Terres rares: des enjeux économiques, technologiques et environnementaux

Souvent appelés « germes de la technologie » par les Japonais ou « métaux technologies » par le département de l’énergie américain, les terres rares sont les éléments indispensables du monde moderne. Ils sont présents dans de nombreux matériaux qui se retrouvent dans des domaines aussi variés que la haute technologie, l’énergie, la médecine, ou encore la défense.

En raison de leur importance, les terres rares sont au centre des désaccords économiques et politiques entre la Chine, (90% de la production mondiale), les Etats-Unis, l’Europe et surtout le Japon, dont l’économie repose pour beaucoup sur la haute technologie. Depuis 2005, la Chine a mis en place une série de mesures visant à réduire l’exportation de terres rares dans le but de protéger ses ressources et d’inciter les usines à s’implanter sur son territoire. En 2010, l’exportation de terres rares a été réduite de 40% par rapport à 2009. En conséquence, la valeur des terres rares a fortement augmenté (+600%, voire +900% pour certains métaux). Cette envolée, ainsi que les mesures prises par la Chine ont causé un véritable électrochoc chez les pays consommateurs. Conscients de leurs dépendances à la Chine et des dangers que cela pourraient représenter pour leur économie respective, certaines grandes puissances songent à relancer une production locale, soit par l’exploitation minière, soit en développant le recyclage. Les terres rares sont ainsi devenues des métaux hautement stratégiques pour l’économie mondiale.

Début janvier 2015, la Chine a mis fin aux quotas d’exportation sur les terres rares suite à une condamnation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces quotas seront remplacés par un système de licences aux producteurs chinois, autorisant la vente à l’étranger. Personne ne peut encore dire si ces nouvelles régulations vont réellement changer la donne, ni si les pays importateurs s’en accommoderont.

Que sont les terres rares ?

Des éléments chimiques, des métaux, 17 cases du tableau périodique. Quinze d’entre eux, appelés lanthanides (du grec λανθανειν « rester caché »), sont situés entre les numéros atomiques 57 et 71. Les deux dernières terres rares qui conservent des propriétés chimiques des lanthanides sont le scandium (numéro atomique 21) et l’yttrium (numéro atomique 39).

De couleur blanc argenté ou gris, ces métaux sont très brillants et s’oxydent facilement au contact de l’air. Ce sont leurs propriétés magnétiques, luminescentes et électroniques uniques qui rendent les terres rares indispensables pour la technologie.

Les applications des terres rares

Des composés de gadolinium (découvert en 1880 par un chimiste genevois Jean Charles Galissard de Marignac) sont utilisés en médecine comme agent de contraste pour l’imagerie par résonance magnétique (IRM). L’europium (image ci-dessus), le terbium et l’yttrium  sont largement utilisé dans la fabrication des écrans plats et pour l’éclairage basse consommation. Le néodyme, le praséodyme et le dysprosium sont à la base les aimants permanents les plus puissants connus et se retrouvent dans les smartphones ou et les écouteurs.

Les terres rares jouent également un rôle-clé dans le secteur de l’énergie verte. Une éolienne contenant des aimants terres rares est 25% plus performante. Les diodes électroluminescentes (DEL) contenant du terbium et de l’europium sont 40% plus efficaces que les ampoules fluorescentes compactes. Les terres rares s’avèrent aussi indispensables pour la production de voitures électriques et hybrides.

Une simple lampe UV (lumière noire) révèle la présence d’europium (rouge-orange) et de terbium (vert) dans nos billets de banques.

Cela ne s’arrête pas là, les terres rares sont au centre de nombreux projets de recherche fondamentale visant à exploiter ou étudier leurs propriétés. A Genève, le professeur Claude Piguet est à la tête d’une équipe dédiée à l’étude de composés de terres rares aux propriétés époustouflantes ( luminescence, thermodynamique d’association, magnétisme).

Les terres rares sont-elles vraiment rares ?

NON.

Selon l’Institut géologique américain (United States Geological Survey), 114 millions de tonnes d’oxydes de terres rares seraient réparties entre la Chine (48%), les Etats-Unis (11%) et le reste du monde en 2011. Plusieurs sites de réserve de terres rares auraient été découverts par une équipe de scientifiques japonais ce qui porterait le niveau des réserves actuelles à 100 milliards de tonnes. Certains métaux ont même une abondance naturelle dans la croûte terrestre supérieure à l’or ou au platine.

Les gisements exploitables en revanche sont relativement rares (d’où le nom terres rares). En effet, les terres rares sont très difficiles à séparer les unes des autres et l’exploitation de tels gisements pose d’importants problèmes environnementaux.

Exploitation de terres rares et impact sur l’environnement

Environ quatre kilos de terres rares sont produits chaque seconde, soit 124 millions de kilos par année dans le monde, dont plus de 90% en Chine. L’extraction, la séparation, et le raffinage des terres rares sont des processus couteux et polluants. Gaz toxiques, déchets radioactifs, métaux lourds, acide sulfurique font partie des sous-produits liés à l’exploitation d’un gisement de terres rares. La production d’une tonne de concentré de terres rares entraîne le rejet dans l’atmosphère de 9600 à 12000 m3 de gaz contenant fluorures, SO2, SO3  et des poussières. Elle génère également 75 m3 d’eaux usées acides et une tonne de résidus radioactifs.

C’est naturellement dans des pays comme la Chine où les réglementations environnementales étaient quasi-inexistantes, et où les conditions de travail sont les moins sécurisées et contrôlées que ces opérations se sont avérées les plus rentables. Le prix à payer pour une exploitation industrielle intense des terres rares est cher : en Chine, ce sont les populations locales qui payent. Baotou, une ville chinoise dynamique, au cœur de l’industrie de terres rares, est loin d’être une destination touristique de rêve. Par endroit, la radioactivité y dépasse largement celle de Tchernobyl (32 fois la normale, contre 14 pour la ville ukrainienne), et 70% des décès sont dus à des cancers (pancréas, poumon, et leucémies principalement). Depuis 2009, la Chine semble prendre la mesure du désastre écologique et humain (nouvelles réglementations, recherches pour une production propre) mais doit toujours faire face aux nombreuses exploitations clandestines.

Éoliennes et pollution, voitures électriques et gaz toxiques, imagerie médicale et cancers, les terres rares représentent à la fois le meilleur et le pire du monde moderne. Si la prise de conscience écologique a bel et bien commencé, personne ne peut dire de quoi sera fait l’avenir. En tout cas, les terres rares en feront partie.

Sources :

U. S. Department of Energy - 2011 Critical Materials Strategy (BROCHURE)

http://www.iamgold.com/files/presentations/REE101_April%202012-FR.pdf

http://www.planetoscope.com/sols/1048-production-mondiale-de-terres-rares.html

http://www.unige.ch/sciences/chiam/piguet/Welcome.html

http://ecoinfo.cnrs.fr/article172.html

http://ecoinfo.cnrs.fr/article212.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lanthanide

http://fr.wikipedia.org/wiki/Terre_rare

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