Les idiomes locaux enrichissent la littérature africaine et en complexifient la traduction. Il est toutefois essentiel de faire découvrir ces spécificités culturelles aux lecteurs. Pour en apprendre plus, nous avons assisté à la table ronde sur « l’art de la traduction » qui s’est tenue le 29 avril 2015 au salon « africain » du livre, donnant la parole à la traductrice Sika Fakambi et à son confrère Roland Glasser.
La complexité de traduire des textes africains
Les auteurs dont il est question ont un bagage linguistique riche de plusieurs idiomes africains de transmission orale, ainsi que de l’anglais ou du français - leur langue littéraire. Ils irriguent leurs œuvres de la culture de leur pays par divers registres de langue, une structure et un rythme particulier. Les traducteurs nous ont expliqué leur façon de travailler, les défis rencontrés et les divers paramètres dont ils ont dû tenir compte afin de restituer la beauté originelle du texte.
Restituer les registres de langue
Sika Fakambi avait déjà traduit plusieurs ouvrages d’écrivains irlandais, australiens et canadiens, lorsqu’elle découvre le livre du ganéen Nii Aikwei Parkes. Son texte résonne dans son corps. Elle a dès lors l’envie de traduire « ce que les phrases font dans son oreille ». Cependant une difficulté se pose : l’écrivain a glissé dans son récit plusieurs idiomes d’Afrique de l’Ouest. Il y incorpore également divers niveaux de langue. Il fait contraster l’anglais littéraire du médecin légiste, celui administratif de l’inspecteur avec la langue pindgin des policiers (sorte d’anglais créolisé) et le twi des habitants. Il a même imaginé une langue pour le vieux pêcheur – mélange de twi et d’anglais. Le dialecte twi imprègne non seulement le récit de son vocabulaire et de sa grammaire, mais donne aussi une structure particulière aux phrases.
La traductrice choisit de transposer ce langage traditionnel dans un français populaire de la même région géographique qu’elle connaît intimement. Ce choix transforme, bien sûr, le texte original, mais il a l’avantage de restituer la richesse d’une telle langue. Sika Fakambi a attaché de l’importance à bien traduire les divers registres de langue et métaphores et à en vérifier leur adéquation avec Nii Aikwei Parkes. Par la résonance et le rythme du phrasé, elle plonge le lecteur dans un autre monde. Tout au long de son travail, elle a créé un glossaire des mots de langue twi qui sont laissés tels quels dans la version anglaise. Le lecteur doit les deviner à partir du contexte. Les francophones ont eux la chance de trouver sur internet le lexique de Sika Fakambi qui fut dans un premier temps son outil de travail. Ils peuvent ainsi y butiner une foule d’informations qui participent à une compréhension culturelle plus fine.
Comment transmettre une culture ?
Roland Glasser a traduit le dernier livre de l’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila. Il explique que l’amour de l’auteur pour le jazz se retrouve dans la musicalité de son écriture française. Tout l’enjeu de la traduction est dès lors de trouver le sens parmi la sonorité. Bien qu’il privilégie le sens du texte au rythme, il lui tenait à cœur de transmettre cette musicalité à sa traduction. Le premier défi à relever : la différence de sonorité du français qui s’appuie sur les voyelles et celle de l’anglais plus martelante.
Afin de trouver la mélodie qui convienne, il lit à haute voix le texte original, puis sa traduction et fait les ajustements nécessaires au moyen du dictionnaire des synonymes. « Fiston a employé un français littéraire mais a également fait usage d’expressions existantes au Congo, voire d’images surréalistes » dit-il. Il lui fallait appliquer une méthode de travail. De ce fait, il choisit de traduire toute expression française existante au Congo par une expression anglaise. A l’opposé, il invente une expression anglaise pour décrire une image surréaliste. Il ajoute que la torture du traducteur est de comprendre l’intention de l’écrivain. Il y a dans les métaphores plusieurs niveaux de lecture. En outre, chaque traducteur fait une lecture subjective du texte original. De fait, il n’hésite pas à se renseigner auprès de l’auteur pour lever le moindre doute. A ses yeux, son travail consiste à communiquer tant l’écriture d’un auteur que sa culture de manière claire et précise.
Les ficelles de l’art
Il ressort du récit de ces deux jongleurs de mots une curiosité et une passion pour l’écriture. Tout part de l’envie véhiculée par l’émotion que leur procure la lecture de l’ouvrage. Afin de restituer le texte dans leur langue maternelle en tenant compte des nuances culturelles, ils font appel à leur large culture ainsi qu’à un travail de recherche rigoureux. Ceci n’est pas suffisant. En fait, ils s’approprient le texte et en quelques sortes, l’incarnent comme un écrivain le ferait, mais avec modestie, en travaillant main dans la main avec leur auteur. Il s’agit bien là d’un art qui happe le lecteur sans épate, tout en finesse.
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Article très intéressant! Le travail d'un bon traducteur devrait avoir autant de valeur que celui de son collègue écrivain.