Un homme à l’amer
Dans les parages d’un lac, je marchais à la recherche d’une prochaine mission professionnelle. Vieux loup de mer au creux de la vague, j’affrontais les refus des marins d’eau douce me jugeant de moins en moins au taquet, sans se douter un seul instant que je pouvais toujours naviguer à contre-courant dans les plus hautes mers.
Au détour des vagues que je longeais, j’aperçus un homme dont l’âme semblait être autant en lambeaux que les voiles de l’énorme embarcation échouée devant lui. Dans les débris, on pouvait deviner encore que le voilier avait été construit il y a peu, majestueux et fort.
Demander à quelqu’un comment il va est un énorme risque, mais les risques, j’en avais pris bien d’autres en sachant qu’aucune intelligence ne remplacera celle d’aller au-devant des autres quoi qu’il advienne. C’est une de mes forces, comme celle de tout anticiper.
L’homme à l’âme en vagues était l’armateur. Il me confia que le capitaine et son équipage s’étaient perdus en perdant la boussole que personne, ni même l’armateur, n’avait réellement regardée depuis le début du premier voyage.
Qui ne tente rien, ne tente rien
Faut-il le but d’avoir pour tenter tout ?
Proposer de remettre le bateau fantôme à flots était un enjeu de taille, car l’armateur était financièrement au bord du gouffre. Il fallait tout reconstruire avec les moyens du bord, des cales aux mâts, centimètre par centimètre, sans nouvel équipage, aidé seulement de marins de passage qu’il fallait former dans l’urgence, mais au meilleur de ce qu’ils pouvaient offrir et de leur plus belle énergie.
L’armateur paniqué espérait tout remettre en ordre en quelques jours.
Après évaluation de la situation en moins d’une heure, j’ajoutais le choc à la panique en affirmant que toute promesse d’un délai de moins de trois mois serait une promesse non tenue.
Prenez-moi à l’essai, proposai-je à l’armateur, trois mois au salaire minimum négociable ensuite. J’ai l’expérience, ajoutai-je, celle de la mer, de la navigation, de la gestion des marchandises et des personnes à bord, de l’accueil des passagers en barques et bateaux de croisière, j’ai maintenu et porté à bon port bien des embarcations sur toutes les vagues en assurant les moyens d’aller toujours plus loin, grâce aux bénéfices de nobles trésors. Entre deux missions à bord, j’ai également travaillé dans des tavernes… Je peux être le nouveau capitaine entrepreneur, je ne compterai pas mes heures jusqu’à remise complète à flots.
A coups de rames éperdues
Promettre mer et monde n’aurait servi en rien sans l’expérience que j’avais eue en longeant les côtes de plusieurs pays. Mes voyages m’avaient appris à anticiper et à réagir, mais également à tout apprendre des nouvelles technologies pour moins naviguer à vue.
Conduire un bateau, ce n’est pas la mer à boire me direz-vous mais sans un navigateur qui veille au grain, la tasse est vite bue et l’addition peut se révéler salée.
Durant les mois qui ont suivi, rien n’a été simple, mais c’est bien ce qui était prévu.
Les marchandises éparpillées et détruites dans les cales disparaissaient peu à peu et chaque jour, le voilier sortant de sa torpeur retrouvait sa splendeur un peu plus.
Il fallait être sur le pont, sans quarts, sept jours sur sept de neuf heures à neuf heures, dimanches compris, avec des bras cassés de passage, des doigts cassés aussi, dans trop de tout, mais la tentative porta ses fruits, ses légumes et tout ce que le bateau pouvait porter à nouveau, bien rangé dans les cales et à la vue des futurs passagers.
Plus de vingt mille produits déchargés des camions, rangés en va et vient par un loup de mer sur un bateau toujours ouvert aux visiteurs a pu voguer à nouveau un mois plus tôt que prévu.
Un bateau de commerce en rythme de croisière
L’histoire que vous venez de lire est vraie. C’est celle d’un paquebot, magasin indépendant au cœur des Pâquis à Genève, un supermarché de quatre cents mètres carrés, remis à flots et géré par un vieux matelot, dont bien des moussaillons ont encore tout à apprendre, comme lui a toujours été prêt à apprendre d’eux. Parmi les matelots de passage pour quelques heures ou quelques jours seulement, il y en eut trois vrais, Tarik, Adelina et Joachim qui ont vraiment aidé vers la fin du voyage.
L’aventure a duré 12 mois jusqu’au jour où l’armateur a vendu son vaisseau à un autre armateur venu de France avec son équipage dans lequel je n’étais pas prévu. Mais qu’importe, ma mission était réussie. J’avais tenu mes promesses, celles de remettre à flots un bateau perdu vers des vagues de succès, d’accompagner de plus en plus de clients à bord, vers des chiffres d’exploitation solides.
Avant de partir, toutes voiles dehors forcément, l’armateur m’a tendu tous les documents de l’année échue. Dans le dossier, une lettre garantissant le meilleur au prochain qui me prendrait à bord d’un nouveau et beau projet, en précisant qu’il aurait beaucoup de chance.
Ai-je tout tenté ? La réponse est oui.
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Crédit photo : jeanm.art
Magnifique, c’est un hauteur j’ai beaucoup apprécié cette histoire remixer en poésie nous nous sommes compris et nous nous comprenons, j’ai également vécu une très belle expérience avec Joseph c’est un homme exceptionnel et il m’a également appris beaucoup de choses durant ma découverte dans ce métier et c’était comme une thérapie de discuter et travailler avec Joseph.
Je lui souhaite tout le meilleur et un bravo à ce projet magnifique et artistique,réaliste.
Il mérite beaucoup et un cadre respectueux, il mérite d’être entendu.
Bonne continuation et plein de réussite encore à venir Joseph Jeanmart.
Adelina Kojcìn