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Schizophrénie rédactionnelle : s’essayer à l’essai

Écrit par Romain Chevallier
Paru le 7 février 2017

essaiCe que vous êtes sur le point de lire est tout à fait à part de la ligne éditoriale usuelle de Geneva Business News. Que la longueur ou l’apparence de celui-ci ne vous décourage en rien : laissez-vous emporter par cette histoire, composée de cinq articles rédigés dans des styles différents et publiés sous forme d’épisodes. Chaque partie viendra préciser la précédente, alors n’en manquez pas une miette !

De tous temps, les écrivains ont été considérés comme des êtres à part, des originaux pas tout à fait sains d’esprit, mais ayant la faculté peu commune de rendre lisible ce que beaucoup – eux les premiers – seraient incapables de rendre audible. Comment est-ce possible ? Est-ce inné, une sorte de don du ciel  ? Un diplôme universitaire est-il nécessaire pour être crédible dans le milieu littéraire ? Est-il encore possible de ne pas plagier, après tous ces siècles de production incessante ? À l’heure d’internet, l’écrivain n’est-il pas obsolète ?

L’activités d’écrivain, c’est un peu comme croire en Dieu : travailler sans relâche à la poursuite d’un but vague, lui-même défini par des règles sujettes à interprétation. Comme un prêtre, un imam ou un rabbin, un auteur passe un temps considérable à bouquiner. En effet, cela n’a rien d’inné – même si nous hériterions, selon Schopenauer, des qualités intellectuelles de notre mère   – et requiert un entraînement constant. Qu’il s’agisse d’améliorer notre orthographe, notre grammaire ou notre vocabulaire, il n’est de meilleur moyen que la lecture ; comment lier l’utile à l’agréable plus simplement ? Précision qui ne paie pas de mine, mais qui revêt tout de même une importance considérable : un imam en devenir n’apprendra pas sa religion en lisant le Nouveau Testament, comme un prêtre en formation n’apprendra pas la sienne grâce au Coran. Il est donc capital de privilégier autant que faire se peut les œuvres en version originale ou, pour paraphraser, éviter la littérature traduite.

Arrive ensuite le problème de l’univers, et avec lui la capacité de l’auteur à en envelopper le lecteur, faire en sorte qu’il ne veuille pas en sortir, tout en évitant de faire du neuf avec du vieux. Là se situe, certainement, la difficulté la plus compliquée à surmonter. Il est possible pour l’écrivain – comme il serait théoriquement possible pour le monde qui nous entoure – d’avoir plusieurs univers parallèles mais cela n’est pas sans danger ; les mélanges ne peuvent aboutir qu’à deux résultats : très bon ou très mauvais ; il n’y a pas d’intermédiaire.

Quant à l’histoire – dans son sens « récit » – elle-même, il est préférable qu’elle soit un pur produit imaginatif et non un récit autobiographique (surtout pour les auteurs neufs) : « Les contes de fées n’existent que dans les contes de fées. La vérité est plus décevante. La vérité est toujours décevante, c’est pourquoi tout le monde ment. »
Même si tout écrivain laisse transparaître, dans ses ouvrages, quelques-uns de ses traits de caractère – ou physiques – au travers d’un ou l’autre de ses personnages, il est rare que soit racontée avec exactitude dans son livre la vie de l’auteur. Il existe évidemment quelques exceptions, sans quoi la littérature aurait quelque chose d’exceptionnel en soi, d’irréel, mais celles-ci concernent la plupart du temps des artistes confirmés qui, même s’ils n’ont rien à dire ou n’ont rien vécu de foncièrement palpitant, arrivent à nous garder auprès d’eux alors qu’ils nous racontent le divorce de leurs parents, du bruit que font les essuie-glaces d’une voiture aux sièges en cuir et de l’adresse à laquelle ils se rendaient, avec cette auto, dans les années septante .

La longueur du récit est, souvent, un sujet de crainte chez l’écrivain néophyte. Il est d’une importance capitale de ne pas se focaliser là-dessus, de ne se fixer ni plancher ni plafond ; un texte est comme un enfant : sa taille adulte est définie dès le stade embryonnaire mais ne sera connue de tous qu’une fois la maturité – dans son sens physique – atteinte. Comme un enfant qui apprendrait à l’âge de trois ans qu’il était atteint de nanisme ou qu’il culminera bien au-dessus de deux mètres (ce qui implique a priori que certaines voies professionnelles lui seront inaccessibles, et forcerait l’enfant à suivre un chemin défini, au mépris de ses désirs les plus profonds), l’établissement de limites volumiques à son ouvrage apparaîtra vite comme une bride à la créativité.

Il est encore, pour terminer, un détail important : le titre. Si chacun travaille selon sa propre technique – laquelle se développe et se modèle avec la pratique – il est généralement plus judicieux de ne pas articuler le récit autour d’un titre, et ce pour plusieurs raisons. Primo, une œuvre pré-titrée vous astreindra à suivre une ligne précise, sans trop de marge de manœuvre. Secundo, il sera plus aisé de trouver un titre accrocheur, intimement lié à l’histoire, si vous avez fini d’écrire. Tertio, chercher un titre pendant trop longtemps, même si vous finissez par en trouver un qui vous convienne, peut s’avérer néfaste – voire dévastateur – pour votre inspiration, et donc produire l’inverse de ce que vous escomptiez.

Le plus important, maintenant, il ne faut en aucun cas – je dis bien : en aucun cas – vouloir publier dans l’optique de faire fortune. D’abord parce que la désillusion, lorsqu’elle vous frappera, sera diablement douloureuse (pour ne pas dire insupportable) et, ensuite, car l’écriture doit rester une passion avant tout ; l’appât du gain, lui aussi, rendra votre littérature mauvaise.

Notes :

On pourrait substituer ce terme par « travail », mais certainement pas « métier », par manque d’utilité à la société économique.
« Métaphysique de l’amour »
F. Beigbeder, L’amour dure trois ans
F. Beigbeder, Un roman français, « Divorce à la française »

Crédit photo : LaCozza via fotolia.com

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