) ?
Les relations sensibles qui se rapportent au droit du travail exigent une attention particulière de la part du législateur suisse. Le travailleur, considéré comme la partie faible, mérite une protection accrue.
Il sera ici question des moyens de droit à disposition d’une victime de harcèlement psychologique (également appelé « mobbing ») et qui peuvent être invoqués pendant la durée effective des rapports de travail régis par le droit privé. Sont écartées de la présente les actions en cas de harcèlement sexuel fondées sur la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg).
Harcèlement et protection en droit suisse
Les moyens de protection et d’action peuvent trouver leur source dans le droit administratif, civil ou pénal. En effet, le harcèlement enfreint les normes de droit public sur la protection de la santé au même titre que celles de droit privé sur la protection de la personnalité.
Actions civiles
Les actions de droit civil font partie de l’arsenal juridique à disposition de la victime de harcèlement au travail. Ces dernières trouvent leur fondement dans les articles du Code civil suisse (CS) consacrant la protection de la personnalité, de même que dans les dispositions spéciales de droit du travail figurant dans le Code des obligations (CO).
L’employeur a une obligation de protection du travailleur dans les rapports de travail et il doit notamment veiller à sa santé psychique. Afin de garantir la protection de la personnalité du travailleur, l’employeur doit ainsi remplir son devoir de diligence en prenant toutes les mesures, préventives et de surveillance, adaptées aux circonstances et qu’il est équitable d’exiger de lui. S’il n’empêche pas un harcèlement, l’employeur viole son devoir de diligence.
L’employeur est non seulement responsable de ses propres faits (atteintes émanant des supérieurs hiérarchiques), mais il répond également des faits d’un employé (atteinte émanant de collègues), aussi bien que des actes de ses organes (pour une personne morale).
De plus, au moyen de toute action de droit civil, une victime de mobbing peut réclamer des dommages-intérêts et/ou une réparation pour tort moral.
Par ailleurs, par gain de paix et dans le but de mettre un terme à la situation litigieuse de la manière la moins contraignante, toute procédure de droit civil doit être précédée d’une tentative de conciliation. Si celle-ci n’aboutit pas, une procédure judiciaire ordinaire peut être poursuivie.
La loi fédérale sur le travail (LTr) de même que ses ordonnances offrent également une protection en matière de mobbing.
A Genève, une victime de harcèlement a la possibilité de dénoncer les actes qu’elle subit sur son lieu de travail en déposant une plainte auprès de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT) qui est chargé de contrôler l'application de la LTr. Une enquête est alors lancée dans le but de restaurer une situation juridique conforme aux règles de la LTr et un avertissement peut alors être délivré à l’employeur dans un premier temps. Si la situation ne change pas, des procédures administratives et pénales peuvent être entreprises dans le but de le sanctionner.
Ce mode de fonctionnement a pour avantage de préserver la victime d’une confrontation directe avec son employeur et de devoir intenter une procédure judiciaire à son encontre.
Actions pénales
La mise en œuvre des dispositions pénales conférant une protection contre la discrimination s’avère compliquée.
En effet, la sanction pénale est le moyen de droit le plus difficile à appliquer. Une action pénale ne vise pas à réparer le dommage subi par la victime de harcèlement, mais à punir l’auteur de la discrimination. Elle sera ainsi un moyen subsidiaire aux actions civiles.
Droit international et régional
Plusieurs conventions internationales ont été adoptées dans le but de lutter contre la discrimination. La Suisse, en qualité d’Etat partie à certaines d’entre elles (la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)) a dû adapter son système juridique de manière à offrir aux citoyens une protection conforme aux instruments internationaux qui ont été ratifiés.
Cependant, dans les relations de travail, l’application des droits fondamentaux garantis par les dispositions internationales est limitée, car elle vise la protection des individus contre l’Etat et non pas la protection des particuliers entre eux.
Une victime de harcèlement au travail a toutefois la possibilité de saisir les instances internationales chargées de la surveillance de l’application des différents traités internationaux pour trancher d’un différend, mais uniquement si elle n’a pas eu gain de cause en dernière instance nationale, à savoir le Tribunal fédéral pour la Suisse.
Accès à la justice : lacunes en droit suisse
Pour conclure, il est malheureux de constater qu’en comparaison avec le reste des pays européens, la Suisse fait figure de mauvaise élève dans le domaine de la protection contre le harcèlement, particulièrement lorsque celui-ci se produit au travail.
La ratification de traités internationaux consacrants divers droits fondamentaux n’a aucun impact sur les relations entre les particuliers. Il incombe au législateur de développer les outils juridiques disponibles dans le droit national afin de garantir une protection optimale pour la victime.
En l’état actuel de la situation juridique suisse, une victime de harcèlement sur son lieu de travail n’a finalement que peu de moyens de droit à sa disposition. Le droit civil ne disposant pas de normes concrètes dans ce domaine et le droit pénal difficilement applicable et offrant qu’une protection subsidiaire représentent les seules solutions de défenses pour les individus malmenés.
Si toutefois une voie de droit finit par être trouvée et qu’une action est ouverte, côté procédural une charge lourde s’abattra sur la victime qui devra non seulement supporter l’essentiel du fardeau de la preuve quant au harcèlement qu’elle a supporté, mais aussi quant au dommage qu’elle a subi si elle espère obtenir une compensation. Elle devra également supporter tous les frais pendant la très longue durée de la procédure.
Dans la même série " Questions choisies en droit suisse " :
Questions choisies en droit suisse – Révision du droit des successions
Selected Issues in Swiss Law – What is Compliance?
Questions choisies en droit suisse – Qu’est-ce que la Compliance ?
Sources :
Code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210)
Loi fédérale complétant le code civile suisse du 30 mars 1911 (RS 220)
Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (RS 822.11)
DUNAND Jean-Philippe, Art. 328 à 328b CO (Protection de la personnalité du travailleur) in Commentaire du contrat de travail , 1ère éd., Berne (Stämpfli) 2013, p. 268-309
DUNAND Jean-Philippe/DREYER Kim, Protection des travailleurs in Introduction aux droits de l’homme , Zurich (Schulthess) 2014, p. 202 ss
Secrétariat d’Etat à l’économie SECO, Commentaire de la loi sur le travail , Berne 2017
WAEBER Jean-Bernard, Le mobbing ou harcèlement psychologique au travail, quelle solution ? in PJA 1998, p. 792 ss
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