Siège du CICR - Genève
Nous avons rencontré Daniel Glinz, responsable de l’unité "Learning Delivery" (Apprentissage et développement) au sein du Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Passionné par le contexte humanitaire, il nous a expliqué en quoi consistait son activité au sein de cette unité et quelles sont les spécificités liées à un environnement de travail humanitaire.
Quel est votre parcours professionnel ?
Après avoir obtenu la maturité gymnasiale suisse, je suis parti à Amsterdam où j’ai étudié, durant deux années, le Sanskrit, l'Hindi et l’Histoire de l’art indien. Je trouvais ces études un peu abstraites et, comme je m’intéressais depuis longtemps au chinois, j’ai bifurqué vers des études de sinologie ; c’est-à-dire l'apprentissage du chinois moderne, classique ainsi que l’histoire de la Chine en me spécialisant sur la pensée chinoise.
En 1981, j’ai décroché une bourse d’étude et je suis parti en Chine. Il est important de rappeler qu’à cette époque il y avait encore la Révolution culturelle et que par conséquent le niveau des écoles était mauvais. Lassé par cela, j’ai saisi l’occasion de voyager et découvrir le pays. En parallèle à cela, j’écrivais des articles pour le "Journal de Genève", en correspondance libre. Quelques années plus tard, j’ai postulé au CICR avec l’appui de personnes travaillant pour la délégation de Hong Kong du CICR. J’ai finalement été engagé en tant que délégué débutant pour des missions au Koweït, au Sri Lanka et à Hong Kong. Cependant, après six ans d’activité, j'ai décidé de quitter cette organisation avec le sentiment que mes connaissances du continent asiatique n’étaient pas exploitées au maximum. Toutefois, assez rapidement ; c’est-à-dire trois mois après ma démission; je me suis réengagé au CICR car il recherchait du personnel pour une mission précise en Inde. En 1997, j'ai décidé de revenir à Genève en commençant par donner des cours de géographie asiatique à " l’Ecole-Club Migros ". D’ailleurs, il s’agissait-là de ma première expérience en tant que formateur d’adultes. En parallèle à cette activité, j’ai de nouveau proposé mes services au CICR mais en tant que consultant externe sur la thématique « Comment approcher les personnes d’une autre culture ? ».
Étant donné que j'avais d'excellentes connaissances de l'espagnol, le CICR m'a proposé, en 2001, un poste de formateur pour l’Amérique Latine. Durant une année et demie j’ai donc été responsable de toute la formation du personnel du CICR dans cette région du monde. Avec le temps, mon poste a évolué et j'ai été nommé formateur pour le continent asiatique, basé à Colombo, où je suis resté deux ans. En 2005, le CICR m’a proposé le poste de chef adjoint de la délégation régionale du Mexique et des pays d’Amérique centrale. Même si ce poste n’était pas en lien avec la formation, il m’a permis d’apprendre beaucoup de choses concernant le management des opérations. Deux ans plus tard, le chef de l’Unité de la Formation à Genève m’a proposé de réformer complètement le cours d’intégration des nouveaux collaborateurs. Je suis donc resté, durant quatre ans, à la tête de ce projet. Toutefois, en parallèle à cette activité, je me suis formé au Brevet Fédéral de Formateur d’Adultes. A présent, depuis le mois de mars 2012, je suis en charge de l’unité « Learning Delivery » du CICR.
De quelle façon avez-vous décroché votre premier emploi ?
En vue de décrocher mon premier emploi, j’ai commencé par contacter une dizaine d’entreprises multinationales notamment le CICR. Dans mes lettres de motivation, je mettais en avant mon diplôme de sinologue en tentant de leur expliquer que j'étais la personne idéale dans le cas où les institutions souhaitaient développer leurs activités en Chine. Malheureusement, ma façon de procéder n’était pas la bonne car je n’avais obtenu que des réponses négatives. En effet, je mettais principalement en avant mes diplômes et non mes compétences ou mon expérience.
Étant donné qu’à cette période le tourisme chinois commençait gentiment à se développer, j’ai décidé de contacter diverses agences de voyages. En effet, ma maîtrise de la langue chinoise ainsi que mes connaissances de ce pays faisaient de moi un candidat idéal en qualité de guide touristique. C’est donc de cette façon que j’ai décroché, en 1983, mon premier emploi en tant que guide conférencier pour une agence de voyage. Durant huit années consécutives, mon activité consistait à guider des touristes fortunés à travers différents pays d’Orient, notamment en Chine, au Japon, en Inde, au Tibet et en Ouzbékistan.
En quoi consiste concrètement votre activité au sein du CICR ?
En tant que responsable de l’unité « Learning Delivery », je suis en charge de la coordination de l’ensemble des formateurs qui dispensent des formations transversales. Nous entendons par cela le programme d'intégration des nouveaux collaborateurs, ainsi que des cours de parole en public, de formation de formateurs ou encore de gestion d'équipe. La majeure partie de mon équipe se trouve sur le terrain. En effet, nous avons quatre centres principaux sur le terrain: à Bangkok, Bogota, Nairobi et Amman.
Il s'agit pour moi de coordonner les activités de ces quatre centres et d'essayer de proposer un système global de formations transversales. En tant que responsable de cette unité, mes activités quotidiennes sont principalement de l’ordre de la gestion. En effet, je gère un grand nombre de formateurs et m'occupe de tout ce qui touche à la gestion des ressources humaines de mon unité, notamment les demandes de congés, le remplacement du personnel ou encore les appréciations des collaborateurs. Cependant, de temps à autre, je suis également amené à donner des formations sur le thème de la communication transculturelle, qui reste mon domaine spécialisé ou alors à remplacer des formateurs absents en donnant le cours à leur place.
Quelles sont les différentes professions représentées au sein de votre unité ?
Mon unité dépend de la Division « Learning & Development » (Apprentissage et développement), dont la mission est d’accompagner le développement des compétences professionnelles des collaborateurs du CICR. A Genève, notre unité se compose de deux formateurs en charge de l’animation des cours et de deux administratrices de cours, qui gèrent toute la partie logistique des formations. Dans la Division nous avons également deux personnes en charge de ce que l’on appelle « Learning Solutions ». Il s’agit pour elles de gérer toute la partie e-Learning, plateforme d’apprentissage, Blended Learning et nouvelles technologies. Enfin, la troisième unité de notre division s’occupe du développement organisationnel. En effet, elle est en charge de la transformation et des changements structurels alors que l'unité "Learning Delivery" s'occupe plutôt du développement des compétences des collaborateurs. Cette unité collabore également avec des coachs certifiés chargés d’accompagner individuellement les collaborateurs en cherchant avec eux des solutions d’apprentissage personnalisées.
Quelles étaient vos motivations à rejoindre le CICR ?
Mes motivations étaient de deux types : d’un côté, il y avait les motivations "politiquement correctes" et, de l’autre côté, il y avait toutes les autres. Il est vrai que devant l’injustice du monde je souhaitais faire quelque chose qui avait du sens en venant en aide à autrui. Mais en même temps, je souhaitais me placer dans des situations difficiles pour apprendre à mieux me connaître. Il était donc important pour moi de pouvoir concilier ces deux aspects.
Après avoir découvert le métier de formateur, je dois avouer que mes motivations ont un peu changé car à présent je souhaite avant tout partager des connaissances et des savoirs. Toutefois, durant toutes ces années, la motivation première qui m'a poussée à m'engager et à me développer professionnellement au sein du CICR était la curiosité. L’envie de découvrir l’autre, ses activités, ses difficultés et ses motivations m’ont donné la volonté de m’orienter et de rester toutes ces années au sein de cette institution.
Y a-t-il des critères d’engagement particuliers pour travailler au CICR ?
Effectivement, il y a quelques critères à remplir pour entrer au CICR. Je dirais qu’il est impératif d’avoir terminé des études secondaires, universitaires ou équivalantes, d’avoir effectué au moins deux années de mission sur le terrain et d'être multilingue. En plus de cela, il faut bien entendu avoir une vocation humanitaire et aimer le travail en équipe. Viennent également s’ajouter à ces critères des qualités personnelles telles que la flexibilité, le sens de l’entregent et de l’adaptation, l'organisation, la responsabilité, ainsi que de bonnes capacités d’analyse et de rédaction. Il est vrai qu’au sein du CICR, les critères d’engagement sont assez exigeants car nous avons absolument besoin de personnes responsables et débrouillardes.
Pouvez-vous me décrire une journée-type en tant que responsable d’unité ?
Il n’y a pas vraiment de journée-type dans mon métier. Toutefois, pour vous donner un petit aperçu de mon activité quotidienne, je vais prendre l’exemple de ma journée d’aujourd’hui.
Ce matin, en l’absence de ma cheffe, j’ai été amené à animer la réunion hebdomadaire de notre division. Suite à cela, j’ai lu quelques rapports de terrain et j’ai participé à quelques réunions avec des formateurs du CICR. Dans la matinée, j’ai également eu deux rendez-vous téléphoniques par vidéoconférence avec des collaborateurs sur le terrain. Finalement, ma matinée s’est terminée par la préparation en anglais d’un cours que je donne sur la communication transculturelle.
Il est vrai que mes journées se composent principalement de réunions de groupes de travail, de réunions bilatérales, de gestion d’équipe ainsi que de supervision. Toutefois, de temps à autre, je suis tout de même amené à me déplacer à l’étranger. La semaine passée, par exemple, j’étais à Nairobi en tant que "formateur-inspecteur". Il s’agissait pour moi d’observer de quelle façon était coordonnée la formation sur place.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes désireuses d’entrer à la Division « Learning & Development » (L&D) du CICR ?
Si un individu souhaite travailler à la Division L&D, il faut impérativement qu’il possède une expérience métier sur le terrain. Certes, il nous arrivait d'engager des formateurs n’étant pas issus du terrain, mais ils donnent seulement des formations pour lesquelles une expérience des opérations n’est pas indispensable, comme par exemple « parler en public » ou encore « l’efficacité personnelle ». Cependant, pour dispenser des cours liés au terrain et avoir une certaine crédibilité face aux participants, il est indispensable d’avoir, au moins une fois dans sa vie, distribué des sacs de farine à une population isolée ou encore d’avoir visité une prison. La voie normale pour entrer au CICR est de s'engager environ deux ans sur le terrain avant d’occuper un poste au siège, à Genève. Je dirais donc aux personnes désireuses d’entrer au Service de formation de commencer par une expérience terrain.
Quelles qualités principales doit posséder le candidat désireux d’entrer au CICR ?
« Je dirais que la "mère" de toutes les compétences est la communication interpersonnelle ». Pour pouvoir communiquer avec autrui, de manière adéquate, il faut d’abord une certaine connaissance de soi. J’ajouterais à cela qu’il est primordial d’apprécier le travail en équipe, d'avoir le sens de l’entregent et une capacité analytique avérée. Par ailleurs, posséder une certaine sensibilité, de l’humilité et être flexible sont des qualités importantes. Pour terminer, j’ajouterai qu’il est indispensable d’avoir une intelligence émotionnelle. C’est-à-dire d'être capable de ressentir l’humeur d’un groupe, leur énergie et de pouvoir capter les signaux non-verbaux qui en ressortent.
Selon vous, le manque d’expérience est-il un frein pour l’accomplissement des tâches au quotidien ?
Je dirais même que c'est tout le contraire! « Quelqu’un de jeune à une longue vie devant lui mais peu d’expérience, alors qu’une personne plus âgée à une courte vie devant elle mais beaucoup d’expérience ». Je pense que nous pouvons apprendre énormément les uns des autres. Les seniors ont l’habitude de la pratique, alors que les plus jeunes possèdent les toutes dernières connaissances théoriques et apportent un regard neuf à l’institution. Certes, ils avancent probablement plus lentement qu’une personne expérimentée, mais cela n’est, d’après moi, pas un aspect négatif car ils obligent toute l’équipe à ralentir et à se questionner. Le débutant, s’il a la capacité de poser les bonnes questions et de défier un peu les pratiques tout en restant modeste, peut bousculer les pratiques de l’institution et apporter une nouvelle vision. Toutefois, de leur côté, l’entreprise et l’équipe doivent être en mesure d’accepter ces changements potentiels. Pour terminer sur cette question, je conclurais en disant que dans le monde de la formation, le manque d’expérience est peut-être même un aspect positif, une plus-value.
Si je vous dis « réseau », que vous évoque ce terme ?
« Aujourd’hui, construire un réseau est devenu un travail en soi ». D’après moi, le réseau est la chose la plus naturelle au monde car nous en possédons tous au moins un ; que se soit la famille, les amis, les collègues de travail ou toutes autres connaissances. De nos jours, en Occident, nous avons un peu perdu les réseaux naturels. Cela s’explique par le fait que nous n’avons plus besoin du grand-père pour nous présenter à son patron en vue d’un engagement. Par ailleurs, la majorité de la population est laïque et donc les rencontres au sein des lieux religieux se font plus rares. Ou encore, de nos jours, appartenir à une chorale n’est plus moderne donc nous ne faisons plus parties de tels groupes. D’après moi, de précieux réseaux ont été perdu avec cette évolution de notre société.
Quel est le meilleur moyen de développer son propre réseau ?
Il faudrait principalement avoir le réflexe de partager les informations avec les personnes que l’on rencontre et ne pas se fermer des portes inutilement. Nous n’en sommes pas toujours conscients, mais faire partie de multiples réseaux et s’ouvrir aux autres est un bon moyen d’élargir son propre réseau. Il s’agit également de se faire connaître en prenant part à des événements où des échanges sont possibles. Au CICR, par exemple, nous avons plutôt tendance à nous renfermer dans notre propre réseau et ne pas chercher à en intégrer d’autres. D'après moi, cette façon de penser et de procéder n’est pas forcément la meilleure façon de procéder.