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Questions de société avec le communicant scientifique de GBN: Peut-on se passer de l'expérimentation animale ?

Écrit par Marc Turiault
Paru le 27 mars 2013

Le site d'information Geneva Business News vous propose une série d'articles qui illustrent le rôle indispensable des communicants scientifiques : Informer et étonner.

La science génère un savoir complexe peu compréhensible par l'ensemble des acteurs de la société. Les communicants scientifiques sont là pour faire ce pont indispensable entre la science et les citoyens. Chaque jour ils nous racontent des histoires étonnantes qui donnent à rêver sur les merveilles du monde. Cette science, en tant que savoir, n'est pas dangereuse mais ses applications technologiques peuvent être dévastatrices. Il est donc nécessaire d'être bien informé pour être à même de prendre des décisions éclairées en tant qu'électeurs, patients ou consommateurs.

Nul besoin d'être scientifique pour prendre position sur l'utilisation des OGM ou sur l'expérimentation animale, en revanche nous avons besoin de médiateurs scientifiques indépendants, capables d'expliquer simplement le potentiel salvateur ou destructeur de l'innovation.

Après la formation des trous noirs, nous abordons ici le rôle de l'expérimentation animale, souvent décriée.

descartesLégende: René Descartes a développé le concept "d'animal machine", aujourd'hui largement dépassé

C'est l'histoire du petit Nicolas, 5 ans et demi, atteint d'une myopathie de Duchesne, qui rêve devant des millions de téléspectateurs en entendant un chercheur invité sur le plateau du téléthon lui parler de l'immense espoir suscité par ses recherches. C'est surtout l'histoire que je ne vais pas vous raconter parce que la suite tire les larmes trop efficacement et vient troubler le raisonnement. C'est pourtant une méthode utilisée par nombre d'associations de lutte contre l'expérimentation animale. Quand on explore les premiers sites internet fournis par google pour la recherche "contre l'expérimentation animale", de terribles photos apparaissent, allant pour certaines jusqu'à montrer des singes visiblement morts sous la torture. Ce sont là, les travers de la propagande qui privilégie l'exagération et l'émotion à la réflexion.

Et c'est là que doit intervenir le médiateur scientifique. Car ces photos et bien souvent le texte qui les accompagne sont loin de représenter la réalité. D'une part, la commission européenne interdit tout acte de barbarie sur les animaux et les contrevenants, qu'ils soient particuliers ou scientifiques, s'exposent à des peines de prison. D'autre part les singes représentent un vertébré sur 1000 utilisé pour l'expérimentation animale. Une très large majorité de chercheurs en biologie voit leur carrière passer sans avoir croisé le moindre singe, chat ou chien. 80% des études utilisent des rongeurs et nulle barbarie n'est tolérée.

Afin d'encadrer les protocoles expérimentaux par la loi, la commission européenne a défini la règle des trois R que les chercheurs ont l'obligation d'appliquer :

Réduire : pour tous nouveaux projets, l’équipe de recherche doit fournir un protocole détaillé des expériences ainsi qu’une estimation du nombre minimum d’animaux qui seront indispensables à l’obtention de résultats statistiquement exploitables.

Raffiner : choisir un modèle apte à reproduire, le plus fidèlement possible, la pathologie étudiée. Limiter l’angoisse, l’inconfort et la douleur associés aux procédures expérimentales. Aucun résultat fiable ne peut émaner d’animaux en conditions de stress.

Remplacer : utiliser des méthodes de recherche alternatives à chaque fois que cela est possible.

De la même manière que les droits de l'homme ne sont pas toujours respectés en Europe, la situation n'est pas idéale en matière de test sur les animaux et il y aura toujours une photo pour semer le trouble. Photos souvent reprises d'un site d'associations contre l'expérimentation animale à l'autre comme un argument fort mais dont l'origine n'est presque jamais mentionnée.

En conséquence, ce que le public retient des campagnes financées par les associations, ce sont des images qui ne reflètent en rien la réalité de la recherche menée aujourd'hui en Europe et de ce fait discréditent le travail de personnes qui luttent contre les mauvais traitements fais aux animaux. Il y a pourtant une profonde légitimité morale à être contre l'expérimentation animale. Cet article ne vise pas à discréditer ce choix mais à mettre en lumière ses conséquences sur la sphère privée et publique ainsi qu'à exposer les méthodes et les raisons de l'expérimentation animale.

"La recherche pourrait très bien se passer des animaux", voici un argument souvent repris par les opposants à l'expérimentation animale. La médiation scientifique est indispensable : interdire l'usage des modèles animaux bloquerait quasiment l'état des connaissances en biologie animale à son état actuel car les méthodes de remplacement sont trop peu nombreuses ou peu fiables, surtout en toxicologie, pharmacologie ou en recherche fondamentale.

Les principales méthodes alternatives sont les suivantes :

- Utiliser des cultures de cellules rendues immortelles : ces cellules sont très utiles pour identifier les mécanismes biochimiques. C'est une méthode largement employée dans l'industrie pharmaceutique. Cependant les molécules susceptibles de devenir des médicaments sont ensuite testées sur des organismes animaux, bien plus complexes, dont la réaction, notamment hormonale est considérablement plus proche de celle des êtres humains.

- Modéliser à l'aide d'outils informatiques les interactions moléculaires et cellulaires constitue un immense espoir, mais pour le moment cette méthode n'a été la source d'aucune découverte majeure en biologie.

- La toxicogénomique, discipline émergeante qui associe l'utilisation de cultures cellulaires à la modélisation informatique en vue de prévoir la toxicité d'une molécule. Une technique très prometteuse mais actuellement beaucoup moins fiable que les tests sur les animaux.

- Utiliser des cobayes humains sans test préalable sur l'animal ce qui les exposerait à des terribles effets (ce qui est toxique pour l'animal, l'est pour l'homme à de rares exceptions près). Cela paraît difficilement défendable d'un point de vue éthique ou légal.

Un autre argument fréquemment utilisé contre l'expérimentation animale concerne les disparités des effets des médicaments que l'on observe entre l'homme et l'animal. Cela arrive en effet fréquemment car le meilleur modèle pour un homme est un autre homme et même de préférence le même homme ! Mais ce constat ne doit pas masquer le fait que la quasi totalité des connaissances du fonctionnement cellulaire et moléculaire de cette merveilleuse machine qu'est le corps humain, nous vient des animaux. C'est cette connaissance fondamentale qui est la principale source de l'innovation médicale.

Alfred Nobel coin1

Légende: en 2012 le prix nobel de médecine fut remis à deux scientifiques ayant eu recours à l'expérimentation animale

Ainsi, l'expérimentation animale a permis de mettre au point un grand nombre de vaccins à destination des humains (Hépatites A et B, méningites, rage, variole, rubéole, poliomyélite, ...) mais aussi des animaux de compagnie (rage, maladie de carré, leptospirose,...). On lui doit également la maîtrise des techniques chirurgicales réparatrices telles que la chirurgie à cœur ouvert et les greffes d'organes (reins, cœur, foie, ...). L'ensemble des progrès de la médecine a ainsi permis de réduire la mortalité infantile (de 150/1000 en 1900 à 4/1000 en 2011, Suisse) et d'augmenter l'espérance de vie à la naissance (environ 50 ans en 1900 à plus de 80 en 2011, Suisse).

Cependant, malgré les progrès obtenus, il subsiste une grande question de société: est-il moral de sacrifier des vies animales pour sauver la vie du petit Nicolas, handicapé moteur ? Pardon ! Reprenons la formulation pour faire plus appel à la raison qu'aux émotions : Est-il moral de sacrifier des vies animales pour sauver des vies humaines? Là, le médiateur scientifique ne peut qu'apporter une partie des termes de l'équation sans prétendre la résoudre :

- Consommer des médicaments, c'est penser que l'on peut faire le sacrifice d'animaux pour notre santé. Tous les médicaments ayant été testés sur les animaux. Etre contre le sacrifice, c'est se préparer à une moins bonne santé et à vivre moins longtemps.

- Prendre en considération le petit Nicolas d'un côté (ne plus utiliser les animaux condamne ses espoirs de guérison) et les animaux sacrifiés de l'autre.

- En marge de l'équation : à la différence des médicaments, manger de la viande ne permet pas d'augmenter l'espérance de vie, on peut s'en passer. De plus, la viande vient souvent de pays où la législation ne protège pas le bien-être animal. En revanche, pour obtenir des résultats fiables, les laboratoires minimisent le stress des animaux sous contrôle de lois exigeantes. Dans l'échelle d'action à entreprendre pour le bien-être animal il conviendrait donc de commencer par se convertir au végétarisme.

Notons que globalement le monde occidental subit toujours l'influence de la pensée émise par Descartes : "lorsque l'on donne un coup de pied à un chien, le bruit que l'on entend n'est pas l'expression de sa souffrance mais la résonnance de sa mécanique interne en réponse au choc". Son influence fut terrible. Heureusement, les recherches scientifiques menées sur des animaux ont montré que les circuits de la nociception (perception d'un stimulus douloureux) sont particulièrement bien conservés au cours de l'évolution. Les animaux souffrent et les molécules analgésiques, telles que la morphine soulagent autant les rats que les hommes. Ces résultats ont conduit à une forte prise de conscience de la souffrance animale et à l'établissement de règles que les laboratoires ont désormais obligation de respecter. Ainsi, la protection animale préoccupe la communauté européenne qui a interdit en 2009 les tests de produits cosmétiques sur les animaux, excepté pour les tests de toxicité de longue durée, qui eux seront bannis au cours de l'année 2013. Dès lors, les animaux ne seront utilisés que dans le cadre d'expériences ayant pour but de faire avancer la recherche sur des maladies qui touchent l'homme et l'animal.

memorial

Enfin, nous devrions peut-être nous inspirer d'un pays qui n'a pas connu Descartes : le Japon, où l'expérimentation animale est vécue d'une toute autre façon. Elle s'inscrit dans une vision Shintoïste où chaque année le personnel des laboratoires vient se recueillir devant une stèle lors d'une cérémonie de remerciement aux animaux sacrifiés pour le bien-être de l'homme. Une approche qui pourrait avoir, en occident, un impact fort sur la façon dont sont traités les animaux, y compris les animaux de compagnie.

Légende: mémorial pour les animaux de laboratoire de l'Institut National des Sciences Radiologiques au Japon

Sources :

- Quatrième rapport sur les statistiques concernant le nombre d'animaux utilisés à des fins expérimentales et à d'autres fins scientifiques dans les États membres de l'Union européenne

- The Principles of Humane Experimental Technique  - W.M.S. Russell et R.L. Burch, Johns Hopkins University

- Current status of memorial services for laboratory animals in Japan: a questionnaire survey.

Nishikawa T, Morishita N., Exp Anim. 2012;61(2):177-81.

- Wikimedia

Crédit Photo : Journal of Exp Animale, 2012.

 

 

 

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