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Qui sont-ils, ces humanitaires?

Écrit par Martin Damary
Paru le 11 mars 2014

Bon-Humanitaire

Qui sont-ils, ces humanitaires dont on parle chaque fois qu’une crise militaire ou un désastre naturel frappe notre planète ? Qu’attendons-nous d’eux ? Quelles sont leurs compétences, qu’ont-ils dans le ventre et dans la tête ? Quels sont les règles et les principes qu’ils appliquent au quotidien dans leur métier ?

Nous voulions mieux comprendre et faire comprendre cet environnement, qui peut parfois sembler si différent du monde du travail local ou de celui des multinationales. Qu’est-ce qui fait un bon humanitaire ? Quels sont les professions dans l’humanitaire ? Quels sont les perspectives d’avenir ? Pouvons-nous mieux cerner cette profession, cet univers ?

 

Les principes fondamentaux de l'action humanitaire: une perspective personnelle

Le Mouvement international de la Croix-rouge et du Croissant-rouge a adopté sept principes fondamentaux: humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité, universalité. De manière plus générale, les organisations humanitaires sont sans doutes unanimes lorsqu'elles proclament respecter au moins quatre des ces principes: humanité, impartialité, neutralité, indépendance.

Ces principes ont abondamment été expliquées et commentées – par exemple, dans cette brochure du CICR. Notre objectif ici est d'examiner ce que les quatre principes de base signifient pour un acteur individuel de l'humanitaire, tel que vécu dans son quotidien.

Humanité

Comment regarder l'Autre? Qui est l'Autre? Vivre et travailler selon le principe de l'Humanité, c'est se reconnaître dans cette appartenance commune, malgré les différences parfois évidentes. Qu'est ce qui me relie à un meurtrier, qui a tué un rival? Ou à un extrémiste, dont les objectifs idéologiques, la haine exprimée, et les moyens de lutte sont contraire à mes valeurs humanistes? Ou un interrogateur sans visage, qui laisse des séquelles visibles ou invisibles sur ses victimes, au nom de la sécurité?

"Humanité" peut se traduire par quelques actes simples, directs. Par exemple, essayer d'accéder à la dernière des victimes, celle qui passe inaperçue, celle qui aurait pu n'être qu'une statistique, mais qui est peut-être celle qui souffre le plus. Ou alors chercher dans mon interaction avec ce gardien de prison une humanité commune, cette humanité qui fait que lui aussi, se sent responsable du détenu. Des actes simples, mais on ne réussit pas chaque fois à pouvoir (ou même à savoir comment) établir ce contact humain.

Impartialité

Ce principe découle du précédent. Pour beaucoup d'acteurs humanitaires, la clef est d'oublier les distinctions que nous faisons, pas sans raison, en cas de conflit. C'est sans doute un truisme de dire que nous sommes tous et toutes des "victimes". Le bourreau, le politicien, le soldat, l'humanitaire : nous avons tous notre rôle à jouer, mais nous sommes tous, sans exception, victimes du conflit armé, tout en étant acteurs. En d'autres termes, il n'y a pas que les civils que nous devrons assister et protéger.

Dans le métier de spécialiste de la protection humanitaire, il est souvent nécessaire de faire des choix entre les victimes. Les moyens ne sont pas illimités. Ce choix, nous devions l'opérer sur un critère simple : celui du besoin. Parfois ce choix nous est imposé. Par exemple, nous savons que dans la prison que nous inspectons, les autorités nous cachent des détenus, nous cachent leur présence, leur identité, leur existence. Ce sont vraisemblablement eux qui ont le plus grand besoin. Que faire : accepter la situation et n'aider que ceux qui n'étaient pas cachés, ou tout arrêter pour engager un bras de fer avec les autorités détentrices? Dans des situations pareilles, le principe d'impartialité prend toute sont importance  –et c'est là où il est le plus difficile à appliquer.

Neutralité

Ne pas prendre part aux conflits dans lesquelles nous œuvrons, ne pas exprimer de sympathie pour une cause ou une autre, faire preuve de retenue et de discernement en toutes circonstances: la théorie pourrait sembler facile.

Dans la pratique, l'humanitaire se retrouve souvent face à des abus commis par une partie (au nom d'une cause) sur des victimes issues de l'autre partie. Pour prendre un cas extrême, un génocide est à la fois une violation massive des principes les plus élémentaires, et un moyen de lutte sans pitié. Comment l'acteur humanitaire peut-il condamner, lutter contre, ce génocide, et venir en aide à ses victimes, sans perdre sa neutralité? D'ailleurs, peut-il ou elle vraiment agir avec impartialité dans ce cas ou des situations semblables?

Il est souvent difficile de faire abstraction de notre propre identité, ou plutôt, de convaincre l'Autre de nous accepter malgré nos bagages et notre "identité", qu'ils soient éthiques, politiques, religieux, ethniques ou autres. Même si nous restons neutres, l'acteur armé peut-il nous voir et nous accepter comme tel? Nous savons que ce n'est souvent pas le cas. Nous savons que notre action peut, dans de nombreuses circonstances, avoir un effet sur le conflit armé. Le soldat blessé qui est soigné et qui repart combattre, la population qui est nourrie et qui partage sa nourriture avec les hommes armés, ces cas sont souvent cités. Toutefois, en conjuguant la neutralité avec humanité et impartialité, ainsi qu'une bonne dose d'intelligence politique, l'acteur humanitaire doit pouvoir rester en dehors du conflit…si l'Autre est capable de le voir, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Indépendance 

Ce principe fondamental est crucial pour les organisations humanitaires. Pour celui qui y travaille, s'il veut agir avec humanité, impartialité et neutralité, l'indépendance est une garantie d'action efficace.

Pourtant, l'employé ou le volontaire n'est pas indépendant. L'organisation au nom de laquelle il œuvre lui demande sa loyauté, et dans certaines organisations, cette loyauté est fortement privilégiée. En intégrant un organisme humanitaire, l'acteur acquiert sa méthodologie, intègre les principes de bases, et reçoit les moyens de son action en faveur des victimes. Le contrat qui lie cet acteur à l'organisation est capital, mais pourtant, l'indépendance est aussi un principe fondamental pour l'acteur individuel. L'indépendance de sa pensée et la capacité de juger chaque situation en fonction des besoins des victimes –sans être aveuglé par sa loyauté, sans se laisser embrigader par des solutions toutes faites ou des comportements collectifs–telle est l'indépendance dont un humanitaire doit faire preuve.

Conclusion 

Quatre principes qui se complètent, qui se complimentent, qui se renforcent mutuellement; quatre principes qui forment la base de la réflexion et l'action humanitaire. Ces principes sont en effet fondamentaux, ils sont toujours présents, ils nous accompagnent, nous habitent, nous inspirent. Pour chacun de nous, acteurs humanitaires, ils sont traduits au quotidien dans notre travail. Sans eux, l'humanitaire serait vidée de son sens.

Pourtant ce ne sont que des principes, ce ne sont pas des règles ou des lois. Ils peuvent paraître un peu abstraits, théoriques. Leur importance peut, surtout en début de carrière, sembler relative: n'est-il pas plus important de comprendre et d'appliquer le "do no harm" ou de savoir mettre ensemble les composantes textuelles et budgétaires d'un projet? Mais à quoi sert une stratégie savamment élaborée, si elle ne prend pas en compte ces principes fondamentaux qui nous accompagnent et qui nous inspirent, qui guident nos actions et nos réflexions?

Photo credit: Martin Damary

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