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Schizophrénie rédactionnelle : On ne badine pas avec les planches

Écrit par Romain Chevallier
Paru le 9 février 2017

theatreCe que vous êtes sur le point de lire est tout à fait à part de la ligne éditoriale usuelle de Geneva Business News. Que la longueur ou l’apparence de celui-ci ne vous décourage en rien : laissez-vous emporter par cette histoire, composée de cinq articles rédigés dans des styles différents et publiés sous forme d’épisodes. Chaque partie viendra préciser la précédente, alors n’en manquez pas une miette !

« Vertu de ma vie, comme vous débitez ! Il semble que vous avez appris cela par cœur, et vous parlez tout comme un livre. » Molière, Dom Juan Acte I, scène II (Sganarelle à Dom Juan)

Personnage

Monsieur Noé, Éditeur
Lara Pierre, Secrétaire
Cécile Aconique, Auteur

Acte IV

Scène I

MONSIEUR NOÉ

MONSIEUR NOÉ

Seul dans son bureau, face à la fenêtre, marmonne pour lui-même.

Je commençais à perdre espoir ! Enfin ! Dire que j’étais à deux doigts de jeter l’éponge, et la voilà qui débarque. Quel culot ! Quelle audace ! Et cet esprit critique ! Elle ne doit pas être très nette, cette jeune femme. Peut-être devrais-je lire son premier roman, tiens ?

Il marque une pause, se dirige vers son bureau, inscrit quelque chose dans un calepin.

Si cela me plaît, je lui proposerai une réédition. Impossible que ce soit mauvais. Moins bon, peut-être. Mauvais, certainement pas. J’aurais dû le lire avant.

Quel idiot ! Et si je lui proposais tout de même un contrat ? Prendrai-je ce risque ? Ah ! Non ! Attendons de voir l’accueil de celui-ci.

On frappe à la porte. Monsieur Noé s’assied à son bureau.

Scène II

LARA PIERRE, MONSIEUR NOÉ

MONSIEUR NOÉ

Entrez !

LARA PIERRE

Elle entre et perd immédiatement ses moyens face à son patron, dont elle est éperdument amoureuse.

Votre rendez-vous, Madame…

MONSIEUR NOÉ

Aconique ! Madame Aconique ! Il faut vous calmer, ma pauvre fille, regardez-vous ! Vous tremblez tellement qu’on vous croirait traversée par un fort courant électrique ! Êtes-vous présentement maltraitée par les forces de l’ordre, victime d’un coup de taser ? Si non : par Dieu ! Ôtez donc vos doigts de cette satanée prise !

LARA PIERRE

Oui, Monsieur Noé. Pas de police, Monsieur Noé. Vous m’intimidez, Monsieur Noé, voilà tout.

MONSIEUR NOÉ

Allons donc ! Faites-la entrer et allez-vous-en ébrouer votre carcasse malingre ailleurs.

Lara Pierre sort, Monsieur Noé se lève et marche en direction de la porte.

Scène III

MONSIEUR NOÉ, CÉCILE ACONIQUE

MONSIEUR NOÉ

Madame Aconique ! Quel plaisir de vous rencontrer, enfin !

CÉCILE ACONIQUE

Je partage, vous vous en doutez, ce plaisir avec vous.

MONSIEUR NOÉ

Je vous imaginais plus grande.

CÉCILE ACONIQUE

Je vous imaginais plus gros. Et moins chevelu.

MONSIEUR NOÉ

Quelle impertinence ! Tout comme dans votre livre. Et ça me plaît !

CÉCILE ACONIQUE

Ravie qu’il vous ait plu. Tout à fait ravie.

MONSIEUR NOÉ

On va… Vous allez faire un carton, avec ce bouquin ! Vous pouvez le croire : mes collègues et moi-même mettront tout en œuvre pour vous propulser sur le devant de la scène.

CÉCILE ACONIQUE

C’est très aimable à vous.

MONSIEUR NOÉ

Laissant à peine le temps à Cécile Aconique de terminer sa phrase.

Et vous y maintenir ! Je lirai votre premier roman, et s’il est convenable peut-être le rééditerons-nous.

CÉCILE ACONIQUE

Vous l’avez certainement déjà lu, en fait. Si ce n’est vous, quelques-uns de vos collègues.

MONSIEUR NOÉ

Déjà lu, vous dites ? Peu importe, nous y reviendrons en temps voulu. Je suis curieux : vous avez rédigé une histoire sacrément abracadabrantesque. Où allez-vous chercher tout ça ?

CÉCILE ACONIQUE

Sous la douche, d’abord. Dans ma tête, ensuite.

MONSIEUR NOÉ

Sous la douche ?

Puis à nouveau, d’un air franchement interloqué.

Sous la douche ?

CÉCILE ACONIQUE

Comme je vous le dis. Si vous le permettez, je n’entrerai pas dans les détails.

Scène IV

MONSIEUR NOÉ, CÉCILE ACONIQUE, LARA PIERRE

MONSIEUR NOÉ

Il ouvre un tiroir, en sort un mouchoir en tissu et se mouche bruyamment.

Je crois d’ailleurs n’en pas vouloir, de détails.

CÉCILE ACONIQUE

Votre mansuétude est sans égal, Cher Monsieur.

MONSIEUR NOÉ

Trêve de compliments. Penchons-nous un peu sur ce contrat.

Il soulève avec un entrain presque violent les diverses piles de feuilles volantes réparties sur son bureau.

Ah, ça ! Où ais-je bien pu mettre ce foutu contrat ?

Tour à tour, il ouvre puis referme les quatre tiroirs que compte son bureau.

Ces tiroirs sont vides. Seigneur ! À quoi bon avoir des tiroirs si c’est pour n’y rien mettre ?

CÉCILE ACONIQUE

Je ne voudrais pas être outrageante, mais cela n’est-il pas de votre fait ?

MONSIEUR NOÉ

Vous l’êtes, outrageante. Je ne vous en tiendrai pas rigueur.

De manière très ostensible, il se prépare à hurler.

Mademoiselle Pierre ? Lara ? Lara !

La porte s’ouvre, Lara Pierre entre

LARA PIERRE

Que puis-je pour vous, Monsieur ?

MONSIEUR NOÉ

Les contrats, mon petit. Les contrats !

LARA PIERRE

Tout de suite, Monsieur.

Elle sort.

MONSIEUR NOÉ

La pauvre femme ! Complètement tétanisée dès qu’on lui adresse la parole.

CÉCILE ACONIQUE

Peut-être devriez-vous vous adresser à elle un peu moins sèchement ?

MONSIEUR NOÉ

Peut-être devrais-je changer d’assistante.

Lara Pierre entre à nouveau, des documents en main.

LARA PIERRE

Les documents que vous m’avez demandés, Monsieur.

Elle jette presque les petits fascicules sur le bureau de son patron.

MONSIEUR NOÉ

Merci, mon petit.

Lara Pierre sort.

Pensez-vous qu’elle m’ait entendu ?

CÉCILE ACONIQUE

Je n’en sais rien et je vous dirais bien que cela m’est égal mais, pour être tout à fait franche, j’espère sincèrement qu’elle vous donne sa démission dès que je quitterai ce bureau. Vous êtes certainement un très bon éditeur, et votre maison jouit d’une excellente réputation, mais jamais il ne m’a été donné de croiser un humain plus exécrable.

Je vous avertis : votre contrat a plutôt intérêt à en valoir la chandelle; vous n’êtes pas seul en piste.

MONSIEUR NOÉ

Comme vous y allez ! Tenez, lisez, vous verrez que je sais me montrer généreux.

Il lui tend le contrat et un stylo.

Scène V

CÉCILE ACONIQUE, MONSIEUR NOÉ

CÉCILE ACONIQUE

Après avoir lu le contrat avec attention, elle le pose sur le bureau et lève les yeux vers Monsieur Noé.

Cela me semble tout à fait correct. Vous planchez sur un sacré succès, dites-moi !

MONSIEUR NOÉ

En effet, nous avons grand espoir en la réussite de votre roman.

CÉCILE ACONIQUE

Pourquoi, alors, ne pas monter ma part à dix pourcent ?

MONSIEUR NOÉ

Madame Aconique, il faut bien que je me nourrisse. Et j’ai des employés, mon assistante…

CÉCILE ACONIQUE

Ah ! Si son salaire est à la hauteur du traitement que vous lui réservez, vous pouvez bien augmenter ma part de deux points !

MONSIEUR NOÉ

Vous m’êtes bien sympathique, Madame Aconique. Peut-être en rediscuterons-nous, le temps d’une hypothétique réédition venu.

CÉCILE ACONIQUE

J’espère donc que vos prévisions sont exactes et que mon ouvrage sera crédité du succès escompté.

Ignorant totalement le stylo mis à sa disposition par Monsieur Noé, Cécile Aconique s’empare de son stylo fétiche, dans son sac, et signe le contrat

MONSIEUR NOÉ

Il ne masque pas sa satisfaction au moment de récupérer son exemplaire.

C’est un honneur, Madame, d’être votre partenaire dans cette aventure éditoriale.

CÉCILE ACONIQUE

Je vous remercie. Malgré votre attitude franchement rustre avec votre secrétaire, vous êtes un personnage aimable, au fond.

MONSIEUR NOÉ

Puis-je, donc, me montrer aimable et courtois en vous invitant pour un apéritif ?

CÉCILE ACONIQUE

Pour ce qui est de l’apéritif, vous prêchez une convertie. Quant à la courtoisie, convions votre secrétaire.

MONSIEUR NOÉ

Vous avez peut-être raison ; un petit verre la détendrait un peu.

Ils sortent. Le rideau tombe.

Credit photo : Nikolay N. Antonov via fotolia.com

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