Cet article vient compléter la série d’articles à caractère juridique sur de nombreux thèmes d’actualité. Celui-ci ne traitera que des legs concernant les droits d’accès numériques, car le droit de la succession comporte un grand nombre de matières. De plus, cet article suggère au lecteur un panel de conseils afin de mieux préparer son départ pour l’au-delà et ne traite pas la question de manière exhaustive.
Comme dit l’adage « la mort est certaine, son heure incertaine », il est donc préférable de prévoir autant que possible sa succession matérielle et, à l’ère d’internet, sa succession numérique. En effet, en cette époque des réseaux sociaux, la plupart des personnes possèdent un compte Facebook, Twitter, Google ou LinkedIn, entre autres. Ces dernières ne pensent souvent qu’au sort de leurs biens physiques en cas de décès et oublient de prévoir le sort de leurs données numériques, comme les droits d’accès d’un compte mail ou d’un réseau social. Prévoir sa succession numérique, c’est éviter à ses proches un long et dur combat pour obtenir le contenu et la suppression des données contenues dans un profil d’un réseau social ou d’un compte mail. En effet, ces sociétés sont souvent hébergées à l’étranger et dès lors, c’est le droit du pays hébergeur qui s’applique. De ce fait, l’obtention du contenu et la suppression d’un compte auprès de ces sociétés se révèlent parfois difficile.
Législation suisse
Le droit des successions suisse ne dispose d’aucune disposition spécifique en ce qui concerne les données numériques du défunt. Conscient qu’il existe une lacune en droit suisse, le conseiller national Jean-Christophe Schwaab a déposé un postulat au Conseil National le 24 septembre 2014 invitant le Conseil Fédéral à évaluer l’opportunité de compléter le droit des successions suisse dans le domaine des données personnelles et numériques du De Cujus (défunt) ainsi que de la mort virtuelle. Ce postulat a été accepté par le Conseil National et Fédéral et il est actuellement inclus dans les projets qui doivent être analysés par notre gouvernement.
Dans l’attente d’une nouvelle législation, il faut composer avec les dispositions générales du droit actuel afin de prévoir sa succession numérique. Qu’un testament soit rédigé en la forme olographe (art. 505 et suivants Code Civil suisse, ci-après : CC) par la personne elle-même ou en la forme authentique auprès d’un notaire (art. 499 et suivants CC), il est judicieux de prévoir une annexe au testament en instituant un legs au sens des articles 484 et suivants CC, pour tout ce qui concerne les données numériques. Le legs consiste à octroyer vos accès numériques (mots de passe et identifiants pour chaque compte) à un bénéficiaire qui peut être un héritier légal (art. 457 et suivants CC) ou une autre personne de votre choix. Il est également primordial de prévoir comment le bénéficiaire désigné doit exécuter les données, par exemple, supprimer les comptes des réseaux sociaux, supprimer les mails ou restreindre l’accès à certaines personnes afin que les données sensibles du défunt soient protégées.
Prestataires de services
Un autre moyen non juridique subsiste pour régler sa succession numérique. Celui-ci consiste à faire appel à un prestataire de services pour constituer une sorte de testament en ligne. Par exemple, SecureSafe, qui est une entreprise suisse, propose de déposer non seulement les mots de passe et identifiants, mais également toute donnée numérique (vidéos, photos, etc.) que le défunt désire transmettre à ses proches. Pour ce faire, l’usager dépose les accès et données numériques auprès de cet organisme. Ensuite, il nomme un bénéficiaire (famille, proche, ami) qui recevra un code d’activation par e-mail. Il pourra, au moment du décès, activer ce code pour accéder aux données du disparu. Dans ce cas aussi, il est préférable d’édicter des instructions quant au sort des données déposées auprès du prestataire de services.
De manière semblable, il existe un autre prestataire de services américain, PasswordBox, qui fournit le même service que SecureSafe, à la différence que le bénéficiaire désigné ne reçoit pas un code d’activation, mais doit prouver que le propriétaire des données est décédé pour avoir accès à ces dernières.
Processus par réseau social
Faire un testament ou un appel à un prestataire de services engendre un certain coût financier. Dès lors, un autre moyen gratuit et efficace est de modifier les paramètres des réseaux sociaux afin de léguer, lorsque cela est possible, les accès à une personne de confiance de votre choix.
Facebook offre deux possibilités dans ses paramètres de confidentialité pour gérer son profil dans le but d’éviter que son profil ne devienne un profil fantôme. La première possibilité est de mettre en place un compte commémoratif en désignant un contact légataire. Ce dernier ne pourra pas publier au nom du De Cujus mais aura accès à son compte pour y publier la date et le lieu d’inhumation ou partager des souvenirs. Le contact légataire reçoit un e-mail lorsque le défunt, de son vivant, l’a institué comme légataire. Il est judicieux d’informer son contact sur les dernières volontés en matière de données personnelles, comme les détruire ou restreindre l’accès à certaines personnes. La deuxième possibilité est de cliquer sur l’onglet « suppression de compte en cas de décès » et c’est aux proches qu’il incombera de prouver la mort du propriétaire du profil pour que Facebook le supprime.
Le groupe Google propose, d’une part, à ses utilisateurs de configurer leur compte sous l’onglet « gestionnaire de compte inactif » de sorte que le compte soit supprimé après un certain temps d’inutilisation (3, 6, 9 ou 12 mois). C’est à l’utilisateur qu’il incombe le choix de cette durée. Afin d’éviter que les comptes ne soient supprimés pendant une longue période d’inutilisation sans que l’usager ne soit décédé, Google envoie un message d’alerte par téléphone au propriétaire du compte et si ce dernier ne répond pas, son compte sera supprimé après le délai fixé lors de la configuration dans le gestionnaire du compte inactif. Google suggère, d’autre part, une solution qui est de nommer un ou plusieurs contacts qui pourront récupérer ou détruire les informations (y compris le compte), selon les instructions du client.
En ce qui concerne LinkedIn, ce dernier ne présente aucun moyen de léguer ses droits d’accès à des proches. Si la personne décédée n’a pas établi un legs ou fait appel à un prestataire de service pour ses droits, l’unique solution qu’il reste pour les proches est de remplir un formulaire de contact ainsi que de produire les informations indiquées dans le formulaire.
De la même manière, Twitter accorde aux proches la possibilité de remplir un formulaire pour demander la suppression du compte du trépassé, mais aucun contenu ne leur sera octroyé. De plus, ces derniers doivent prouver leur lien de parenté avec le défunt et fournir des informations sur le compte du disparu.
Pour conclure, le droit suisse actuel n’offre aucune disposition spécifique concernant le sort des accès numériques, en particulier pour les réseaux sociaux. Du fait que de nombreux profils fantômes errent sur la toile, cela engendre un malaise pour les proches de voir défiler des notifications du profil d’un proche décédé. C’est pourquoi, chaque personne devrait prendre le temps, soit de faire un legs dans son testament ou de faire appel à un prestataire de service, soit de régler les paramètres de confidentialité de chaque compte de son réseau social, dans le but que les proches aient accès et puissent, le cas échéant, supprimer le compte en question.
Cet article sera complété par un interview de la part de la Chambre des notaires genevoise afin d’étaler la pratique des notaires genevois en ce qui concerne le legs des données numériques en général.
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