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Tuân HollaBack, mangaka : Réaliser ses rêves ailleurs

Écrit par Alexandre Tonetti
Paru le 27 novembre 2020
Tuân HollaBack

Tuan Hollaback au centre avec la chanteuse et violoniste Sarah Àlainn et le compositeur Yasunori Mitsuda

Tuân HollaBack est un illustrateur originaire de Genève, mais il est établi à Tokyo depuis plusieurs années. Il s’est fait un nom en collaborant d’abord avec des artistes du monde urbain américain, notamment newyorkais, et français. Puis il élargit son travail avec des compagnies diverses et variées. Nous l’avons rencontré pour un entretien depuis Tokyo afin qu’il puisse nous parler des différences et des similarités entre le monde artistique et professionnel suisse et japonais.

Arrivée du Japon en Europe

Les mangas et les films d’animations, ou anime, arrivent d’abord en France vers la fin des années 70 et le début des années 80. Les premiers, comme « Petit Panda » ou « Demetan » mettent en scène des histoires candides pour enfants. Par la suite, le « Club Dorothée » introduit dans les foyers les shônen, un type de manga ciblant spécifiquement un public adolescent masculin. Les anime s’appellent alors Dragon Ball, Chevalier du Zodiaque, Nicky Larson ou Ken le Survivant et provoquent un véritable tsunami culturel.

Tuân HollaBack est alors en âge de pouvoir assister à cette arrivée en direct et d’y prendre goût. L’aspect populaire y joue certes un rôle auquel s’ajoute aussi un autre facteur : son identité culturelle. Son éducation lui a en effet donné les clés pour apprécier d’autant plus certaines références, encore hermétiques en France à cette époque.

Il s’identifie à ces décors, ces plats, ces vêtements qui lui rappellent en effet la culture vietnamienne de ses parents. Tous ces éléments lui fournissent alors une « balise identitaire », dont il avait besoin dans une Europe où les personnalités d’origines asiatiques sont trop rares et quasi-systématiquement reléguées au second plan, et ce encore aujourd’hui.

Toutefois, Tuân HollaBack dissocie durant un temps manga et Japon. Son attirance pour le États-Unis et son bouillonnement culturel occupent alors plus son esprit que l’archipel nippon. Bien qu’ayant grandi avec les mangas, les anime et par la suite les jeux vidéo, il faudra attendre un voyage avec son frère en 2009 pour qu’il ait le coup de foudre. À l’origine organisé un peu par accident, ce voyage produit chez lui une véritable révélation et l’incite à des voyages répétés entre le Japon et la Suisse, avant de s’y installer définitivement.

Levi (Attack On Titan)Première rencontre de Tuân HollaBack avec le Japon

Il est séduit par l’impression d’harmonie générale qui s’y dégage. L’approche japonaise de l’hospitalité, le calme additionnée à l’entente globale qui semble en découler l’intrigue.

Il est aussi fasciné par la fierté revendiquée des japonais vis-à-vis de leur identité qu’il retrouve jusque dans les aspects les plus communs de la vie quotidienne. Pour une personne ayant grandi dans un milieu aussi international et multiculturel que Genève, où des traditions des cinq continents cohabitent, une telle homogénéité qui se retrouve jusque dans les rayons des combini, des commerces de proximité ouverts 24/7, interpelle.

Ses racines et son éducation asiatiques prennent alors le dessus. Se retrouver dans un environnement où il n’est plus une exception, mais où il est entouré de personnes à la fois physiquement et culturellement proches participe à son bien-être. Pourtant, Tuân HollaBack n’y est pas connu sous le nom du « Chinois », mais du « Suisse ».

Loin de fréquenter les milieux internationaux comme bon nombre d’expatriés, il fréquente des milieux majoritairement constitués de locaux. Il ne peut alors s’empêcher de relever l’ironie d’avoir dû « faire 10'000 km et aller en Asie où il est physiquement plus proche d’un japonais qu’un Suisse pur souche, pour qu’on dise qu’il soit Suisse. » Il a alors l’impression de pouvoir revendiquer et vivre pleinement sa double identité. Ce sentiment le convainc de s’y installer.

Un mangaka suisse au Japon

Au-delà de l’aspect personnel, l’intérêt professionnel joue également un grand rôle. Guère inspiré par Genève, l’attirance pour Tokyo se renforce encore plus chez lui. Le Japon est l’épicentre mondial de la culture manga. Ainsi, l’inspiration peut se trouver à chaque coin de rue, dans les transports en communs, dans les hôtels, dans une gare.

Ses errances dans les rues de Tokyo, où il peut « voir un visuel incroyable et c’est une publicité pour un vieux festival sur le maquereau », lui font aussi prendre conscience de la norme de qualité graphique très élevées des Japonais. Une fois de plus, l’écart avec la Suisse se creuse.

Sir Sean Connery

Un réseau japonais et international

Sur place, il tisse des contacts avec des membres de la scène urbaine locale. S’y intéressant et la suivant depuis alors une dizaine d’années, il prend un contact avec l’un de ces artistes un peu au culot.

Il est alors surpris de réaliser que certains de ses précédents projets sont déjà connus. Des noms de la scène funk/rap de la côte ouest des États-Unis, tels que Soopafly, Enois Scroggins et XL Middleton sont en effet très populaires au sein de la scène hip hop nippone et fournissent à Tuân HollaBack une carte de visite de taille auprès de celle-ci.

De cette rencontre avec le rappeur Richee du groupe Jack Rabbitz s’ensuit une collaboration qui le mène à d’autres. Tuân HollaBack se tisse petit à petit un réseau. Celui-ci s’élargit et le mène à travailler également avec le milieu du jeu vidéo et de la musique classique.

La valeur accordée au contact humain dans son travail lui permet d’établir une communication avec ses clients. Dans la mesure où la plupart de ses contacts se font sur les réseaux sociaux, cela l’assure ainsi du bon suivi de ses travaux dès les premières étapes du travail, jusqu’à l’apposition des couleurs en passant par la moodboard.

Cette approche lui a permis de nouer amitié avec certains d’entre eux et de limiter les mauvaises expériences. Parmi les bonnes rencontres figurent le rappeur/producteur Squadda B du groupe Main Attrakionz, avec lequel il collabore pour la 3ème fois, pour le projet “Return of Dog”. Figure emblématique de la scène outre-atlantique, ce dernier cumule les productions avec des artistes de premier plan comme Gucci Mane ou A$ap Rocky. Le groupe Main Attraktionz est également crédité pour avoir généré le cloud rap qui a explosé et est devenu l’un des genres les plus populaires mondialement.

Cultures helvétique et nippone

Là encore se tracent des différences avec la Suisse. D’un côté, l’aspect financier penche clairement en faveur de cette dernière. D’un autre, la méthode de travail et la fiabilité rend le Japon plus paisible et il est plus agréable de travailler avec. Tuân HollaBack est toutefois obligé de constater le caractère procédurier qui ralentit de fait le taux d’activité.

S’il reconnaît alors l’aspect instinctif et spontané de la mentalité américaine, il regrette toutefois que l’émotionnel prenne trop souvent le pas sur une communication critique et construite.

L’importance attachée au financement de la scène culturelle est un autre point de contraste entre le Japon et la Suisse. La Suisse possède en effet une pléthore de moyens d’obtenir un soutien financier. Des demandes peuvent être formulées auprès de différentes institutions, telles que les mairies, la Loterie Romande ou encore Pro Helvetia, parmi tant d’autres.

Ces moyens sont absents au Japon. Tuân HollaBack a eu l’occasion de s’en rendre compte en observant ses fréquentations impliquées dans les milieux culturels locaux. Il constate en effet que, malgré leur engagement actif, personne « ne touche un kopek. »

Pourtant, Tokyo et le Japon foisonnent d’artistes et de projets. « Tout le monde fait quelque chose ici, c’est un truc de malade mental » nous dit-il, impressionné. La plupart de ses connaissances exercent une activité en lien avec la culture. Elles sont DJ, elles peignent, jouent du jazz. Elles réussissent à financer leurs projets artistiques en les cumulant avec une activité professionnelle alimentaire.

Encore une fois, la comparaison, cette fois qualitative, se fait avec la Suisse. Tuân HollaBack voit bien la différence d’implications entre les deux pays qui permettent des résultats bien plus probants au Japon malgré l’important support institutionnel helvétique.

Pour ses futurs projets, Tuân HollaBack pense à sortir un nouveau recueil d’illustrations sur le modèle de son précédent, « Memory Lane » sorti en 2014. Un projet avec le rapeur canadien Lyricest sort le 27 novembre. Une autre collaboration avec une marque textile française est également en travaux. Pour finir, Tuân HollaBack nous annonce que 2021 devrait voir ses plus importantes collaborations sortir.  « Restez connecté », nous prévient-il.

Pour suivre le travail de Tuân HollaBack et en savoir un peu plus : www.tuan-hollaback.com

Instagram : @airforcetuan
FB : airforcetuan
Deviantart : tuan-hollaback
Patreon  : airforcetuan

Lectures complémentaires :

Une porte vers la Suisse : les artistes helvètes au Japon

Bunka no hi, le jour de la culture

Credit photo : Tuân Hollaback

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