Une enquête suisse sur la santé datant de 2012 révèle que 19% des femmes et 16% des hommes déclarent avoir été victimes d’au moins une discrimination ou d’une violence au travail. Les cas d’intimidation, de harcèlement moral ou de mobbing sont les plus fréquemment cités (7%). 1
Dans l’inconscient collectif de nos sociétés modernes, le harcèlement est plutôt perçu comme un acte agissant de haut en bas, donc exercé par un supérieur sur un subalterne. Si dans la majorité des cas, le mobbing agit effectivement dans ce sens, un nouveau phénomène est apparu dans le monde de l’entreprise depuis quelques années : le harcèlement vertical ascendant ou quand les supérieurs hiérarchiques subissent les assauts de leurs subordonnées.
Alors pratique isolée ou phénomène en pleine expansion ?
La notion de « mobbing »
Heinz Leymann docteur en psychologie et psychosociologue suédois est célèbre pour ses recherches sur le concept de harcèlement moral, qu'il qualifie de « mobbing » dans un essai publié en 1993. Il est considéré comme le pionnier dans le domaine de la recherche sur le harcèlement moral, qu’il a défini comme « l’enchaînement, sur une période dépassant six mois, de propos et/ou d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés en général plusieurs fois par semaine, par un ou plusieurs protagonistes envers une tierce personne ».
Le harcèlement psychologique ou « mobbing » (de l’anglais « to mob » qui signifie molester, malmener) doit être perçu comme une forme d’abus de pouvoir exercé à l’encontre d’un employé, quel que soit son niveau hiérarchique et visant à l’humilier.
La notion de durée et de répétition des agissements est alors capitale pour déterminer si nous sommes face à un cas de harcèlement.
Ces pratiques qui peuvent être le fait d’une ou de plusieurs personnes tendent généralement toujours au même but : inférioriser, déstabiliser, marginaliser, pour enfin exclure la personne visée de son lieu de travail. Les attitudes suivantes dénotent ainsi un comportement de harcèlement : critiques et dénigrements continuels, attribution de tâches banales bien inférieures aux compétences la plupart du temps, et mise à l’écart conduisant à l’isolement. La victime est empêchée de s’exprimer, et le mot d’ordre est transmis à tout son entourage. Elle est discréditée auprès de ses collègues, qui propagent rapidement des rumeurs généralement infondées à son sujet. Enfin et surtout, la santé de la personne visée est compromise par de tels agissements.2
Le harcèlement psychologique trouve très souvent sa source dans un conflit non résolu, dont l’origine est une divergence de vue, une lutte d’influence ou de pouvoir.
Que dit le législateur ?
L’article 6 de la loi fédérale sur le travail en Suisse concernant les mesures d’hygiène et de protection de la santé prévoit : « Pour protéger la santé des travailleurs, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures dont l’expérience a démontré la nécessité (…) Il doit en outre prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l’intégrité personnelle des travailleurs ». L’ordonnance OLT3, qui lui est directement rattachée précise en sus dans son article 2 que « l'employeur est tenu (…) d'améliorer la protection de la santé et de garantir la santé physique et psychique des travailleurs ».
Les dispositions de la loi fédérale du 24 mai 1995 sur l’égalité entre femme et homme (Leg, RS 151) en cas de discrimination liée au sexe précise : « par comportement discriminatoire, on entend tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l'appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d'imposer des contraintes ou d'exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d'obtenir d'elle des faveurs de nature sexuelle ».
Enfin, le Code civil suisse dans ses articles 28 et suivants et le Code des obligations relatif à l’article 49 proscrivent les comportements portant atteinte à la personnalité. La jurisprudence en la matière est donc florissante et la victime dispose d’une législation riche et variée pour défendre ses droits.
Les avocats et juristes, pour qui les définitions de harcèlement sont diverses sont unanimes et partagent une vision commune : « le harcèlement professionnel est un comportement fautif répété individuel ou collectif dont le caractère vexatoire, humiliant ou attentatoire à la dignité, perturbe les conditions de travail, altère la santé physique ou mentale de la personne qui en est victime et compromet son avenir professionnel ».
Précisons que la législation est différente selon qu’il s’agisse d’une entreprise privée ou d’une administration publique. Dans le premier cas, les dispositions légales susmentionnées s’appliquent. En revanche, dans le cadre d’une administration étatique, seuls sont applicables le règlement du personnel cantonal, ainsi que les dispositions du droit administratif.
En Suisse, chaque canton dispose de toute la liberté pour envisager et concocter une politique de prévention destinée à son administration. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat du Canton de Vaud a mis en place des mesures pour combattre toute forme de difficultés relationnelles, en particulier le harcèlement, et pour assurer la protection de la personnalité de tous les collaborateurs de l'Administration cantonale vaudoise, dans le cadre de leur activité professionnelle. Pour cela, il a instauré un groupe d'intervention composé de six membres, dont la mission est d’informer et de prévenir, puis de traiter les demandes, de manière informelle d’abord, par médiation et éventuellement par investigation ensuite.
Différentes formes de harcèlement moral
Particulièrement interpellée par les problématiques professionnelles telles que les formes de harcèlement au travail, le burn-out ou le stress professionnel, la psychologue Dominique Rulkin distingue quatre formes de harcèlement professionnel en fonction du statut hiérarchique des auteurs du harcèlement. 3
L’auteur de tels agissements peut être :
- Un supérieur hiérarchique
- Un collègue
- Un subordonné
- Une personne tierce à l’organisation
Lorsque le mobbing émane d’un supérieur hiérarchique, elle l'appelle harcèlement vertical descendant. Cette forme la plus répandue représenterait près de 50% des cas et entre dans le cadre de l’abus de pouvoir hiérarchique.
Lorsque celui-ci émane d’un collègue d’un même niveau hiérarchique, il est nommé harcèlement horizontal. Cette forme qui concernerait environ 30% des cas se caractérise par une dynamique collective.
Le mobbing provenant d’un subordonné est appelé harcèlement vertical ascendant. Moins fréquent que les deux premières formes, il représenterait un peu moins de 10% des cas. Il est souvent la résultante d’un refus d’autorité.
Enfin, lorsque celui-ci provient d’un individu tiers à l’entreprise, il est appelé harcèlement latéral. Cette forme de harcèlement ne bénéficie d’aucune donnée statistique pertinente.
En général, les victimes de mobbing occupent le plus souvent des postes subalternes et elles sont des femmes dans près de deux tiers des cas. S’agit-il d’un effet de non-reconnaissance du statut de « harcelé » par les hommes ou d’une réalité statistique ?
A l’inverse, le harceleur est le plus souvent un supérieur hiérarchique masculin.
Le harcèlement ascendant
Avec environ 7% des cas, cette forme de mobbing n’est pas la plus répandue, mais semble toutefois être un phénomène nouveau au sein de l’entreprise.
A ce jour, très peu de cas ont été répertoriés, pour une raison bien compréhensible : victime de harcèlement par un subalterne, un manager n’ose pas en parler dans la plupart des cas, par peur du jugement des autres. En effet, faire état de son mal-être dans sa posture de supérieur hiérarchique semble compris comme un aveu de faiblesse. Si nous poussons le raisonnement un peu plus loin, ce même manager peut se retrouver en situation de déni total.
Alors qu’il semble qu’aucun cas n’ait été dénoncé et encore moins jugé en Suisse, la Cour de cassation en France a reconnu que le harcèlement moral pouvait être le fait d'un subordonné à l'égard de son supérieur hiérarchique, dans un jugement du 6 décembre 2011. Dans un monde moderne du travail faut-il une décision de la plus haute instance judiciaire française pour qu’un phénomène, certes nouveau mais bien réel, soit reconnu. Pour Xavier Camby, auteur du livre au titre évocateur “48 clés pour un management durable” et fondateur d'Essentiel Management « la décision de la Cour de cassation révèle tout d'abord que nous nous laissons conditionner par des schémas simplistes, réducteurs de la réalité jusqu'à l'ignorance. Qu'on appelle cela des « croyances » ou de l'idéologie, ce « prêt-à-penser » nous mène toujours sur la même pente : l'antagonisme généralisé entre des catégories artificielles : les méchants patrons dominateurs et abusifs face à leurs subordonnés, victimes soumises à son autoritarisme et à ses excès, la relation caricaturale du maître et de l'esclave ».4
Essayer de décrypter les mécanismes psychologiques utilisés par un persécuteur ascendant n’est pas une gageure. De manière générale, et afin de se donner bonne conscience, il met tout en œuvre pour résister à son manager ou à son supérieur hiérarchique direct. Dans ce cas, il faut interpréter ces agissements comme une forme de perversion, ici utilisé pour désigner soit une déviation des instincts conduisant à des comportements immoraux et antisociaux, soit une transformation de sens subie par un discours, soit une manipulation, un abus et de la cruauté. En d’autres termes, le harceleur prend du plaisir à faire souffrir l’autre, au travers de dénigrements continuels ou de calomnies, donnant l’impression d’interpréter à charge chacune des actions du supérieur. Par souci désintéressé du bien d’autrui, il n’hésite pas à colporter lui-même des rumeurs, ou à informer sa victime de rumeurs colportées par d’autres dans un souci de bienveillance à l’égard du harcelé, alors que sa manœuvre n’a qu’un seul but, le manipuler et le détruire.
L’engrenage infernal est alors en marche et se referme comme un piège sur le manager, qui insidieusement va perdre sa confiance de supérieur et son estime de soi, pour en arriver à avoir peur de prendre des décisions ou de commettre des erreurs inhabituelles. Un sentiment de culpabilité naît chez cette victime toute désignée, renforcée par le fait que son harceleur, avec l’aide de complices manipulés, n’hésite pas à alerter un président directeur général, un membre du Conseil d’administration ou un actionnaire pour dénoncer les comportements répréhensibles de sa victime.
Toutefois, la mise en application d’un tel type de harcèlement appelé « vertical ascendant » n’est pas chose aisée et requiert une bonne dose de manipulation et de perversion de la part du « salarié harceleur ».
Mais n’est-ce pas surprenant que ce soit le comportement inadéquat du supérieur lui-même, signe précurseur, qui engendre très souvent cette situation de harcèlement. Il suffit de se poser la question "combien de managers ont-ils atteint leur niveau d’incompétence et peinent à le reconnaître?" pour avoir un début de réponse.
Le pédagogue canadien Laurence Johnston Peter, spécialiste dans l’organisation hiérarchique est surtout connu du grand public pour son livre « Le principe de Peter » paru en 1970. Au cours de sa carrière, il a ainsi mis en lumière un principe, également appelé syndrome de la promotion Focus, qui est devenu une loi empirique relative aux organisations hiérarchiques. Cette loi dit en substance « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence » avec le corollaire qu'« avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d'en assumer la responsabilité ».
Comme le relève encore Xavier Camby « un patron n’est pas le supérieur de ses collaborateurs, n’en déplaisent à certains, emprunts d’égocentrisme. Il est un être humain comme eux, avec le même génome, ayant des limites aussi et des aptitudes complémentaires de ses congénères, égal aux autres face aux réalités de la vie et face à celle de la mort. Ses talents particuliers peuvent faire de lui l’organisateur de leur travail, l’animateur de leurs efforts et de leur motivation (…) mais jamais quelqu’un d’autre qu’un être humain normal ».4
En d’autres termes, il suffit qu’un manager s’imagine supérieur à ses collaborateurs et qu’il le démontre au travers de ses dires ou de ses agissements, pour qu’il rompe à tout jamais le fil invisible de la subtile relation entre supérieur et subalterne.
Alors comment déjouer les pièges du harcèlement vertical ascendant ?
Réponse : en se comportant en vrai leader. Pour argumenter nos propos, nous vous proposons de remonter le temps jusqu’à l’époque romaine en prenant comme exemple Jules César, l’un des plus grands leaders de l’Histoire mondiale. 5
- Sachez remettre en cause le statu quo
Convaincu par le bien fondé des réformes qu’il souhaitait entreprendre, Jules César n’a, à aucun moment, manqué de courage pour amorcer de nombreux changements.
Etre un leader, c’est avoir le courage de faire valoir vos idées novatrices en prenant des risques et en vous engageant. Si vous demeurez sûrs de vos convictions, nul doute que certains, partageant vos idées, se rangent de facto au côté du leader courageux que vous êtes.
- Assumez vos responsabilités
Il est plus facile de rejeter la faute sur les autres et ne pas assumer ses responsabilités. Tel Jules César, un vrai leader doit de lui-même prendre toute la charge des décisions prises.
Si le résultat est décevant ou l’échec présent, vous devez assumer la responsabilité de vos actes et non rendre responsables les autres. Agissez de la sorte et vous obtiendrez la reconnaissance de vos pairs.
De classe noble, proconsul et chef de nombreuses légions, nous pourrions imaginer que César bénéficiait d’un traitement de faveur pendant ses campagnes. Pourtant, malgré son statut, il était le premier à montrer l’exemple. Redoublant de courage et d’acharnement pendant la bataille, laissant les chambres d’hôtes aux blessés et partageant avec ses camarades des logements de fortune, il n’a jamais rechigné à la tâche et montré toujours plus de vaillance que ses propres soldats
Se comporter en vrai leader, ce n’est pas être au dessus des autres et de toutes tâches ingrates. Montrez toujours l’exemple à vos collaborateurs et vous aurez leurs respects.
- Comportez vous en leader en tout occasion
Jules César l’avait compris, il n’est pas nécessaire d’être consul pour exercer son influence sur le Sénat.
Dans le monde du management, il est de bon ton de penser que c’est le poste qui fait les responsabilités, alors qu’en fait c’est tout le contraire. Vous souhaitez devenir manager ? Alors comportez-vous en tant que tel, et il y a de fortes chances pour que vous soyez la première personne pressentie pour un poste managérial. En outre, il est important de reconnaître que le statut socio-professionnel n'est pas le facteur essentiel pour déterminer le leader d’un groupe. Il arrive que ceux qui semblent tenir les rênes ne sont pas les vrais leaders et que bien souvent se cache derrière eux « l’homme de l’ombre ».
- Suivez votre propre voie et ne vous en détournez jamais
Une destinée qui semble inaccessible tellement elle est ambitieuse. Et pourtant, Jules César n’a jamais cessé de croire en ses rêves et de suivre sa propre voix, n’en déplaise aux plus puissants sénateurs.
Il faut beaucoup de courage pour suivre inlassablement sa propre voie et ne jamais laisser les obstacles briser ses propres rêves.
Le mot de la fin
Managers, votre destinée n’appartient qu’à vous. Affirmez avec conviction vos véritables désirs et adoptez la bonne attitude pour devenir un vrai leader. Se comporter comme tel, en montrant l’exemple et en assumant ses responsabilités est le meilleur moyen d’asseoir son autorité sur ses collaborateurs.
Il ne faut jamais oublier de les valoriser, de les féliciter de leurs efforts, de les remercier du travail accompli et enfin de les encourager le plus souvent possible, et à bon escient. Vous aurez ainsi déjà fait un bon bout de chemin qui vous éloigne du risque de devenir un jour victime de harcèlement vertical ascendant.
Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux (Socrate)
Sources :
1 http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/tools/search.html
2 http://www.guidesocial.ch/fr/fiche/106
3 http://www.lepsychologue.be/psychologie/harcelement-moral-formes.php
4 http://www.atlantico.fr/decryptage/harcelement-moral-quand-superieurs-hierarchiques-ou-patrons-subissent-assauts-subordonnes-xavier-camby-989787.html/page/0/1
5 http://nicolaspene.fr/jules-cesar-leader/
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